prologue

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Ils me traînent jusqu'à cette chaise, m'attachent le torse au dossier avant de menotter mes chevilles aux pieds métalliques.

Ils ne me font toujours pas confiance malgré le temps passé ici...

Au même moment, l'un d'eux démarre l'ordinateur. Je le vois placer le curseur de la souris sur ce code. Toujours le même...

Ils sortent.

De nouveau, je me retrouve devant ce moniteur contraint de regarder cette liste. Au début, ne saisissant pas ce qu'ils attendaient de moi, j'avais cliqué au hasard sur les lignes diverses du programme ; toutes contenaient une combinaison alphanumérique incompréhensible...

Désormais, je me contente de choisir celle que le curseur m'indique : deux lettres, deux chiffres, deux lettres, je les connais par cœur : FZ33UF.

C'est à chaque fois la même rengaine et n'en comprenant toujours pas la signification. J'ai abandonné l'idée de lui donner un sens.

Depuis combien de temps suis-je coincé ici ? Je sens cette foule d'hommes en blouse blanche m'épier du matin au soir, planqués derrière l'immense baie vitrée, dans mon dos. Combien de jours à sentir leur regard, même quand je suis persuadé qu'ils ne sont pas dans la pièce, à les deviner s'agiter dans tous les sens ?

Malgré les sangles, je peux tourner légèrement la tête. J’ai déjà pu les observer, je me contente désormais des autres perceptions…

À quoi bon les regarder ? Ficelé comme je suis, Je n’ai aucun moyen d'agir.

Ils effectuent toujours les mêmes gestes, au même rythme ; le temps semble figé malgré la course de certains… Je dois penser à autre chose, si je ne veux pas devenir cinglé !

Ce qui me manque le plus, ce sont les odeurs. Ici, tout est aseptisé, ce qui a déteint sur mes émotions.

Pour échapper à ces données, j'observe ma chambre, encore une fois : un lit, une chaise et cet ordinateur... Pas d’armoire ni de table de chevet. Rien d’autre que cet ordinateur et ce maigre mobilier. Ni cadre, ni couleur pour égayer cette pièce blanche, ternie par les années. Il n’y a aucune ouverture sur l’extérieur : tout respire l'oppression.

*

Lors de mon unique tentative de fuite, quasiment aboutie, j'avais attendu qu'ils ouvrent la porte pour me faufiler par l'embrasure. L’un des médecins avait crié, mais j’avais été trop vif pour qu’il m'attrape.

Courir ? À quoi bon ? Je m'étais retrouvé à déambuler dans une multitude de couloirs qui se ressemblaient tous : interminables et éclairés par des néons blafards. J'étais totalement désorienté.

À mesure que j'avançais, l'angoisse me gagnait, nouant un peu plus ma gorge à chaque pas. Ils ne se donnaient même pas la peine de me chercher. J’évoluais dans ce dédale sans repère ; tombant sans arrêt sur des cellules qui ressemblaient à la mienne : des cobayes attachés sur une chaise fixant aveuglément leur moniteur. Tout comme moi, ils s’abîmaient les yeux sur ces foutus codes…

Je devenais fou : combien étions-nous à endurer cela ? Pourquoi nous ? Avions-nous quelque chose de spécial ? Si oui, qu'était-ce ?

Personne ne me suivait. Me testaient-ils ? M'observaient-ils, tel un rat de laboratoire dans un labyrinthe, sachant pertinemment que je ne trouverais pas la sortie ?

Le complexe semblait sans fin. Aucun escalier ni ascenseur…

Impossible ! Ce lieu devait bien avoir une issue quelque part ! J’essayais de rationaliser quand, soudain, surgissant de nulle part, lourdement armés. J'étais dans leur viseur.

Avant de pouvoir réagir, je reçus un choc en pleine poitrine et m’écroulai lamentablement.

*

Première phase : dénutrition progressive.

Le trou noir. Seul le réveil fut marquant : une gifle violente assénée par l’un des gardes.

« Alors comme ça on veut jouer au dur ?

– Je ne vois pas de quoi vous parlez, répondis-je du tac au tac.

– Tu ne feras bientôt plus le malin. Je peux t'assurer que c’est la première et dernière fois que tu nous fais ce coup-là. Tu n’auras pas de seconde chance. Tu peux me croire.

Je ne répliquai pas, mais mon sang bouillonnait dans mes veines… Véritable moulin à paroles, mon interlocuteur rajouta :

– Tu as perdu ta langue ? ricana-t-il. Tant mieux, tu n’as pas besoin de l'ouvrir.

Inconsciemment, je serrai les poings et l’autre le remarqua.

– C’est que tu mordrais, si tu avais des dents. J’ai de la chance que tu sois attaché, s'amusa-t-il, avant de me menacer de son Taser.

– Finies les plaisanteries ! », déclara un autre garde.

Le retour à ma cellule ne fut pas aisé : ils m’avaient menotté les pieds et sanglé les mains derrière le dos. Celui qui m'avait tiré dessus pressait son arme dans le creux de mes reins pour que j’avance plus vite. Je manquai plusieurs fois de trébucher. Certains m’invectivaient, d'autres se moquaient de moi durant ce parcours interminable.

Je me retrouvais dans cette chambre nue et glaciale, et ils me poussèrent sans ménagement sur le lit, comme un vulgaire sac de patates. L'un d'eux me délia les poignets, mais aussitôt après il me ficela aux barreaux métalliques de la couchette.

Ils commencèrent ensuite leur travail de conditionnement et rationnèrent de plus en plus ma nourriture. Ils devaient certainement me droguer, puisqu'à certains moments, mes pensées devenaient floues.

Cependant, je ne pouvais refuser de boire ce qu’ils m’offraient, craignant la déshydratation.

Physiquement, je m'affaiblissais de jour en jour. Psychologiquement c'était l'enfer : je perdais de plus en plus les pédales à force de passer la majeure partie de mon temps à regarder ces combinaisons énigmatiques. Continuellement attaché, ils restaient toutefois près de moi, me forçant à fixer l’écran, pendant qu'ils se délectaient de mon ignorance.

Dès qu’ils observaient mon indifférence pour ces chiffres et lettres, ils me rouaient de coups, m'insultaient jusqu'à ce que je reprenne. Ils finirent par me révéler que le code représentait ma nouvelle identité avant de...

Seconde phase : la torture.

La seconde étape débuta. Ils retirèrent l’ordinateur et le remplacèrent par une grande bassine remplie de glaçons. Au début, je ne compris pas où ils voulaient en venir, mais cela ne tarda pas.

Ils continuaient de m’enchaîner sur la chaise, mais désormais, ils me questionnaient, me laissant à peine le temps de répondre. Ils répétaient en boucle — Qui es-tu ? Que recherches-tu ? Pour qui travailles-tu ? — entrecoupés de chocs électriques des Tasers lorsque je ne répondais pas suffisamment vite. D’autres fois, ils me plongeaient le crâne dans l’eau glacée durant ce qui me semblait être d'interminables minutes, puis me redressaient sans ménagement.

J'ignorais combien de temps dura ce rituel. On avait retiré ma montre ainsi que l'horloge de la chambre. Je ne disposais d'aucun repère temporel dans cette pièce oppressante. Seule la cicatrisation de mes brûlures, de plus en plus profondes et nombreuses, m'offrait une vague notion quant à la durée de ce calvaire.

Au début, je déclinais mon matricule, FZ33UF, puis comme je ne savais pas ce qu’ils attendaient de moi, je me murais dans le silence. Devant le manque d'efficacité, je répondais ce qui me passait par la tête, mais ça ne semblait pas non plus leur convenir, car les tortures perduraient... Peu importaient mes propos, ils ne cessaient de me poser inlassablement ces mêmes questions.

Ayant épuisé toutes les options que mon cerveau pouvait concevoir, je m'enfermais dans un mutisme total, ce qui ne les empêchait nullement de poursuivre leur manège.

Combien de temps dura cette torture ? Le temps semblait se figer... Les cycles se répétaient sans cesse, pas un instant de répit excepté le sommeil et des repas de plus en plus maigres…

Troisième phase : renutrition et resociabilisation.

Heureusement pour moi, une autre étape se déclencha. Je ne sais pas pourquoi, mais leurs méthodes évoluèrent. J’en ressentis un soulagement immense. Peut-être s’étaient-ils rendu compte de l'impasse où ils me menaient ? Quoi qu’il en fût, la nouvelle approche me convenait mieux.

Pour commencer, ils stoppèrent leurs sempiternelles questions. Ensuite, une autre équipe prit le relais : je reçus la visite de nouveaux médecins, plus chaleureux que leurs prédécesseurs. Ceux-ci me donnèrent des livres, des mots croisés, du papier ainsi que des crayons.

Un matin sur deux, je devais soit vaquer à des activités artistiques, soit répondre à un docteur qui venait discuter avec moi. Ce dernier, petit et chauve, avec un ventre assez rebondi, arborait constamment un sourire aux lèvres. Sa voix agréable et bienveillante m'inspirait confiance. Même son nom prêtait à sourire : il s’appelait Amigo d’après sa blouse. Celle des autres était anonyme.

Certes, il me posait des questions, mais elles restaient somme toutes banales : « Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? Avez-vous bien dormi ? »

Au fil du temps, un lien se tissa entre nous. Même si je savais qu’il faisait partie de mes ravisseurs, je l’aimais bien, ce petit bonhomme. C’était la seule personne qui se donnait la peine d’être aimable avec moi ici, et j’avoue que cela me faisait du bien.

Après le déjeuner, ils continuaient de m’attacher sur la chaise et remettaient l’écran d’ordinateur. Les après-midi étaient toujours aussi longs, à scruter ces combinaisons indéchiffrables.

Côté nutrition, ils me réhabituèrent à une alimentation équilibrée. Je repris des forces. Cependant, je me sentais la plupart du temps groggy : je suppose qu’ils dissimulaient des médicaments dans la boisson ou dans les plats… Vu mon état, je ne risquais pas de m’évader : je tenais à peine sur mes jambes.

Quatrième phase : vers une nouvelle expérience.

Il y a quelques jours, le docteur Amigo m’a annoncé que je leur avais donné satisfaction et que la prochaine étape commencerait bientôt. J'ai été surpris de cette information, à la fois impatient de connaître un nouveau changement, mais également inquiet : que prévoyaient-ils pour moi ?

Amigo m'a rassuré comme il a pu et m’a affirmé que je devais faire confiance à ses remplaçants. Il ne s'occuperait plus de moi ici, mais continuerait à m’observer d’un autre poste. Au moindre problème, il reviendrait me rendre visite.

Il ne me restait plus qu’à attendre la suite de la procédure.

*

Ce matin, un homme entre et vient me voir.

« Comment te sens-tu aujourd’hui ? »

Je décide de jouer le jeu. Je ne veux pas leur montrer que je suis usé… Ils n’auront pas ce plaisir.

« Bien. Même si je ne comprends toujours pas ce que je fais ici.

– Ne t'inquiète pas. Tu auras des réponses... Un jour.

– Vous savez rassurer, vous. »

L’homme se fend d'un sourire avant de continuer.

« Nous allons pouvoir passer aux choses sérieuses.

– Les choses sérieuses ?

– Tu ne crois pas que nous allons te garder ici à ne rien faire ? »

Je le fixe intensément, mais cela ne le gêne pas plus que ça. Au contraire, il s’en amuse.

« Tu devrais voir ta tête, tu ferais peur à ta propre mère. »

J’esquisse un sourire imperceptible et décide de tenter ma chance.

« Pourriez-vous me retirer ces menottes ? Elles me brûlent les poignets et engourdissent mes doigts.

– Bien essayé, mais je ne suis pas né de la dernière pluie. On ne peut pas te faire confiance, tu nous l'as prouvé par le passé. Néanmoins, à ta place, j’aurais également tenté ma chance.

– J’aurais essayé, marmonné-je.

– Tu es solide. D’ailleurs, c’est pour cette raison que nous avons décidé de passer à l’étape suivante. Nous pensons que tu es prêt.

– Prêt pour quoi ?

– Chaque chose en son temps. Regarde plutôt ceci et dis-moi si ça te rappelle quelque chose. »

Il me montre une photo de moi, entre dix et douze ans. Je suis entouré de mes parents. Derrière nous, le soleil illumine les cimes enneigées des Alpes.

« Ce sont mes parents et moi. Quand j’étais gosse. Où l’avez-vous eue ?

– Aucune importance. Concentre-toi sur la photo. Quels souvenirs te rappelle-t-elle ?

– Elle a été prise pendant des vacances à la montagne. Elle ne m’évoque rien d’autre.

– Bien. Quels sont les prénoms de tes parents ?

– C’est quoi cette question ? Pourquoi voulez-vous que je vous donne les prénoms de mes parents ?

– Réponds.

– Si ça vous fait plaisir. C’est… »

Le trou noir. Il ne dure que quelques instants, mais semble s’éterniser ; pendant ce laps de temps, je suis incapable de me les remémorer.

Heureusement, les données me reviennent. Les données, terme curieux, mais c’est exactement ce que je ressens sur le coup ; comme si une personne extérieure avait surfé sur le net pour me transmettre ces informations…

Comment ai-je pu oublier que mes parents s'appellent Valentino et Marie ? C’est du délire. Ce n’est franchement pas rationnel et je préfère ne pas trop m’attarder sur cette impression qui me fait flipper.

« C’est bien. Tu es prêt. Je te le confirme. Mes collègues vont venir te chercher pour t'allonger sur le lit. Pas de bêtise, ils sont costauds et tu n'es pas en grande forme. J’espère que tu as bien profité de ton dernier repas.

– Que voulez-vous dire ?

– Ta prochaine nourriture sera spirituelle. Elle nous aidera pour la suite.

– Spirituelle ? Vous aidera ?

– Cesse de te torturer avec ces questions. Tu n'auras pas de réponse tout de suite. Tu savais ce qui t'attendait. Tu as signé.

– J’ai signé quoi ?

– On dirait que ta mémoire te joue des tours. Tu t'es porté volontaire.

– Je ne me souviens pas avoir signé quoi que ce soit.

– Assez parlé. Ils ne vont pas tarder. »

Le docteur – ou scientifique – part et je me retrouve à nouveau seul. Je ne sais pas quand, ni comment, ni pourquoi je suis arrivé ici. J’ai beau essayer de visualiser la signature d’un document, rien ne me revient.

Quelques minutes plus tard, d’autres blouses blanches arrivent.

« Patient FZ33UF, c’est ton tour, ordonne un médecin sans lever les yeux de sa fiche.

– Vous ne pouvez pas m’appeler par mon prénom ? demandé-je, agacé.

– Avance-toi.

– Et comment le pourrais-je ?

Le savant me regarde. Il se rend alors compte que je ne peux bouger.

« Libérez-le. Et toi, ne tente rien de stupide », me précise-t-il.

Peu après, ils m’allongent sur le lit. Je me débats, mais ils sont nombreux et me sanglent au matelas. D’autres apportent des électrodes. Je force sur les liens tant que je peux, en vain. Certains me tiennent les jambes ainsi que les bras pendant que leurs compères m’installent l'appareillage sur tout le corps, crâne compris. Ensuite, la pièce se vide. Je me retrouve seul.

Une attente interminable commence. J’essaie de mettre mon cerveau en pause, cependant mon esprit bouillonne. Enfin, la porte s’ouvre. C’est avec un réel soulagement que je vois arriver le docteur Amigo.

« On va pouvoir commencer l’expérience. Tu as réussi les premiers tests, mais c’est maintenant que tout commence. On va te faire revivre tes souvenirs et tu devrais récupérer petit à petit la mémoire. Crois-moi, ce ne sera pas drôle tous les jours.

– Je ne pense pas que vous allez récolter des infos intéressantes, soupirai-je.

– Ta mémoire renferme des trésors inestimables pour nous. »

Ces propos me font bondir – on nage en plein délire. Je n’ai rien à cacher. J’ai une vie tout à fait banale ! – et j’entrouvre l’armure que je me suis forgée.

« Des trésors ? Vous devez vous tromper de personne. Et même si c'était le cas, que cherchez-vous ? Quel est votre but dans tout ça ?

– Tu es trop curieux. Ne t'inquiète pas, nous savons ce que nous faisons. »

Amigo marque une pause avant de reprendre.

« Laisse-moi t'expliquer : tes souvenirs pourront te sembler étranges, voire déconnectés de la réalité. Il est possible que tu doutes de ton comportement, de ta façon de parler. C’est parfaitement normal. Laisse-toi guider. Ton objectif n’est pas d’analyser tes souvenirs, mais d’en collecter le plus possible. Plus tôt tu te rappelleras, plus tôt tu sortiras d’ici. Garde cela en tête.

– Pourquoi ne devrais-je pas analyser mes souvenirs ? C’est ridicule, j'ai vécu ces événements, ils vont forcément faire remonter des émotions.

– Je ne dis pas que tu ne ressentiras rien. Évite de perdre ton temps avec des questions qui ne te mèneront nulle part. Cependant, nous ne pouvons contrôler ton esprit, tu seras seul juge de ce qu’il convient de garder ou non de ta mémoire.

– Ça va durer combien de temps ?

– Tout dépend de toi. Dès que nous aurons obtenu nos réponses, nous te libérerons. »

Je ne suis pas dupe. Je bous d'une rage intérieure, mais ne le montre pas.. Qu’on en finisse !

Amigo poursuit :

« Le premier souvenir risque de t'ennuyer.

– M’ennuyer ?

– On va tester ta patience, c’est aussi simple que cela. Et maintenant, je vais t'injecter un produit pour te détendre. Tu plongeras dans tes souvenirs et n’auras plus conscience d'être ici avec nous. C’est un long voyage qui va commencer. Petite précision, tu auras à peine douze ans dans ces segments mnésiques. Cela te laisse une idée du temps que l’expérience va durer… »

Avant de me piquer, il me glisse à l’oreille que je m’appelle Fabien. Ensuite, je sombre.


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