Chapitre 7: Le sang qui manque

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Il flottait encore, la nuit venue, mais ce n’était plus le même vol.
Les vents avaient changé.
Le village, vidé de ses rires et de ses chefs, s’étirait comme une bête fatiguée sous la lumière de la lune. Les cases autrefois habitées par les puissants étaient devenues des cavernes où l’écho résonnait plus fort que les voix. Les lampes à huile ne brûlaient plus, les portes restaient closes. Et dans l’air, flottait un parfum d’abandon.
L’anophèle, lui, continuait de tourner.
Mais plus rien ne lui convenait.
Il entrait dans les grandes concessions où les festins s’étaient multipliés. Il retrouvait les corps amaigris des anciens puissants, couchés, inertes, recouverts de linges humides. Leurs veines, jadis pleines de chaleur, étaient maintenant ternes. Leur peau, sèche comme du vieux cuir, ne vibrait plus au passage de sa trompe. Ils étaient encore là, mais ils n’étaient plus vivants.

Il piquait. Une fois. Deux fois. Trois. Rien. Le goût était fade. Comme une eau sans mémoire.
Il se retira, paniqué.

Son corps n’était plus aussi léger. Son abdomen, gonflé depuis des jours, le ralentissait. Son vol était moins précis. Il lui fallait plus de temps pour atterrir, plus d’efforts pour repartir. Et surtout… son ventre criait.
Une faim nouvelle, plus violente, plus douloureuse, l’envahissait.
Il se lança vers une autre case, autrefois habitée par une prêtresse. Il se souvenait encore du goût de son sang, sucré et dense. Mais ce soir-là, il ne trouva qu’un matelas vide, une statuette renversée, des herbes séchées dispersées au sol. La prêtresse était partie, ou morte. Qu’importe. Elle ne lui offrait plus rien.
Il enchaîna les vols. D’une case à l’autre. D’un lit froid à un autre plus froid encore. Partout, l’échec. Les festins étaient devenus des cimetières. Et la panique, lentement, commença à s’installer en lui.
Il redescendit alors, hésitant, vers les quartiers des pauvres.
Là, l’air était plus lourd, saturé de sueur, de poussière, de vie difficile. Les enfants dormaient à même le sol, les adultes sur des nattes en feuilles tressées. Leurs cœurs battaient plus lentement. Leurs veines, visibles sous leur peau fine, pulsaient pourtant.
Il n’avait plus le choix.
Il approcha.
Il tenta.
La piqûre fut immédiate.
Et le rejet, tout aussi rapide.
Son corps, pourtant affamé, refusa ce sang. Il se contracta. Une douleur vive lui traversa l’abdomen. Son aile gauche se crispa. Il recula d’un bond, tournoya dans les airs, manqua de tomber. Le sang n’avait pas le bon goût. Non, pire : il avait un goût d’échec, de défaite, d’indignité.
Il essaya encore. Un autre. Un vieillard. Même résultat. Une nausée l’envahit. Son estomac se tordit, sa vision se troubla.

Son corps criait famine.
Mais son âme refusait le menu.
L’anophèle comprit.
Il avait détruit sa source. Il avait brûlé les greniers sans penser aux semailles. Il avait tant bu les puissants qu’il les avait tués. Et maintenant, il ne restait rien. Rien qu’il puisse accepter. Rien qu’il puisse aimer. Rien qu’il puisse digérer.
Le festin était terminé.
Il erra au-dessus du village, ses ailes battant plus lentement, son vol devenant incertain. Son regard chercha un dernier refuge, une ultime veine, un souvenir.
Mais tout était vide.
Il n’y avait plus que lui.
Lui et sa faim.

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