Chapitre 3 :Les premières piqûres
La première nuit où il passa à l’acte, le ciel était bas, d’un noir liquide. Les étoiles semblaient fuir, honteuses, comme si elles savaient ce qui allait se produire. Une chaleur moite couvrait la contrée. L’air, lourd, portait l’odeur mêlée de la terre humide et des peaux endormies. Ce fut une nuit sans vent, sans soupir. Une nuit idéale pour une première morsure.
L’anophèle fendit les ombres avec la grâce d’un esprit. Aucun son, aucun battement. Juste une traînée invisible de volonté. Il tourna longuement autour de la case de son premier choix : un dignitaire local, chef du quartier, connu pour ses colères et ses colliers en or. L’homme dormait torse nu sur une natte en raphia, un bras jeté au-dessus de sa tête, la gorge offerte comme une invitation.
L’anophèle ne se précipita pas. Il effleura l’air autour du dormeur. Il attendit le moment exact où la respiration devint régulière. Alors seulement, il se posa.
Une piqûre.
Simple. Rapide.
Un instant suspendu.
Et soudain, une vague.
Le sang afflua dans son abdomen mince, l’enveloppant de chaleur. Une chaleur différente. Riche. Électrique. Loin de la simple survie, c’était un festin. Ce n’était pas un sang, c’était une essence. Cela avait le goût du pouvoir, de l’orgueil, du vin trop vieux dans les veines d’un homme qui croit dominer le monde.
L’anophèle frémit. Il en voulait encore.
Dans les nuits qui suivirent, il s’abattit sur les puissants comme un souffle invisible. À chaque fois, il choisissait. Il reconnaissait la force dans le pas assuré, dans la voix qui ordonne, dans les bijoux qui tintent. Il piquait les chefs, les marabouts renommés, les riches commerçants, les juges du village. Et chaque goutte le rendait plus avide.
Il ne s’approchait plus des pauvres. Il les survolait avec mépris. Leurs cases de boue séchée, leurs habits râpés, leurs sueurs rances — tout cela lui inspirait un profond dégoût. Leurs sangs étaient trop légers, trop ordinaires. Cela ne valait pas le vol.
Il devint obsessionnel. Il reconnaissait chaque digne proie à l’odeur. Il savait ceux qui se couchaient tard, ceux qui avaient la peau douce et bien nourrie, ceux qui possédaient l’arrogance jusque dans le sommeil. Et il revenait, nuit après nuit, se gorgeant d’hémoglobine comme on savoure un vin rare.
Il sentait qu’il changeait. Son corps, désormais, vibrait d’une énergie nouvelle. Son vol était plus stable. Ses ailes semblaient plus fines, plus nettes, plus acérées. Il ne se contentait plus de survivre — il dominait. À sa manière.
Il devint une légende muette. Les anciens parlaient d’une étrange fièvre qui frappait les puissants et épargnait les pauvres. Un mal discret, invisible, qui faisait trembler même les plus robustes. Mais nul ne soupçonnait le minuscule assassin, ce buveur sélectif qui planait au-dessus des rêves. Lui, il riait en silence. Il planait au sommet de son monde, indifférent à la masse grouillante des misérables qu’il considérait comme du bruit.
Il était plus qu’un insecte. Il était une pensée. Une idée. Un choix.
Et déjà, il en voulait plus.
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