Chapitre 4
Écrit en écoutant notamment : Kodaman – Paper Birds
Le samedi.
Alban marchait à travers les installations sportives de la fac fréquentée par Jakub. Normalement, ce dernier devait l’attendre devant les terrains de foot.
Immersion en milieu étranger, pensa-t-il.
Il longea des courts de tennis en terre battue, sur lesquels des étudiants s’entraînaient à la fraîche. Les services fusaient à des vitesses impressionnantes et il sursauta lorsqu’une balle frappa le grillage de plein fouet à quelques mètres de lui. À sa gauche, un groupe de garçons munis de larges sacs à dos entra dans un gymnase en forme de cylindre tronqué. Il envia un moment leur physique avant de se rappeler que de toute façon, peu importe combien de menus Double Steakhouse il engloutirait, il resterait toujours aussi mince. Il repéra Jakub, appuyé contre la main courante du terrain, derrière l’un des buts.
- Ah, t’es là ! remarqua-t-il en le voyant s’approcher. Suis-moi, j’ai réservé une salle pour travailler.
- Whaou, quelle organisation ! ironisa Alban.
***
Il lui présenta la base de données qu’il avait constituée ces derniers jours.
- Voilà, j’ai récupéré tous les matchs de NBA des dix dernières années, avec l’évolution des scores et tout un tas de statistiques super intéressantes.
- Où est-ce que t’as trouvé ça ? Ça a dû te prendre un temps fou !
- C’était en open source, je les ai téléchargés en trente secondes. J’ai fait du tri, et aussi codé des premiers modèles, mais je ne suis pas sataisfait. Tiens, regarde les résultats, c’est pas ouf…
Jakub se pencha devant le PC.
- T’es bien gentil, mais je n'y comprends absolument rien. J’ai fait ES au lycée, moi. Les maths étaient déjà assez galères. Tu voudrais pas qu’on reprenne ensemble depuis le début ?
- Hmm… Est-ce que j’aurais pas fait une erreur de code dans cette fonction ? marmonna Alban.
- Tu m’écoutes ?
- Ouais, vas-y.
- Déjà, est-ce que t’as pris en compte les matchs à domicile et à l’extérieur ?
- Tu crois que c’est vraiment important ?
- Évidemment ! Il y a un vrai avantage psychologique, moins de fatigue due au déplacement.
- Je vais essayer, alors.
- Et les changements pendant le match ? T'as souvent des runs pour une équipe ou l’autre !
- Des runs ?
- Des séries de points marquées, si tu veux. Tout est plus facile quand une équipe est en confiance.
Alban sortit une feuille et se mit à griffonner des calculs.
- Tu fais quoi ? demanda Jakub.
- Je cherche des manières de pondérer le niveau de l’équipe en fonction de la situation du match, comme tu dis.
- Ce symbole bizarre, ça veut dire quoi ?
- Juste une notation pour dire que je fais une somme... qui concerne tous les joueurs présents sur le terrain à un instant donné.
- T’es trop chaud !
- Si tu le dis.
***
Lorsqu’ils estimèrent avoir suffisamment avancé, Alban referma son ordinateur avec un geste solennel, comme on frapperait le gong à la fin d’un combat. Au final, son partenaire s’était montré assez – voire très – collaboratif, ayant paradoxalement rendu cette matinée trop fade à son goût. Alban se rendit compte que le détachement, à la limite de l’effronterie, dont avait fait preuve Jakub quelques jours plus tôt, le rendait bien plus séduisant. Il aurait préféré des interactions plus franches et authentiques avec lui.
Il brûlait d’envie d’apprendre à le connaître, mais il peinait à trouver une accroche pas trop maladroite. Il aurait voulu savoir ce qui plaisait à ce garçon, comment il occupait son temps libre ou encore quelle musique le faisait vibrer. Puis, si on s’autorisait à rêver, Jakub passerait du temps à l’initier à une de ses passions…
Si ça se trouve, un bon début serait de lui proposer d’aller manger ensemble ? À treize heures trente, un sportif de son gabarit devrait déjà mourir de faim !
- Bon weekend, hein ! lança soudain Jakub en se levant. On se revoit mercredi pro’, c’est ça ?
- Ouais…
Il avait encore trop tardé, trop réfléchi ; maintenant, cela paraîtrait forcé de proposer quoi que ce soit. Il se résigna à le laisser s’éloigner. Son survêtement gris simple lui fila une chair de poule instantanée, un signe qui trompe rarement sur des désirs encore tout juste affleurants.
***
Après une heure particulièrement inintéressante occupée au ménage – l’avantage d’un vingt-cinq mètres carrés, c’est que la tâche n’est pas insurmontable –, Alban se laissa tomber sur son lit. Il manipula son téléphone sans vraiment regarder l’écran. Il avait déjà envie de réinstaller une application de rencontre, une semaine seulement après avoir désactivé son profil suite à son plan « raté ». Il était toujours difficile de comprendre d’où surgissait cette envie soudaine, irrépressible. Il n’y pensait pas le moins du monde il y a encore trente secondes. C’est sûrement le fait d’avoir maté Jakub. Et le soleil du printemps ne doit pas aider.
Il allait cliquer sur le bouton « Installer » lorsqu’une notification le dérangea. 06 08 05 20 01… Depuis toujours, il avait cette drôle d’habitude de laisser les numéros de téléphone bruts sans enregistrer le nom de la personne ; toujours est-il qu’il ne risquait pas d’oublier celui-ci, car son propriétaire n’était autre que Jakub.
« Yo ! Un ping-pong vers dix-huit heures, ça te chauffe ? Si ouais, on se retrouve au même endroit que ce matin. »
Alban resta figé devant les cinq lignes du message. C’était absurde, irréel, presque suspect. Il devait être proche des émotions ressenties par un gagnant à la loterie au moment où il découvre ses numéros à l’écran. Il fit même une capture d’écran pour s’assurer qu'il n'avait pas rêvé et attendit dix minutes avant de répondre par l’affirmative. Ce ne pouvait pas être une coïncidence, Jakub avait forcément fait un tour sur ses profils de réseaux sociaux pour comprendre que c’était le – seul – sport qu’il avait pratiqué assidûment, pendant quatre ans, entre la troisième et la Terminale.
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