Chapitre 6 : Enès - Partie 1

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Tec avait été con. Il avait foncé dans le tas, désespéré de ne pas trouver le coupable assez vite, et voilà maintenant que nous avions perdu toute notre avance. Surtout pour être au même point qu’avant : on ne savait toujours pas qui de Theia et Mattéo avait commis le triple homicide. D’ailleurs, peut-être que ce n’était pas l’un d’eux, qui pouvait savoir ? Peut-être qu’il s’agissait d’un.e autre enquêteurice qui avait bossé sur ces deux affaires. Même si j’avais confiance en lui, on ne pouvait pas accuser quelqu’un sans preuve, c’était notre métier d’agir ainsi. Et là, il avait complètement merdé.

Theia se fâcha, avec ses narines dilatées, son regard noir et ses sourcils froncés, elle allait péter un câble. Cela se voyait, dès qu’elle allait ouvrir la bouche, elle allait hausser le ton en nous accusant de choses horribles. « Vous n’êtes que des connards ! » dirait-elle. Bon, peut-être pas à ce point, mais elle le pensait, c’était sûr.

— Putain, j’y crois pas. Vous êtes en train de nous accuser d’avoir tué les Abernathy ?

— Ce ne sont que des suppositions.

— Et pourquoi nous ? Pourquoi pas vous ? Vous aussi, vous avez bossé sur l’affaire Duval, à ce que je sache.

— Pourquoi nous aurions balancé l’information sur l’identité de la maîtresse si nous étions coupables ?

— Pour accuser quelqu’un d’autre, tiens. Regarde Tec, c’est quoi ton alibi ? Pourquoi ça ne serait pas toi le tueur ? Tu nous sors l’identité du tueur sortie de nulle part. Comment peux-tu le savoir ?

Nous étions tous à cran, épuisés pas nos journées à rallonge, pas la tempête qui nous irritait les tympans à force de l’entendre, et surtout, par le fait de pédaler dans la semoule avec cette affaire Abernathy. C’était la première fois que je voyais Tec dans cet état : un rire sarcastique lui sortit de la gorge, un rire de psychopathe qui venait de faire une nouvelle victime. Je vous le jure, j’en frissonnais tant cela me glaçait le sang. Il ne pouvait plus s’arrêter de rire, pris dans un fou rire qui s’éternisait et nous rendait tous mal à l’aise. Et là, je me disais que peut-être toute cette histoire était une bonne blague, qu’il nous filmait en douce et que nous allions tous rire ensemble. Parce que c’était ce que cela sous-entendait, cette ambiance aussi morbide que ridicule. Mais hélas, Tec était juste exténué et partait en fou rire pour n’importe quoi.

— Ah ! J’ai mal aux abdos. Non, bien sûr que non, je n’ai pas tué les Abernathy.

— Prouve-le, exigea Theia.

— Je n’ai aucune preuve. Vous non plus.

— Ça fait maintenant deux jours qu’on émet des hypothèses sur les neuf suspects. Deux jours qu’on se creuse la tête. Et toi, tu arrives de nulle part, avec l’idée que Mattéo ou moi ayons tué les Abernathy. Soi-disant parce que tu connais une Anaïs Bouchard qui sortirait avec une Alicia Delamarre qui serait l’un de nous deux. Ça n’a aucun foutre sens !

Le truc avec Tec, c’était qu’il avait un passé pas des plus reluisants. Pour la faire courte : il était responsable de l’assassinat d’une femme. Bon, dit comme cela, tout le monde l’accuserait du meurtre des Abernathy. Mais c’était un peu plus complexe que cela.

Pour la faire plus longue : c’était sa dernière affaire de tromperie, un homme, Gabriel Lambert, trente-huit ans, l’avait engagé pour rechercher si sa femme, Camille Lambert, le trompait. C’était le genre d’histoire qu’il traitait souvent alors, il avait l’habitude. Il avait accepté sans rechigner ni sans savoir dans quoi cela l’embarquerait.

Gabriel paraissait correct : il était la plupart du temps vêtu d’un costume gris, avec une petite chemise blanche et une cravate noire à motif doré. Il portait des chaussures de ville marron, et le tout formait une élégante tenue qui ne laissait rien transparaître hormis le sérieux de cet homme. C’était d’ailleurs un homme d’affaires, assez riche, assez populaire. En tout cas, il avait l’argent pour engager un détective privé, que dis-je, le meilleur détective privé du pays, pour une simple histoire de tromperie. Cela aurait dû mettre la puce à l’oreille de Tec qui n’avait rien remarqué d’étrange jusque-là. Mais au fond, c’était d’une évidence : Gabriel était méticuleux, perfectionniste et appliqué. Si bien qu’on aurait dû se douter de ce qu’il allait se passer à l’avenir. Je dis « nous » parce que Tec me racontait tout en détail à cette époque. Je sais, ce n’était pas bien, c’était contre la déontologie de son travail, mais nous étions des amis proches, alors cela ne comptait pas.

Tec avait récolté toutes les preuves comme quoi Camille le trompait avec un jeune homme de vingt-six ans, Maxime Dupont, professeur au collège Jacques Prévert à Paris, smicard, habitant en banlieue. Bref, Tec connaissait toute leur vie au grand complet. Il l’avait suivie en sortant de son boulot, à midi, rejoindre Maxime à son collège pour déjeuner ensemble. Il avait, bien évidemment, pris des photos d’eux en train de s’embrasser sur le devant de l’établissement, pour se dire au revoir. Tec avait récolté toutes les preuves et les avait montrées à Gabriel.

Une semaine plus tard, nous apprenions la mort de Camille : poignardée trois fois en plein cœur et au visage, puis brûlée vive. C’était atroce, une mort lente et douloureuse qui nous avait secoués. Nous étions bouleversés par cette annonce, mais pire encore pour Tec qui se sentait coupable. Selon lui, tout était de sa faute. Je ne l’avais jamais considéré ainsi, jusqu’à maintenant… Il était vrai que Tec nous avait sorti cette histoire d’Alicia Delamarre de nulle part. Et je me sentais horrible de douter de mon ami de la sorte. Et pourtant, je ne pouvais pas m’en empêcher.

En tout cas, cette histoire nous suivit jusqu’à ce chalet. C’était d’ailleurs la dernière fois que Tec acceptait de prendre une affaire de tromperie, peu importait la somme donnée. Il avait toujours refusé, par principe et pas culpabilité de cette affaire Lambert, d’avoir participé à un féminicide qui le hantait jusqu’à aujourd’hui. Du moins, la dernière fois jusqu’à Alexandre Aubertin. Je ne savais pas ce qui l’avait poussé à accepter cette histoire, cela lui remuait le couteau dans la plaie et le faisait souffrir à petit feu. Si toutefois, tout était vrai. Je commençais à me méfier de Tec, Theia et Mattéo étaient rentrés dans ma tête, et voilà que je pensais que mon meilleur ami pouvait être le tueur du chalet !

Il y eut un grand silence aussi lourd que lorsque nous avions découvert la scène de crime à quelques mètres d’ici. Personne n’osa répondre à Tec. Nous ne savions pas quoi répondre : est-ce que je devais le défendre ? Alors que je doutais moi-même de lui ? Est-ce que Theia et Mattéo devaient l’attaquer, quitte à se rendre tout aussi suspects que lui ? Il valait mieux ne rien faire et se taire, alors tout le monde se tut.

Après quelques secondes, probablement vexé que je ne prenne pas sa défense, Tec se leva subitement et s’isola dans la chambre, prétextant qu’il avait besoin de se reposer de toutes ces fortes émotions que nous venions de vivre. Je le suivis pour le rejoindre quand Theia m’arrêta sur l’instant.

— Enès. Sérieusement, tu y crois à cette histoire d’Alicia Delamarre ?

Est-ce que j’y croyais ? Je ne le savais pas. Je n’avais encore jamais douté de Tec, mais l’affaire Lambert me revenait en plein visage. J’avais toujours mis son silence quant à cette histoire sous la culpabilité, le fait de ne pas vouloir en parler parce que ça le rongeait de l’intérieur. Car il ne m’en avait jamais reparlé et dès lors que je tentais d’aborder cette discussion, il se braquait et changeait nettement de sujet. Mais maintenant, je me demandais plutôt si ce n’était pas parce qu’il était suspect quelque part. Après tout, il avait attendu deux semaines avant d’apporter son témoignage qui inculpait Gabriel à la police. Pourquoi ? Je n’avais jamais su. Il ne m’avait jamais voulu me dire la raison de son silence. Je ne sais pas, moi, si j’étais à sa place, en apprenant la nouvelle, j’aurais foncé à la police pour tout dévoiler, pas vous ? Je n’aurais sûrement pas attendu deux longues semaines, ce que faisaient tous les coupables. Je ne savais plus rien, j’étais complètement perdu dans cette histoire et j’étais incapable de répondre à Theia.

— Avoue que tout ça n’a aucun sens, continua Theia. Tu vas nous penser coupables d’un triple homicide basé sur un témoignage de Tec qui n’a aucune valeur, aucune preuve, ni rien ?

— Non, bien sûr que non.

J’étais un commissaire, je me devais de garder la tête sur les épaules. Bien que Tec soit mon ami, je ne pouvais pas le croire sur parole même si j’étais convaincu par son discours quand il m’a annoncé que la maîtresse était Anaïs Bouchard. Mais avec du recul, je me rendis compte que tout cela sonnait faux. Enfin, plutôt maladroit. Une femme qui aurait trois relations en même temps, cela s’était déjà vu, certes, mais celle-ci dont l’un de ses amants serait mort assassiné par son autre amant qui travaillerait sur cette enquête, et dont son conjoint serait le client du détective de l’enquête. Cela me paraissait un peu gros. Mais d’un côté, cela ne s’inventait pas non plus… Je ne savais plus qui croire. Theia et Mattéo avaient raison de s’offusquer de ces accusations, mais Tec avait ses raisons de les accuser. Je devais choisir entre la tête et le cœur, entre le sang-froid et mes émotions.

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