Partie 2
Je me réveille en sursaut. Je suis de retour dans la forêt. Le soleil est haut dans le ciel et je pense qu'il doit être l'heure de manger. D'ailleurs mon estomac me le confirme en gargouillant bruyamment. Je me lève et m'étire avant de me mettre en route vers le palais. Dans la forêt je tombe nez à nez avec le prince qui porte une chemise blanche rentrée dans un pantalon bleu et des bottes noirs. Celui-ci sursaute en me voyant et il soupire avant de s'approcher. Je me mets à grogner pour lui faire peur et lui dire de reculer, je n'ai pas envie qu'il me touche, mais il ne semble pas avoir peur et il s'arrête devant moi :
- Je sais que c'est toi Eweïn, et je sais aussi que tu ne me feras pas de mal.
Je souffle et m'assois pour le regarder en attendant qu'il me dise ce qu'il vient faire ici :
- Tu dois sans doute te demander pourquoi je suis là, et bien j'étais simplement venu te chercher pour le déjeuner. Je te laisse te rhabiller moi je vais manger.
Damian tourne les talons et je le regarde partir avant de rentrer aussi. Je reprends forme humaine et me rhabille avant de retourner au palais.
Comme le matin, je me dirige dans la salle à manger. La table a été débarrassée du petit déjeuner et maintenant des dizaines de plats succulents y trônent fièrement.
Le roi ainsi que le prince sont déjà à table et je m'assois également avant de me mettre à manger. Aucun de nous ne parle. J'ai l'impression que l'atmosphère est différente, plus pesante et surtout plus froide.
Le roi termine son repas en premier et il sort sans rien dire. La pièce se réchauffe immédiatement et j'ai l'impression de respirer plus librement :
- Tu l'as remarqué n'est-ce pas ? demande Damian en me regardant droit dans les yeux.
- De quoi tu parles ?
Il soupire, je pense savoir où il veut en venir mais on ne sait jamais peut-être que je me trompe, aurait-il découvert la possession dont son père est victime ?
- Écoute je sais que tu ne m'aimes pas, ce que je peux comprendre... Mais est-ce que tu serais d'accord de me rejoindre dans ma chambre après le repas ? Je voudrais juste te parler en priver.
Je le regarde avec encore plus de méfiance, il me prend vraiment pour un idiot ou quoi ? Il pense vraiment que je vais sagement dire « oui » ? J'ai bien envie de refuser, mais quelque chose dans son regard me dit que je devrais peut-être lui laisser le bénéfice du doute. Et puis si jamais il tente quoi que ce soit, je sais me défendre :
- Très bien je viendrais, je lâche un peu à contre cœur.
Le prince sourit avant de se lever et de partir. Il ne reste que moi à table et je prends le temps de terminer mon assiette avant de retourner dans ma chambre pour me laver les dents. Quoi ? Je n'ai pas envie d'avoir des dents sales.
Une fois fait, j'hésite franchement à aller dans la chambre de Damian, après tout même si j'ai dit que j'irais qu'est-ce qui me pousse à tenir ma parole ? De toute manière je ne lui ai rien promis. Mais je ne suis pas ce genre de personne qui s'engage avant de partir en courant, alors je vais y aller et il a intérêt à ce que ce soit important !
Je sors de ma chambre et me dirige vers celle du prince. Je frappe avant d'entrer et ensuite je referme la porte derrière moi. Sa chambre est aussi grande que la mienne, avec des murs couverts de tapisserie, un grand lustre au plafond et de grande fenêtre. Il a aussi un immense lit contre l'un des murs, un bureau sous une fenêtre et une porte en face avec une armoire à côté.
Damian est assis devant une cheminée en pierre rouge avec une petite table en verre et des fauteuils en velours rouge devant :
- Tu es venu, ça me fait plaisir, dit-il avec une voix soulagée.
Je m'assois sur l'un des fauteuils en face du sien tout en le regardant avec méfiance. Je n'ai pas d'arme avec moi mais je sais très bien me défendre à main nu :
- Qu'est-ce que tu me veux ?
- Te parler de mon père. Je sais que tu le détestes et je te comprends... Mais sache qu'avant il n'était pas comme ça, c'était un homme bon et juste, jamais il ne se serait permis d'envahir les autres royaumes. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, mais depuis quelques années il est devenu cruel et avide de pouvoir, il n'est plus le même. Et je sens une magie noire et maléfique qui émane de lui.
- Je vois, et pourquoi tu m'en parles à moi ? je demande en fronçant les sourcils.
Il a donc remarqué que son père n'était plus lui-même, c'est déjà une bonne chose, maintenant reste à savoir ce qu'il compte faire pour ce problème :
- Parce que j'ai besoin de ton aide pour tuer mon père.
Je le regarde avec des yeux ronds. Il vient bien de dire qu'il veut que je l'aide ? Moi ? Je me renfrogne un peu, il me prend pour un idiot ou quoi ?
- Et pourquoi je ferais ça ? Tu penses que je suis trop idiot pour savoir que dès qu'il sera mort c'est moi qu'on mettra en prison ? Tu peux toujours rêver je refuse de croupir dans un cachot jusqu'à ma mort !
- Je sais que tu ne me fais pas confiance, mais je te donne ma parole que si tu m'aides à tuer mon père, je romprais notre mariage et je te rendrais ta liberté à toi et à ton peuple. Je tiens toujours mes promesses.
- Et comment je pourrais te croire alors que tu veux tuer ton propre père ? je questionne avec méfiance.
- Cet homme n'est plus mon père. Je sens qu'il est mort et a été envahi par quelque chose de plus sombre et maléfique... Et je pense que tu sais ce dont il s'agit, alors je t'implore de m'aider. Tu as ma parole que tu n'iras pas en prison et qu'une fois que je serais devenu roi toi et ton royaume seront de nouveau libre. Je compte rendre leur indépendance à tous les royaumes que mon père a volés.
Je vois dans ses yeux qu'il est sincère, mais je n'ai pas envie de l'aider. Je ne veux pas prendre de risque... Mais je n'ai pas vraiment le choix car il faudra de toute manière que je tue le roi. Alors autant le faire en étant sous la protection du prince non ?
- Très bien je vais t'aider, je lâche en soupirant.
Il sourit et je sens toute sa tension quitter ses épaules. Il a l'air tellement soulagé que cela me donne une raison de plus de le croire quand il m'affirme être sincère :
- Merci, alors que sais-tu sur ce qui arrive à mon père ? interroge-t-il.
J'hésite un peu à lui répondre, mais bon comme nous allons coopérer autant lui donner toute les informations dont je dispose. Je lui parle donc de ce que m'a révélé mon Dieu. De ce qui se cache dans le corps du roi et de la façon dont il faut procéder pour l'éliminer. Une fois mon explication terminée, il me regarde en semblant se demander si je me paie sa tête ou pas. Cependant il doit sans doute décider que je ne mens pas car il hoche la tête :
- Je vois, je comprends mieux pourquoi il est comme ça, et j'ai bien fait de te demander ton aide car sinon c'est moi qui me serais retrouvé posséder.
- Alors qu'est-ce qu'on attend ? Allons le voir pour le tuer !
- Ce n'est pas si simple que ça tu sais.
Je le regarde sans comprendre ce qui lui fait affirmer ceci, bien sûr que si c'est simple, il suffit d'aller voir le roi, sceller l'esprit dans son corps et lui couper la tête ou bien lui percer le cœur :
- Pourquoi tu dis ça ? je demande.
- Mon père se méfie de nous, de moi parce qu'il a peur que je prenne sa place et de toi parce qu'il craint que tu tentes quelque chose contre lui. Nous devons lui faire croire que c'est faux, que nous nous aimons tous les deux. Ainsi il pensera que tu es heureux ici et que donc tu n'auras plus aucune raison de vouloir sa mort et pour moi il pensera que je suis trop occupé avec toi pour vouloir lui prendre le trône.
Je me renfrogne un peu, je n'ai pas envie de faire semblant de vivre le parfait amour avec ce blond :
- Il n'y a pas d'autre solution ? je questionne avec espoir.
- Non je suis désolé. Je sais que ça ne t'enchante pas de devoir faire ça mais nous n'avons pas vraiment le choix, et je te rassure, tu n'auras pas à dormir avec moi, même si ça ne ferait que renforcer l'image que nous voulons donner. Cependant je ne te forcerais pas à le faire.
Je soupire. Je n'ai donc pas le choix.
***
Les jours suivant le prince et moi passons plus de temps ensemble, au début nous y allons doucement. Ça commence par des balades dans les jardins, puis par des repas que nous prenons ensemble ou bien des séances de lecture dans la bibliothèque royale. Nous nous donnons aussi des noms tendres, lui m'appelle « chaton ». Ça ne me plait pas vraiment mais bon, je dois jouer le jeu, alors je le surnomme « Mon ange ». Nous ne parlons pas vraiment quand nous sommes seuls. Mais quand nous sommes en public nous nous tenons la main et nous nous embrassons. Au début j'ai eu beaucoup de difficultés avec ce genre de geste d'affection, car pour moi c'est impossible de mentir en faisant de telle chose et j'ai donc eu beaucoup de mal à jouer le jeu. Mais plus les jours passent plus je me sens à l'aise dans mon rôle de mari.
J'ai même finit par accepter de dormir dans son lit. Au début j'ai refusé car je n'avais pas du tout envie de partager sa couche. Mais il m'a promis qu'il ne tenterait rien et il a respecté cette promesse. Je dois avouer que ça me fait bizarre de partager le même lit que lui. Mais au final ça ne change pas grand-chose par rapport à avant vu qu'il fait tout pour éviter de me gêner quand je dors.
Je ne pensais pas que ça arriverait... Mais passer du temps avec lui commence à faire changer la vision que j'ai du prince. Au début je pensais que c'était un homme mauvais, égoïste prétentieux et pervers. Mais non, plus je passe du temps avec lui, plus je le découvre doux, attentionné et soucieux du bien-être de son peuple. Je comprends mieux les raisons qui le motivent à vouloir prendre le trône. Ses sujets souffrent de la soif de pouvoir de son père, la famine et la pauvreté commence à se répandre dans le royaume car tout leur or et leur vivre partent pour la guerre. Damian souhaite juste arrêter ça et rendre de nouveau heureux son peuple.
Le voir comme ça me fait ressentir des sensations très étranges. Je me rends compte que plus j'apprends à le connaître, moins je le déteste. J'ai la poitrine qui me brûle et des sensations étranges dans le ventre. Est-ce que je suis en train de tomber amoureux de lui ? Non ce n'est pas possible, je ne peux pas, c'est mon ennemi !
Cependant j'ai beau essayer de me convaincre de ça, plus les jours passent et plus je me dis que si, je suis bel et bien en train de succomber à son charme. Je ne peux même pas le blâmer pour ça puisqu'il ne fait rien de spécial pour que je l'aime. À moins que ce soit le fait qu'il se comporte comme un mari qui me fait fondre ?
Je réalise soudain qu'il arrive à me faire voir le bon côté de son peuple, qu'ils ne sont pas tous horribles et monstrueux comme je le pensais et surtout, que LUI n'est pas comme ça.
Après plusieurs semaines à jouer la comédie je maîtrise assez bien la chose. Mais je commence à en avoir un peu marre de faire semblant.
Je décide donc de l'attendre dans sa chambre, parce que oui même si j'y dors, je ne la considère pas vraiment comme étant la nôtre.
Il entre et sourit en me voyant assis sur le lit :
- Je vais finir par croire que tu aimes partager mon lit finalement, dit-il en allant derrière un paravent pour enfiler ses habits de nuit.
- Il faut qu'on parle.
Je décide d'aller droit au but, je n'ai pas de temps à perdre et je ne veux pas prendre le risque qu'il comprenne ce que je ressens pour lui. Je suis certain que ce n'est que passager et une fois que je serais rentré chez moi ça passera.
Il s'approche, vêtu d'un pantalon en coton et d'une chemise de la même matière. Il doit remarquer mon air sérieux car le sien m'imite aussitôt et il s'assoit en face de moi :
- Je t'écoute Eweïn.
- Quand est-ce qu'on va enfin passer à l'action ? Cela fait des semaines qu'on joue au parfait petit couple. Je pense qu'il a enfin détourné son attention de nous tu ne crois pas ?
Damian semble réfléchir avant de finir par hocher la tête :
- Ce n'est pas faux, mon père me pose beaucoup moins de questions et surtout, il ne me garde plus à l'œil autant qu'avant. Voilà ce qu'on va faire, demain je vais faire croire à mon père que je veux lui parler en privé d'une chose importante. Je vais l'amener dans la chambre et le distraire pour que tu puisses l'attaquer par surprise. Tu lui poseras la marque sur le front et ensuite je le tuerais.
- Et s'il ne veut pas te suivre ? Ou s'il se rend compte que quelque chose cloche ? je demande pour être sûr.
- Je trouverais un moyen pour le convaincre que c'est important. Et s'il utilise la magie je me servirais de la mienne pour le retenir et te laisser le temps d'agir.
Il a l'air si sûr de lui, comme s'il n'avait pas peur que ce plan échoue. Moi je suis beaucoup plus prudent et j'envisage toujours la possibilité que ça ne réussisse pas. Et ça m'inquiète car si jamais je n'y arrive pas, je ne sais pas ce qu'il pourrait m'arriver. Je ne pense pas que l'entité prendra le risque de me tuer et de devoir se battre de nouveau avec les miens. À moins que ça ne lui fasse pas peur ?
Mais la pensé qui me traverse tout de suite est « si on y arrive je vais enfin pouvoir rentrer chez moi ». Mais bizarrement cette idée me fait mal au cœur. Je devrais être content de savoir que je vais retrouver ma liberté et pourtant... Je n'y arrive pas, j'ai une horrible douleur dans la poitrine qui me donne l'impression que mon cœur a été arraché :
- Ça va Eweïn ? Tu fais une drôle de tête.
Je sursaute en tournant mon regard vers le prince. A-t-il remarqué ce qu'il se passe dans ma tête ? Peut-il lire dans les pensées ?
- Oui ça va ne t'en fais pas, on va se coucher ? je questionne en m'efforçant de sourire pour le rassurer.
Il n'a pas vraiment l'air convaincu par ma réponse, mais il n'insiste pas. Damian doit sans doute se dire que si je ne veux pas lui en parler c'est pour une bonne raison.
Nous nous allongeons côte à côte dans le lit avant de monter la couette sur nous et il se tourne vers moi :
- Parle-moi de chez toi.
Je le regarde, vraiment étonné par ce qu'il vient de me demander. Pendant les semaines que nous venons de passer nous n'avons jamais évoqué mon pays et maintenant il veut que je lui en parle ?
- Pourquoi ? Que veux-tu savoir ? je demande en me tournant à mon tour vers lui.
- Tout, j'ai envie de connaître le plus de chose possible.
Je suis encore plus choqué par sa révélation, est-ce qu'il se fiche de moi ? Non, je vois dans ses yeux qu'il est totalement sérieux. Alors je décide de lui parler à un peu de nous :
- Il existe d'autres hommes-animaux, des carnivores comme des herbivores. Nous sommes voisins avec le peuple des Hommes-loups et des Hommes-lapins. Nous sommes en commerce avec eux. Nous évitons un maximum les conflits car nous n'aimons pas la guerre. Nous aimons aussi beaucoup accueillir les autres Hommes-animaux chez nous. Nous sommes un peu une sorte de havre de paix où ils viennent se réfugier quand ils ne sont plus en sécurité chez eux.
- Dis-moi, quand vous chassez, comment vous savez si vous traquer un animal normal ou un hybride ? demande-t-il.
Je suis surpris parce que pendant tout mon monologue il m'a regardé avec de l'attention et surtout de la fascination, comme si j'étais la chose la plus passionnante du monde. Sentir se regard sur moi m'a fait me sentir encore mieux :
- Nous avons une odeur différente des animaux normaux, c'est comme ça que nous faisons pour ne pas confondre. Nous avons deux festivals majeurs chez nous, celui en l'honneur de notre Dieu, Anima, et celui de la Pleine Lune.
- Vraiment ? Et vous fêtez quoi pendant le deuxième ? questionne-t-il avec curiosité.
- Et bien aussi étrange que cela puisse paraître, les enfants nés pendant cette nuit-là sont plus doués que les autres dans tous les domaines. On pense que ce serait une bénédiction de notre Dieu. Pendant le festival tous les enfants de la pleine lune vont au temple et prient, baignés dans la lumière de la lune. Ensuite on a le droit d'aller s'amuser avec les autres.
- Et toi tu en es un ?
Je hoche la tête, oui je suis né pendant cette nuit-là et je le regarde :
- Est-ce que tu veux savoir d'autres choses où j'ai satisfait ta curiosité ?
- Oui, quand un couple homosexuel veut avoir des enfants, comment vous faites ? Vous demandez à une femme de le porter pour vous ?
- C'est tout à fait ça, et vous vous faites comment ?
Il semble surpris que je pose la question, mais il sourit encore un peu plus, il a l'air content :
- Comme vous, même si certain essaie de créer des enfants par Alchimie, explique-t-il.
J'écarquille les yeux, choqué par ce qu'il vient me dire, comment c'est possible ?
- Ils essaient de fabriquer des enfants ? Et ça marche ?
- Non rassure-toi, faire le corps est facile, mais rien, pas même la Magie ou l'Alchimie ne peut reproduire une âme et un esprit. C'est ce qui fait que nous les êtres vivants ne pouvons pas être fabriqués.
Je suis soulagé, je ne me suis même pas rendu compte que ce qu'il m'a dit m'avait stressé. Je ne sais pas pourquoi mais l'idée qu'on puisse fabriquer des êtres vivants ne me plait pas du tout. Je trouve ça horrible et ça me rassure de savoir que ce n'est pas possible :
- On devrait aller se coucher, demain il va falloir qu'on soit en forme pour mettre notre plan à exécution, je lâche en le regardant.
Il hoche la tête et il se met sur le dos et je l'imite avant de fermer les yeux. J'ai peur, peur de me louper et que l'esprit s'en prenne à mon peuple pour se venger. Et surtout, j'ai la crainte que Damian meure par ma faute. Avant je ne m'en serais pas soucié, parce que je le considérais comme mon ennemi, mais maintenant que je le connais mieux je réalise que ça a changé.
Je mets un long moment à m'endormir, rongé par la crainte de ne pas être à la hauteur. Je fais le vide dans mon esprit et c'est ça qui m'aide à sombrer dans les bras de Morphée.
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