Chapitre 3

7 minutes de lecture

Écrit en écoutant notamment : Dax J x UVB – King Of The Sewers

Deux semaines plus tard.

Alban arriva dix minutes en avance dans la salle de travaux dirigés réservée pour la première séance du projet. Il alluma son ordinateur portable et ordonna différents onglets rassemblant les idées qu’il souhaitait proposer à son futur collègue de travail. L'arrivée des élèves de STAPS fut bien moins discrète que celle de leur responsable : ils portaient tous leur survêtement de promotion vert sapin et s’assirent directement sur les tables du premier rang tout en poursuivant leur conversation bruyante.

Au final, le projet n’avait pas attiré tellement de monde : il y aurait à tout casser cinq ou six groupes, et probablement certains de trois, car ses collègues de maths étaient en légère majorité. Les profs égrenèrent les premiers binômes et trinômes. Comme d’habitude, avec son nom de famille en « Z », Alban était sûr d’être désigné en dernier.

  • Et pour finir, Alban Zimmermann avec Jakub Marin. Bon travail, rendez-vous à onze heures et demie pour la restitution des sujets !

Après trois minutes de flottement, il apparut clair que le binôme d’Alban était absent de la meute des sportifs. Sa patience survécut dix minutes avant qu’il ne quittât la salle en pestant.

  • Alban ? dit une voix dans son dos.

C’était sa prof d’algèbre qui revenait de la machine à café.

  • Vous vous en allez ?
  • Mon partenaire n’a pas jugé utile de se lever… grogna-t-il.
  • Dans ce cas, je peux vous adjoindre à un groupe déjà existant.

Il accepta mollement pour ne pas se fâcher avec elle et décida de marcher encore quelques pas dans la fac. Le hall central, une sorte d'arène rectangulaire de béton nu, était étonnamment calme. Il se remémora sa première semaine ici, l’année précédente : après sept ans dans le même collège/lycée, le changement avait été brutal. Il avait fallu s’adapter à cette nouvelle vie citadine. Certains de ses amis de Terminale étudiaient aussi à Montpellier, mais au bout de quelques semaines, ils avaient été happés par leurs nouveaux horizons festifs, par de nouveaux cercles amicaux et associatifs. Pour une personne introvertie comme lui, il était peine perdue de vouloir garder un contact régulier. Après un mois d’errance, il avait trouvé deux sources de réconfort : d’une part, Matthias, un étudiant de maths avec qui il aimait travailler encore aujourd’hui, mais aussi, des applications de rencontre gay sur lesquelles il explorait ses envies. Souvent, discuter avec des garçons comme lui suffisait ; de temps en temps, il appréciait passer à la pratique, en tâchant d’ignorer la tristesse qui poindrait les jours suivants.

En revenant, il trouva un gars installé, le regard dans le vague, à l’endroit où il avait déposé ses affaires. Le sourire de sa prof lui fit comprendre que c’était bien son binôme. Alban s’approcha à pas prudents de ce Jakub et lui tendit la main. Il nota directement que le gars était assez baraqué. Son visage était fin, marqué par des traces d’acné rouge sombre et surtout par une cicatrice encore fraîche aux bords jaunâtres. Avec sa fortune habituelle, il avait eu l’immense privilège d’être apparié à la brute de service.

  • T’es Alban, c’est ça ? dit-il en le dévisageant.
  • Ouais. C’est cool, on va enfin pouvoir commencer…
  • Je suis désolé, j’ai eu une galère de tram ce matin… ils ont bloqué toute la ligne pendant une demi-heure parce que deux types se sont battus dans la rame.
  • D’où ta balafre ? le taquina Alban.
  • J'ai essayé de les séparer au début, mais c'était une mauvaise idée.

Sa voix était intrigante. Elle n’était ni vraiment grave, ni aiguë, mais plutôt métallique. Son timbre paraissait artificiel bien qu’il ne souffrît pas de difficultés d’élocution.

  • Alors, t’as réfléchi à des sujets ? demanda Alban.
  • Non, mais on est là pour ça, si j’ai bien compris.
  • Je vois, soupira-t-il. Regarde, moi j’ai trouvé ça. Pourquoi ne pas essayer de prédire les temps de course au marathon en fonction de l’âge, du sexe, du niveau d’entraînement, du parcours, de la météo… Franchement, ça peut être super intéressant !
  • Mouais.

Alban attendit plusieurs secondes qu’il étoffe son monosyllabe, mais sans résultat.

  • Mais encore ? ajouta-t-il.
  • Je ne suis pas trop fan de course à pied. Et puis je ne sais pas à quoi je servirai.
  • Bon, ok. Dis-moi ce qui te plaît, et on trouvera bien un sujet.
  • Je ne sais pas trop, demandé comme ça…
  • Tu regardes quels sports d’habitude ? T’es quand même en STAPS, non ?
  • Eh… tranquille ! Le basket, c’est cool, ou bien le tennis aussi.

Alban réfléchit pendant deux longues minutes les yeux rivés sur son ordinateur, tandis que Jakub l’observait en espérant un miracle.

  • J’ai trouvé ! annonça-t-il. On peut développer une application qui donne en temps réel les probabilités de victoire dans un match de basket.
  • Je vois… ils font déjà ça en NBA sur certaines chaînes.
  • C’est pas grave.
  • Mais du coup, à quoi ça servirait ? Je veux pas être relou, mais…
  • De toute façon, on n’inventera rien de révolutionnaire. Et si on y parvient, ce sera quand même une fierté personnelle.
  • Si tu le dis.
  • Si t’as mieux à proposer, dis-le. Sinon, on valide avec les profs et on commence à bosser.
  • Donc on fait ça ?
  • À toi de me dire ! T’avais pas l’air super emballé à l’instant.
  • Si si…

Ils s’approchèrent du bureau. Le responsable de STAPS opina à intervalles réguliers.

  • J’aime vraiment bien. Le basket est un sport très tactique, avec de nombreuses stratégies complexes.
  • Le sujet semble ardu au niveau de la modélisation. Vous allez bien vous amuser, dit à son tour la prof de maths.

Lorsqu’Alban eut fini de remplir la fiche projet, il vit Jakub passer devant lui, sac de sport sur les épaules. D’accord… il n’a rien à faire de ce que je dis. Il l’intercepta en dehors de la salle, juste derrière la porte battante, et ne put s’empêcher d’imiter sa désinvolture :

  • Hé ! Je veux pas être relou, mais… on était censés démarrer jusqu’à onze heures et demie.
  • Je peux vraiment pas, j’ai entraînement.
  • T’es là jeudi après-midi vers quatre heures ?

Jakub se frotta le menton, embêté.

  • J’ai un foot de prévu avec des potes, ça risque d’être compliqué. Plutôt ce week-end ?
  • Samedi matin ?
  • Ok, de quatorze à quinze heures, ça me paraît bien. Je te tiendrai au courant.
  • Tu ne peux pas plus tôt ?
  • Bah en général, on fait soirée la veille.
  • Oh là… Je sens que ça va être compliqué, dit Alban sans se cacher. Si t’as pas envie de faire ce projet, dis-le tout de suite. Il n’y avait rien d’obligatoire.
  • Non mais ça va le faire…
  • Ça le fera si je fais tout !

Il retourna en trombe dans la salle de TD. Il ne supporterait pas de devoir traîner un boulet pareil. Ce mec se foutait de sa gueule ; il ne comprenait même pas pourquoi il s’était inscrit. Jakub le rattrapa de justesse en lui ceinturant le torse.

  • Non non ! C’est bon, je viendrai pour dix heures. Dis-moi ce que je peux déjà faire pour préparer la séance.

Trois jours plus tard.

Alban et son ami Matthias s’étaient enfermés depuis trois heures dans une salle de la fac pour tenter de terminer le devoir de maths qu’il faudrait rendre d’ici deux jours.

Il sortit tout d’un coup son téléphone et fit défiler des posts montrant des tutoriels de dessin.

  • Alors, on abandonne déjà ? demanda Matthias.
  • Je n’en peux plus de ces intégrales infernales ! Elles sont en train d’aspirer ce qui me reste d’énergie vitale, un peu comme les Détraqueurs.
  • Ah ouais, à ce point !

Matthias était un grand fan de Harry Potter. Il connaissait absolument tous les personnages, qu’il fussent secondaires, tertiaires ou même des hapax de la saga. Il savait mieux qu’Hermione tous les noms de sorts et effets des potions, alors la référence à ces créatures maléfiques allait forcément lui plaire.

  • T’as trouvé quoi comme sujet, avec ton binôme, pour le projet STAPS ? demanda Alban à son ami, qui s’était aussi inscrit au programme.
  • On fera une étude sur les risques de blessure des sportifs dans diverses disciplines. Pas extrêmement original, mais les profs étaient satisfaits. T’as de la chance, toi, ton collègue devrait faire sa part du travail.
  • Tu te moques de moi ? Je suis tombé sur un branleur de première !
  • Quand même, il n’a pas intérêt à se rater.

Matthias le fixa, et devant son absence de réaction, poursuivit :

  • Ah d’accord, il n’a pas dû te dire. Jacob a déjà…
  • C’est Jakub, pas Jacob, rectifia Alban en insistant sur le son « ou ». C’est la version slave de Jacques, je me suis renseigné.
  • D’accord… sourit Matthias. Il te plaît ?
  • Pourquoi cette question ?
  • Vu la façon dont tu m’as répondu, c’est évident qu’il s’est passé quelque chose dans ton cœur. Peut-être même aussi un peu plus bas.
  • Pas du tout ! En plus, il a l’air méga superficiel. Bon, tu voulais me dire quoi ?
  • Tu t’enfonces ! Enfin bref… Apparemment, il a déjà redoublé sa première année, et ça ne s’annonce pas mieux cette fois-ci. Une excellente note sur ce projet pourrait remonter sa moyenne et convaincre le jury de le laisser passer. C'est ce que son camarade m'a dit.
  • D’accord… Je comprends mieux certaines choses.
  • Ouais, sûrement. On se tape un Burger King ? J’ai une énorme dalle ! Et un peu de gras ne te fera jamais de mal.

Matthias était la seule personne officiellement autorisée à le taquiner sur son physique. Alban jeta un regard sur ses avant-bras, souleva le bas de son t-shirt et accepta sa proposition.

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