2/3 - Heloïse

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C’est l’heure de la baignade, on appelle de partout. Surtout ne pas bouger. J’entends maman qui annonce qu’elle viendra plus tard, avec moi. Qu’ils partent ! Surtout, qu’elle parte, elle ! Ma colère monte encore plus. Qu’est-ce qu’elle me veut, cette emmerdeuse ? Qu’elle me foute la paix !

On n’entend plus rien, ils sont tous partis. Il ne se passe rien. Je suis toujours sur le ventre quand je sens le lit plier. Je ne la regarde pas et je lui lance des injures, méchamment, violemment. Pas de réponse. Un long moment. Puis, alors que je viens de la traiter de tous les noms, c’est elle qui commence à me demander pardon. Je ne comprends plus rien. Dans la pénombre de la pièce aux volets tirés, je lève une paupière et je la vois penchée en avant, les mains jointes, ne me regardant pas. Elle commence par dire que ma colère est normale, compréhensible. Elle n’a pas voulu entrer dans ma vie privée, c’est involontairement qu’elle m’a fixée ainsi. Elle m’a aperçue et a trouvé la scène tellement belle qu’elle est restée accrochée, sans s’en rendre compte. Elle nous admirait, sans percevoir que son regard était une agression. Elle me redemande pardon.

Après un silence, elle continue en racontant une histoire, notre histoire à Tom et à moi. Elle le fait d’une curieuse façon, comme si elle parlait à une amie, en me nommant par mon prénom, sans me tutoyer.

Cette histoire a commencé le premier jour de maternelle, peu après que nous ayons emménagé. Le soir, en quittant l’école, nous nous sommes embrassés sur la bouche, sous le regard attendri des adultes présents. Le lendemain, nous avons recommencé en arrivant, ce qui a fait à nouveau sourire tout le monde. Le troisième jour, en passant au second étage, impossible de me faire bouger. J’avais repéré que Thomas habitait là et il n’était pas question de faire le trajet sans lui. L’habitude était prise. Un matin, nous sommes un peu en retard et c’était Thomas qui était en pleurs parce qu’il ne voit pas son Éloïse. Nous étions devenus inséparables et nous jouions tout le temps ensemble, avec Mélodie.

Elle poursuit en racontant qu’en CE1, nous n’avions pas été mis dans la même classe. Ce furent des pleurs dans la journée, des pleurs le soir. Les maitresses convoquèrent les parents, demandant quel drame familial avait eu lieu. Les deux mères expliquèrent que notre séparation était la cause de notre chagrin. La directrice ne voulait pas modifier ses classes, car c’était trop compliqué. La situation empira et finalement, nous avons été remis ensemble et la sérénité revint. Je ne me souviens plus du tout de ce drame.

À l’entrée au collège, maman a écrit au CPE pour demander si une dérogation spéciale pouvait s’appliquer pour que nous soyons dans la même classe. Il téléphona à maman pour comprendre, car, en plus, il avait reçu un message de notre maitresse et un autre de la directrice. Il n’avait jamais vu ça avant et il voulait comprendre qui étaient ces enfants siamois qu’on ne pouvait pas séparer et ce qu’il risquait à nous mettre dans la même classe. Il voulut bien tenter l’expérience, mais en précisant qu’il nous aurait à l’œil. Si nous avons été toujours ensemble, cela a été grâce à nos parents qui ont pris soin de notre relation. Je ne savais pas que nous leur devions notre bonheur.

J’apprends ainsi cette histoire que je ne connaissais pas. Parfois, cela colle avec des morceaux dont je me souviens. Un jour, nous étions encore petits, il y eut une grande dispute, une grande fâcherie entre nous. Des deux côtés, c’était un refus absolu de voir l’autre et une angoisse totale pour savoir si l’autre était fâché. Les parents ont pris cette situation au sérieux, mais avec distance. Ils décidèrent, sans nous demander notre avis, de nous laisser en tête à tête, seuls, dans une même pièce. Maman dit qu’ils ont fermé la porte, un peu inquiets, écouté, prêts à intervenir au premier cri ou au premier pleur. Mais ce qu’ils ont entendu, c’est le bruit d’un baiser, puis des rires. Nous étions réconciliés !

Comment ai-je pu oublier ce baiser, le premier petit trésor au fond de mon cœur ? Je ne me souviens plus des circonstances, mais je me revois retrouvant Tom, comme si nous avions été séparés très longtemps. Je me suis approchée de lui et je lui ai donné un énorme baiser sur la bouche, en lui tenant la tête. Il s’est laissé faire, puis, après s’être détaché de moi, il m’a serré fort, à me faire mal, dans ses petits bras. Je ressens encore la chaleur de ce moment.

Suivent d’autres anecdotes, toutes les chamailleries que nous avons eues, beaucoup, moi fonçant dans Thomas dès qu’il fait ou dit quelque chose de travers, lui, plus subtil, plus gentil, me mettant en boite lorsque mon arrogance l’insupporte. maman rigole en me disant qu'il fallait toujours un coup de gueule pour nous faire taire, car le ton monte vite entre nous et aucun ne veut lâcher.

Elle reprend le tutoiement pour dire leur interrogation sur l’évolution de cette relation. La puberté, l’adolescence va-t-elle modifier nos sentiments ? Quand elle m’a vue autour de Tom, comme un papillon sur une fleur, elle a été émue et touchée par l’extase que je rayonnais. Elle était heureuse pour moi et me regardait déborder de bonheur. Elle n’a pas prêté attention à notre intimité et elle a compris, trop tard, qu’elle était de trop. C’est notre vie, elle ne l’a pas respectée et elle m’en redemande pardon.

Ma colère est complètement partie. Elle me parle comme à un adulte, me faisant ressentir et partageant ses émotions, ses préoccupations. En plus, elle s’excuse alors que c’est moi qui ai été odieuse.

Je n’ai jamais parlé à personne comme je lui avais parlé, avec des mots méchants et orduriers. Ce n’est pas moi, c’est un monstre qui s’est introduit dans ma tête. Je suis perdue. Je ne sais plus comment m’excuser. Maman ne m’a jamais crié dessus, elle est toujours gentille avec moi, même quand elle m’engueule. J’ai tellement honte de ce que je lui ai dit.

Elle me prend alors par les épaules et me répète que ma colère était normale, que je dois défendre mon intimité. Il faut aussi que j’apprenne à gérer mes impulsions, cette colère. J’ai été loin, trop loin, mais je ne savais pas jusqu’où je peux être entrainée. Une nouvelle chose à apprendre ! Alors, je fonds en larme dans ses bras. J’ai tellement besoin d’elle. En même temps, je voudrais tellement qu’elle n’existe plus, que je puisse vivre ma vie.

***

Mélodie m’inquiète beaucoup. Nous partageons la même chambre. C’est déjà une vraie jeune fille, je la trouve belle. Moi, depuis pas longtemps, j’ai mes règles et surtout j’ai grandi comme pas possible : je me trouve maigre et moche. Maman m’a dit que je vais me métamorphoser en princesse, qu’elle a été comme moi à mon âge. Je la crois, car je la trouve très belle, ma mère.

Quand nous étions petits, j’ai toujours vu Mélodie comme ma grande sœur. C’est vrai qu’elle était une petite mère pour moi et nous jouions souvent ensemble. Quand elle est passée au collège, nous nous sommes écartées, un peu. C’est surtout quand leur maman à commencer à aller mal qu’elle a changé. Elle est devenue plus renfermée et je ne pouvais plus jouer avec elle. Je voyais qu’elle était tourmentée, pour leur mère, pour elle, pour Thomas. Depuis deux ans, elle est au lycée et nous ne nous voyons presque plus. Je suis contente d’être dans la même chambre, car je veux retrouver ma grande sœur.

Un soir, alors qu’elle est plongée dans ses romans roses, je lui demande si je peux m’assoir à côté d’elle. Bien sûr, elle accepte. Je me mets à côté d’elle, avec mon livre. Au bout d’un moment, j’appuie ma tête contre son épaule. Je lui prends le bras et je lui dis doucement ce que je pense, qu’elle est comme ma grande sœur, que je l’aime et que je voudrais que nous soyons plus proches, que c’est dommage de ne plus se parler. Elle pose son livre, me prend dans ses bras et me rassure. Je suis toujours sa petite sœur adorée. Elle est grande, elle a des soucis, mais elle sera toujours là pour moi. Nous nous étreignons en pleurant ensemble. Je suis heureuse de l’avoir retrouvée, car cela va durer encore et nous resterons très amies maintenant. C’est vraiment une chouette fille.

Je sais qu’elle parle souvent avec maman des questions de filles, des règles, des protections, de sexe, des garçons. Quand je les entends ou les vois ensemble, je me dis que j’ai une mère formidable. Je suis contente qu’elle puisse aider Mélodie.

Entre les choses intéressantes, Mélodie, papa, maman, Alexandre et Fatine, je passe des vacances formidables. Et comme Tom est toujours près de moi, c’était simplement merveilleux.

***

Ce que je ne sais pas, c’est que nous allons vivre des aventures encore plus extraordinaires.

Tous les après-midis, comme je l’ai dit, c’est la baignade dans la rivière. Le propriétaire nous a gonflés des chambres à air et c’est vraiment une grande partie de plaisir. Mélodie et Alexandre ne sont pas les derniers à y participer. La baignade est de l’autre côté de la route. Cette route suit la rivière et personne ne passe dessus. On voit, de temps en temps, quelques touristes qui avancent lentement, et quelques habitants du village qui roulent encore plus doucement tellement ils sont vieux. Il y a une départementale en haut, sur le plateau, beaucoup plus pratique.

Monsieur Seuzac, le propriétaire, vient tous les soirs prendre l’apéritif. Je ne sais pas s’il est invité par les parents, mais il est toujours prêt à boire un coup. Il nous dit qu’à vivre sans arrêt, uniquement avec sa femme, il s’ennuie. Il est donc content de nous accueillir à sa ferme et de passer des moments avec nous. Il a plein d’histoires à raconter et il est le seul à pouvoir plus parler que Fatine, c’est dire ! Il a un accent épouvantable, mais rapidement, nous avons pu le comprendre. Quand nous sommes entre nous, nous nous amusons à l’imiter en faisant sa grosse voix en roulant les r au fond de la gorge.

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