Chapitre 5 : Tec - Partie 2

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— Et sinon, on est coincés ici ensemble, mais on ne se connaît même pas.

Mattéo resta le nez sous les feuilles qu’il tenait. Seule Theia arrêta de lire pour me regarder, l’air intriguée, l’air perplexe, l’air méfiante. Merde. Je n’avais pas du tout été discret. Elle se doutait que je tramais quelque chose, j’en étais sûre. Ou peut-être étais-je paranoïaque parce que je voyais le mal partout. Au fond, elle avait juste posé ses yeux sur moi, rien de plus. Calmons-nous, tout va bien se passer.

— On a déjà assez à faire avec le triple homicide, répondit-elle.

— On pourrait faire une pause. Et… parler un peu de nous.

— Vas-y, je t’en prie.

Je me pinçai les lèvres entre elles, gêné de cette réponse. Je n’avais pas du tout envie d’étaler ma vie personnelle envers eux. Déjà parce que c’était tabou pour moi, j’en parlais avec personne sauf Enès, de temps à autre, car il avait été témoin de mon passé en direct. Mais surtout parce que c’était des putains de meurtriers. Il était hors de question que je sympathise avec des assassins.

Elle leva les sourcils et sourit. Oui, je lui avais donné un point. J’avais merdé. Mais c’était trop tard pour me reprendre. Maintenant que j’avais creusé ma tombe, il fallait que j’insiste pour découvrir qui était cette Alicia. Alicia, Alicia… Qui étais-tu ?

Theia, peut-être. Elle était réputée pour ne jamais faiblir devant les scènes de crime, elle était donc rodée pour tuer des personnes de sang-froid. Elle n’aurait aucun regret, aucun état d’âme à le faire si elle s’en sentait légitime. Elle ne vomirait pas, ni ne ferait de malaise à cause de la charcuterie qu’elle créerait.

Ou bien Mattéo. Un profiler pouvait facilement rentrer dans la tête des tueurs. Il savait exactement comment ils procédaient, et surtout, leurs failles. Parce qu’il les démasquait toujours grâce à quelques défauts, il savait comment les contourner, comment échapper à la police.

— Tu vois, répondit Theia. Personne n’a envie de dévoiler son histoire à des inconnus.

Je lançai un regard de détresse à Enès afin qu’il m’aide, parce que vu comment j’étais parti, je n’allais pas aller bien loin. Je paniquai, mes lèvres s’entrouvrirent pour tenter de répondre quelque chose, mais ma voix se bloqua sur le champ. J’étais dans l’incapacité de parler, totalement paralysé par le stress qu’ils découvrent notre plan.

C’était un plan stupide, je vous l’accorde. C’était une très mauvaise idée de foncer dans le tas en réclamant des informations privées à des tueurs afin de les découvrir. C’était certain qu’ils allaient se douter de quelque chose. Mais nous n’avions aucun autre plan. Nous étions perdus, bouleversés par ces révélations… La maîtresse, Alicia… Alors nous avons agi sur le moment, sans vraiment réfléchir.

Enès me lorgna enfin, après quelques secondes qui parurent être des heures, et comprit mon état. Oui, j’avais besoin d’aide. Pitié.

— Mon ex m’a trompé, avoua-t-il. Tu avais raison Theia.

Cette information fut un choc pour nous tous, sortie de nulle part, nous nous attendions à tout sauf à cela. Theia me regarda, perturbée, et je voyais dans son regard qu’elle se demandait ce que cela pouvait bien lui foutre. Mattéo daigna enfin lever les yeux des documents qu’il lisait, absorbé par ce qu’Enès venait de nous raconter. C’était un pari risqué, mais cela pouvait fonctionner.

— Eh bien… dit Theia, surprise. Si je m’attendais à ça, rit-elle.

— Je suis célibataire, en froid avec mes parents, avec peu d’amis. Alors bon, mes proches ne me manquent pas tant que ça. Mais je suppose que vous, vous avez des proches qui doivent vous manquer ?

Il était vrai qu’Enès avait pris ses distances avec ses parents. Pauvre Enès qui n’avait plus personne sauf moi. La raison était simple : ses parents désiraient de lui qu’il fasse une grande carrière d’avocat ou de médecin. Or, son rêve avait toujours été de faire partie de la police alors quand il était devenu commissaire, il était comblé. Sauf que ce n’était pas le cas de sa mère qui lui en voulait du plus profond de son être, qui lui avait même dit qu’il était la honte de la famille. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient de grands médecins, avec un salaire à quatre chiffres, et qu’Enès, lui, n’était qu’un pauvre commissaire qui gagnait cinq mille balles par mois. C’était énorme hein, clairement. Un bon salaire pour un mec célibataire, sans enfant, autant dire qu’il vivait convenablement. Mais ce n’était pas suffisant pour ses insupportables parents. Je les détestais, car ils avaient rendu mon ami triste. La famille avait toujours été un sujet tabou depuis que je le connaissais, et la rare fois où il m’avait raconté cette histoire, il avait été au bord des larmes. Alors le voir parler de ce sujet aussi sensible à Theia et Mattéo, de parfaits inconnus, sans sourciller, prouvait à quel point l’enjeu était grand.

— Humpf, soupira Theia. Ma fille me manque, oui.

Sa fille ? Donc Theia avait une fille. Bien, mais on s’en contrefichait bien. Nous, ce que nous voulions savoir, c’était si elle sortait avec Anaïs Bouchard. Je n’avais qu’une envie, c’était de leur demander directement : « Qui de vous deux sort avec Anaïs Bouchard, nom d’une pipe ? », mais si l’un des deux était bien le tueur, c’était prendre le risque qu’il s’emporte par la panique d’être découvert. Alors je me tus et laissai faire Enès, qui était bien plus subtile que moi.

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