6 - Thomas

5 minutes de lecture

Avec la rentrée, nous pouvons raconter aux copains nos aventures. Tout le monde nous admire ! Un peu plus tard, avec d’autres aventures, nous aurons encore plus de succès. Mais c’est après.

***

Quelques semaines après la rentrée, nous allons voir maman. Papa nous l’a annoncé plusieurs fois : nous allions aller voir maman. Cela ne faisait pas plaisir à Mélodie, cela la mettait en colère. De toute façon, elle est souvent en colère ces temps-ci. Il parait que c’est la crise de l’adolescence. J’espère que je ne passerai pas par-là, parce que ce ne doit pas être agréable d’être en colère contre tout, tout le temps.

Papa lui a expliqué qu’elle n’est pas obligée, qu’elle peut faire ce qu'elle veut. Il lui a aussi dit que c’est sa mère, que sa situation est comme ça, qu’il faut vivre avec, que cela lui plaise ou non. Il a ajouté tous les avantages, toutes les chances qu’elle a. Sa mère, plutôt la maladie de sa mère n’en fait pas partie. C’est une difficulté, c’est la vie.

Et il a ajouté :

— Tu pourrais aussi avoir un frère débile mental, mongolien.

Il a dit cela en me faisant un clin d’œil. Parfois, il est bizarre. J’ai du mal à me faire à son humour. Il ne pouvait pas prendre un autre exemple ? Mélodie haussa les épaules et me regarda en faisant une grimace montrant qu’elle trouvait aussi cette blague stupide. Je l’aime beaucoup, ma grande sœur. J’essaie un peu de parler avec elle de maman, mais elle ne veut pas me répondre. C’est dommage, car moi, je ne sais pas quoi penser, je ne sais pas bien ce que je ressens. On verra bien.

Le jour fixé, un samedi, nous partons. C’est loin, dans une banlieue lointaine. Nous sommes obligés de sortir de Paris, de changer deux fois de train. On arrive enfin. En sortant de la gare, il faut encore marcher, longtemps. Il y a plein de vert partout, c’est en pleine campagne. Il fait chaud. Apparemment, papa connait le chemin. Ce n’est donc pas la première fois qu’il vient. Mais, je ne sais pas quand il est venu auparavant, parce que je ne sais pas quand il s’est absenté. Mélodie fait toujours la gueule, avançant seule devant nous. Elle me fait de la peine. Pour moi, de toute façon, je n’arrive pas à penser à maman. Chaque fois que j’essaie, c’est le vide dans ma tête. J’ai sa photo, à côté de mon lit. Cette image, quand je la regarde, je me souviens de ma maman, quand j’étais petit. Je me souviens bien de sa chaleur. Mais après, rien. Des fois, ça me passe comme un bolide. Je la revois avec les yeux vides, ou pleurants, ou abêtis par l’alcool. Mais heureusement, ça passe vite. Quand je me force, il n’y a plus rien qui vient. Ça ne me fait même pas mal. Je n’ai plus de mère, et ça ne me fait rien. Je ne sais pas si c’est normal, mais, en ce moment, c’est mieux comme ça. Même pas mal ! Je suis vaguement inquiet et à un moment, je m’aperçois que je tiens la main de papa. Je n’ose pas la retirer, car cela me rassure, mais j’ai un peu honte, à mon âge, de donner la main à mon père.

Nous pénétrons dans un parc, avec une sorte de château au bout de l’allée et des bâtiments sur les côtés. Nous entrons par un grand escalier. Papa est reconnu, cela veut dire qu’il vient souvent.

— Bonjour, monsieur… Ce sont vos enfants ? Qu’ils sont beaux ! Sabine va être contente de les voir !

Nous arrivons aux chambres, dans une partie plus moderne. Puis on trouve celle de notre mère. Papa entre le premier en laissant la porte entrouverte. Nous attendons un peu, puis il nous fait signe de venir. Mélodie passe devant.

Une femme, que je ne reconnais pas, est assise sur le lit. Elle a les cheveux défaits, pas coiffés, comme sales. Elle est vêtue d’une blouse d’hôpital. La chambre est triste, sans décoration, avec une belle vue sur le parc. Je préfère regarder par la fenêtre. Il y a des barreaux.

— Ah, vous voilà, mes enfants.

Elle dit cela comme elle aurait dit : « Voilà mes lunettes ». Il n’y a rien d’autre.

Quelques questions sans intérêt. C’est froid. Qui est cette femme ? Je ne ressens rien. Encore le vide. Je vois Mélodie bloquée, muette. Papa parle doucement, il raconte ce que nous vivons, nos dernières vacances, ce que nous faisons. Maman (?) n’écoute pas. Elle donne l'impression de ne pas être là, qu’elle n’est pas avec nous. Ses yeux se baissent, comme si elle s’endormait. Papa ralentit ses histoires, puis se tait. Il n’ose pas nous regarder, mais je sens qu’il est plein de tristesse. Un long silence s’installe. Je ne pense à rien. C’est curieux, car cela ne m’arrive jamais, mais là, je suis bloqué.

— Je vous laisse deux minutes.

Il sort. Je me tourne vers Mélodie. Depuis le début, elle est renfermée, tendue. Cela me fait mal.

Je lui attrape la main, doucement. Je sais à quoi elle pense. À la sœur de maman, qui s’est tuée. On ne nous l’a jamais dit, mais on le sait. À son frère, qui a disparu quand il avait vingt ans, sans que personne ne sache où il est parti ni ce qu’il est devenu. C’est une famille de fous, surtout les femmes. Mélodie a peur de devenir folle, elle aussi. Je lui dis doucement, pour ne pas réveiller cette femme :

— Mélodie, je te le promets, je serai toujours là pour toi. Tu m’as aidé quand maman est partie, et même avant. J’étais petit et tu as été une sœur formidable. Je t’aime tellement. Je prendrai toujours soin de toi.

— Tom, tu es mignon, mais personne ne prendra soin de moi. D’abord, je ne fais pas partie de cette famille, même si ma mère en fait partie. Ensuite, je ne me laisserai jamais envahir par cette maladie, je suis blindée. Sinon, si je ne peux rien faire, je ferai comme Suzette, hop, en l’air, plutôt qu’un légume dans les mains des toubibs.

— Mélodie, tu ne peux pas… Je suis là, je serai toujours là.

J’ai envie de pleurer. Je me jette sur elle pour lui faire un gros câlin, comme nous faisions quand maman déraillait, avant qu’elle s’en aille. Papa nous trouve dans cette position. Il sait ce que cela veut dire. Il nous dit de descendre l’attendre. Nous allons sous un grand arbre, près de l’entrée. En attendant, assis sur ce banc, nous voyons plein de malades se promener. Ils ont l’air normaux, même s’ils ressemblent à des mécaniques sans âme.

Sur le chemin du retour, je me dis que nous avons quand même de la chance. Quelques jours avant, j’avais entendu Mélodie parler avec Isabelle de trucs de filles. Je n’y connais pas grand-chose, à part ce qu’on nous a appris en cours. Oui, Isabelle remplace souvent maman pour nos petits problèmes. Plusieurs fois, moi aussi, je suis allé lui dire des choses qui ne passaient pas. Papa, il est super, mais parfois, c’est difficile de causer avec lui.

Quand nous rentrons, il n’est pas tard, mais chacun va dans sa chambre, épuisé. Je m’endors sans même diner ni me déshabiller. Le lendemain, cette visite est effacée et, comme c’est dimanche, je sais que je vais passer une bonne journée avec Éloïse et sans doute Fatine.

***

Tout ceci n’a aucun rapport avec notre aventure. Mais à force d’écrire, je m’aperçois que j’ai plein d’autres choses à raconter. Alors je les écris, mais je retirerai tout ça après.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Jérôme Bolt ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0