Chapitre 6 : Enès - Partie 2

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Je décidai de rejoindre Tec dans notre chambre afin de prendre la température. Il était assis sur le lit, dos à moi, mais je pouvais facilement deviner qu’il était agacé. Lui, Eric Sares, l’homme le plus détendu du monde, était agacé. Il fallait le faire pour le mettre dans cet état, le pousser à bout. La dernière fois que je l’avais vu ainsi, c’était lorsqu’il avait appris que son ex avait fait son coming-out avec son nouveau compagnon. Il avait vrillé, littéralement. Un vase y était passé, brisé en mille morceaux à terre. Mais ce n’était que du matériel, ce qui comptait, c’était lui qui souffrait. Alors je l’avais calmé, en sortant les bons mots au bon moment. Ce ne fut qu’après une longue discussion de deux heures qu’il réussit enfin à prendre sur lui, à relativiser et passer outre. Enfin, c’était ce qu’il laissait sous-entendre, mais en réalité, il ne s’en était jamais remis. J’avais nettoyé les morceaux de vase éclatés au sol gentiment, sans rien dire pour ne pas lui mettre la faute dessus. Bref, j’avais été là pour lui. Et lui avait été là pour moi quand mon ex s’était barrée avec Steeve. Alors ça me faisait du mal de douter de lui à cet instant, je me sentais comme sale, un traître.

— Tec… ?

Il ne me répondit pas, ce silence nous écrasait lentement. Je contournai le lit pour apercevoir ses mains qui se tripotaient l’une de l’autre, c’était son tic quand il angoissait : il s’arrachait les peaux mortes autour des ongles. C’était exactement ce qu’il faisait. Après, restait à savoir pourquoi il était aussi anxieux.

— Il ne faut pas leur en vouloir… insistai-je avant d’être coupé.

— Je suis sérieux. L’un d’eux est un meurtrier et eux, ils m’accusent. C’est incroyable.

— Tu ne sais pas si c’est l’un d’eux. Ça peut être une autre personne qui a bossé sur l’affaire Duval et Abernathy.

— Et si c’était l’un d’eux ?

Il me fixa, les yeux emplis d’émotions diverses : de tristesse, de détermination et de déception. Il sentait que je n’étais pas de son côté, et cela le détruisait, parce qu’il était question de l’enquête. Celle qui boosterait notre carrière si nous la résolvions et celle qui nous tuerait de l’intérieur si nous échouions. Vous imaginez, trois meurtres dont une jeune fille de quinze ans, vous passez à deux doigts de trouver l’identité du tueur, mais vous échouez. Ces meurtres vous hanteraient jusqu’à la fin de votre vie. Et toutes les nuits, vous rêveriez de ce chalet ensanglanté, à revoir les images de la scène de crime en boucle sans jamais pouvoir vous dire que vous avez foutu un coupable en prison. C’était atroce à vivre et je ne le souhaitais à personne, certainement pas à Tec. Mais je ne pouvais pas m’empêcher de me méfier de son hypothèse, car nous avions passé deux jours à émettre toutes les théories du monde et que celle-ci était la moins crédible de toutes.

— Tu ne me crois pas, lâcha-t-il déçu. Je rêve ! Tu ne me crois pas, bordel.

— Il faut dire, Tec, que c’est un peu tiré par les cheveux, cette histoire d’Anaïs.

— Merde Enès. Moi, je t’ai toujours cru. Je t’ai toujours soutenu. Je n’ai jamais douté de toi.

— Oui, je sais. Mais tu sais… Comment dire… Avec ton passé…

— Mon passé ? Tu parles de l’affaire Lambert, c’est ça ? Je n’y pouvais rien s’il l’a tuée !

— Alors pourquoi tu as attendu deux semaines avant de témoigner à la police ?

— Parce que je m’en voulais ! Putain, mets-toi à ma place. Elle est morte parce que je l’ai dénoncé. Elle est morte à cause de moi. Mais je n’y suis pour rien. Je n’arrête pas de me le répéter, et toi aussi, tu me le répètes : je n’y suis pour rien. Pourquoi tout d’un coup, tu doutes de ça ?

— Je sais que tu n’y es pour rien. Mais le fait d’attendre deux semaines, c’est bizarre, non ?

— Donc quoi, j’ai tué les Abernathy ?

Je le fixai dans un silence de mort, sans savoir quoi répondre. Peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Est-ce que je le voyais commettre un triple homicide ? Non. Est-ce que je voyais un de mes collègues le faire ? Non plus. Ce meurtre était si insensé que personne, dans ma tête, n’aurait pu le faire. Et pourtant, les faits étaient là. Quelqu’un avait bien été assez cruel pour tirer dans le crâne de George, puis dans le buste de Juliette, trois fois, et dans la tête de Chloé pendant qu’elle dormait. C’était un crime de lâche qui n’assumait même pas son acte. Et si Tec devait tuer un jour, cela serait comme ceci : à l’aide d’un flingue, il tirait dans la tête. Parce qu’il ne savait pas se battre, qu’il n’eût pas assez de force pour enfoncer un couteau dans une chair robuste et ferme, même avec de l’adrénaline, cela demandait une certaine puissance physique.

Mais avec un peu de recul, quel aurait été son mobile pour les tuer ? Il ne pouvait pas être l’amant d’Anaïs, car il était gay. Cela n’avait aucun sens qu’il les tue. Mais il y avait bien ces trois jours où nous n’étions pas ensemble, dates qui correspondaient à celles du meurtre des Abernathy. Non, non. Reprends-toi Enès. C’était ridicule. Tec ne pouvait pas être le tueur du chalet. Merde ! Tec pouvait être le tueur du chalet ? Et s’il avait une raison qui m’échappait. S’il avait inventé toute cette histoire d’Alicia pour nous embrouiller ?

Il baissa la tête, ses yeux rivés sur ses mains tremblotantes : il avait compris. Il savait ce que je pensais, il savait que je me méfiais de lui. Il pouvait lire en moi comme dans un livre ouvert. C’était ce silence qui m’avait trahi, parce que si j’étais de son côté, j’aurais immédiatement répliqué que c’était des conneries, or je n’avais rien dit.

— J’y crois pas. Tu penses que je les ai tués.

— Ce n’est pas ce que j’ai dit.

— Tu n’as pas besoin de le dire. Je sais que tu le penses.

— C’est faux. Je me questionne simplement.

— C’est déjà trop Enès.

Trop pour qui ? Pour moi ou pour lui qui avait tué ces pauvres innocents. Non, calmons-nous et reprenons-nous. Tec n’y était pour rien dans ce triple homicide, il le fallait parce que sinon j’allais devenir fou. Tec… Hein pas vrai que tu n’y étais pour rien ? Rassure-moi pour que je ne vrille pas sur le champ.

Parce que si Tec était le tueur, cela signifierait que mon meilleur ami était le tueur du chalet, que je dormais sous le même toit qu’un assassin qui avait tué trois innocents, dont une gamine de quinze ans qui dormait paisiblement. Celui qui avait fait cela était un monstre, je vous le dis : un monstre. Le vrai de vrai. Celui dont on avait peur, celui dont on racontait son histoire aux enfants pour les traumatiser un soir de camping. Bref, tout sauf Tec qui avait peur devant les films d’horreur. Je ne l’imaginais pas du tout tuer. Non, mais c’était vrai quoi, il avait des nausées rien que devant les séries de télévision qui montraient un peu trop de faux sang, il était anti-gore, trouvait cela barbare. Même Grey’s Anatomy était trop violent pour lui, il trouvait cette série trop sale et dérangeante. Et là, tout à coup, il serait le tueur de trois pauvres gens ?

J’avais besoin de respirer, de prendre l’air, de fumer une bonne cigarette bien que je ne fumais pas, mais là, pour le coup, je me disais qu’une clope m’aiderait à me détendre et à prendre du recul sur cette situation. Bien évidemment, je ne pouvais pas le faire parce qu’il y avait cette maudite tempête qui nous empêchait de mettre un pied dehors. Argh. J’étais coincé dans cet air oppressant, cette ambiance pesante, cette atmosphère tendue. Bon, ce n’était pas si grave. J’allais me faire à manger, oui, tiens, de la nourriture pour me changer les idées. Cuisiner m’aidait à penser à autre chose, quand j’étais en colère par exemple, je cuisinais. Quand mon ex m’avait trompé avec Steeve, j’avais fait un cheesecake au coulis de framboises. Quand je me demandais si je l’aimais encore ou non, j’étais devenu pâtissier amateur tant je produisais des desserts à la chaîne. Alors là, j’allais nous faire un bon petit plat pour qu’on puisse tous se détendre et arrêter de se tirer dans les pattes n’était-ce que quelques minutes.

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