Chapitre 1: La contrée

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Dans le repli secret d’une vallée oubliée, il existait une contrée presque mythique, un lieu suspendu entre deux temps : celui des hommes et celui des souvenirs. Là, la nature n’était pas une toile de fond mais un personnage à part entière, omniprésent, palpitant, presque conscient. Les collines s’étendaient comme des vagues figées, recouvertes d’un manteau vert profond, que perçaient parfois des flammes d’ocre et de jaune lorsque le soleil, impitoyable et fier, décidait d’embraser l’horizon. Les arbres, vieux de plusieurs siècles, se dressaient comme des totems silencieux, leurs troncs noueux témoignant de mille saisons, leurs feuilles frémissant sous le souffle chaud des vents d’Est.
La rivière, quant à elle, serpentait entre les maisons en terre cuite avec la lenteur d’un vieux conteur. Elle chantait des histoires anciennes aux pierres qui bordaient ses rives, riait parfois en éclaboussant les racines qui plongeaient vers elle comme des doigts assoiffés. Ses eaux limpides portaient les confidences des habitants : des secrets murmurés, des amours naissantes, des larmes discrètes, et le rire éclatant des enfants nus qui s’y baignaient à la tombée du jour.
Le village s’appelait Dohèmè, un nom ancien que l’on disait soufflé par les premiers hommes ayant foulé cette terre. Là-bas, tout semblait régi par une harmonie invisible. Les saisons venaient et repartaient comme des invités respectueux. Les moissons étaient justes, ni trop grasses ni trop maigres. Et bien que les récoltes reposassent sur le dur labeur des paysans, personne ne manquait vraiment de rien. Du moins en apparence.
Le jour, la vie fourmillait. On entendait le cliquetis des pilons contre les mortiers, les pas rapides des femmes aux hanches pleines portant l’eau ou le feu, les cris des marchands vantant leurs arachides ou leurs ignames, les prières lancées vers les cieux par les anciens. Tout était vivant. Tout avait un rythme.

Mais la nuit… ah, la nuit ! Elle transformait la contrée. Sous la lumière crue de la lune, Dohèmè devenait un monde différent. Les rires se taisaient, remplacés par les bruissements de la savane, les soupirs d’ombres qui n’avaient pas de nom, et les cris lointains d’animaux dont on ignorait l'existence mais dont on devinait les crocs. C’était à cette heure que le silence parlait le plus fort. Il s’insinuait dans les cases, glissait sur les toits de chaume, frôlait les paupières closes. Le pouvoir, à Dohèmè, ne se brandissait pas ; il se portait. Discrètement. Les notables, souvent drapés de boubous aux motifs flamboyants, habitaient des maisons légèrement surélevées, éloignées de la cohue du marché. Ils parlaient peu, mais lorsque l’un d’eux prononçait une parole, c’était comme si le vent s’arrêtait de souffler pour l’écouter. Ils étaient les piliers du village, les arbres au tronc plus large, que l’on respectait même lorsque leurs racines devenaient nocives.
Les pauvres, eux, formaient le tissu nerveux de Dohèmè. Ils travaillaient, construisaient, cultivaient. Leurs mains portaient les stigmates de la terre, leur peau, les brûlures du soleil. Ils n’avaient pas d’or à leurs cous ni de sièges sculptés à la maison des anciens. Mais ils avaient la foi. En la terre, en les ancêtres, en demain.
C’est dans cette contrée, douce et rude à la fois, que le destin allait être dérangé. Non pas par une guerre, ni par un roi étranger, ni même par la colère des dieux. Non. Ce fut une créature minuscule, insoupçonnable, qui allait redessiner les lignes de cette paix.
Un murmure dans la nuit, un frottement d’ailes à peine audible, une piqûre aussi brève que la morsure du vent. Et pourtant, le chaos.
Mais cela, les habitants de Dohèmè ne le savaient pas encore. Pour l’instant, ils vivaient. Et la nature retenait son souffle.

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