Chapitre 2 : La naissance d’un mal

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Il n’y eut ni éclair, ni hurlement céleste. Aucun présage ne vint prévenir la naissance de celui qui, dans l’ombre, bouleverserait l’ordre du vivant. Il était là, pourtant. Dans le bruissement d’un feuillage. Dans la flaque d’eau croupie oubliée derrière un grenier. Un simple recoin humide, tiède, stagnant. Un berceau sans éclat. Et de cette matrice silencieuse, un être s’éveilla. Lui, l'anophèle.
Il n’était ni le plus grand, ni le plus fort. Il n’avait ni crocs, ni griffes, ni rugissement. Son corps semblait frêle, translucide, presque fragile. Et pourtant… Dans ses ailes minces comme la honte, dans ses pattes fines comme le mépris, reposait un instinct ancien. Une faim. Une certitude innée : il était né pour boire la vie.
Dès sa première vibration d’aile, il comprit. Le monde n’était pas à conquérir par la violence. Non. La vraie puissance se glissait dans les interstices, se faufilait dans le sommeil, se posait doucement sur les chairs ignorantes. Il ne frapperait pas : il s’infiltrerait.

Alors il observa. Longtemps. Il resta tapi, invisible, dans les palmes des raphias, sur les murs tièdes des maisons. Chaque nuit, il apprenait. Il épiait les corps endormis, les soupirs des vivants, les veines qui pulsaient sous la peau brune. Il guettait les fenêtres ouvertes, les filets mal tirés, les lumières qui vacillaient. Il écoutait les cœurs battre. Il comptait les respirations.
Ce n’était pas encore le temps d’agir. Pas encore. Il fallait comprendre. Choisir. Calculer. Car tous les sangs ne se valent pas. Et lui le savait d’instinct : il lui fallait le meilleur.

Il vola d’ombre en ombre, passant d’une cour miséreuse à une véranda dorée. Les odeurs changeaient. Les silences aussi. Les pauvres dormaient profondément, épuisés, exposés. Leur peau luisait de sueur. Mais leur sang… Il le trouva fade. Léger. Vide d’histoire. Ce n’était pas un nectar, mais une soupe tiède.

Puis il découvrit les riches.
Leurs cases sentaient l’encens et l’huile de karité. Leurs corps étaient soignés, parfumés, couverts de tissus chatoyants même en dormant. Et sous leur peau douce, il sentit… autre chose. Un goût plus épais. Une chaleur plus dense. Un sang nourri de privilèges, de mets raffinés, de repos, de respect.

Il frémit.

Ce sang-là… Ce sang était royal.
Alors il décida. Il ne serait pas un insecte errant, vagabondant de bras en bras. Non. Il serait sélectif. Exigeant. Il ne toucherait que les puissants. Il en ferait son rang, son rang unique. Il serait le parasite des rois, le fléau silencieux des dignitaires.
Et dans cette décision, il ne voyait aucun mal. Juste une logique. Le monde lui avait offert une hiérarchie, il la respecterait à sa manière.
Il était né pour boire. Il boirait ce qu’il y avait de meilleur.
Et tant pis pour les autres.

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