Chapitre 6

4 minutes de lecture

Écrit en écoutant notamment : Protokseed - Swipe Right

Jakub remporta le droit de servir en premier. Il s’amusa à lancer la petite sphère blanche à trois mètres de haut comme le font certains pongistes professionnels, puis il la découpa d’un geste sec du poignet. Désarçonné, Alban dut se décaler au dernier moment et renvoya la balle bien trop à gauche de la table. Il avait intérêt à jouer sérieusement s’il ne voulait pas prendre une fessée. Maintenant que c’était son tour, il fallait remonter les deux premiers points perdus. Il choisit un service lifté rapide et frappa le sol du pied au moment d'engager le point.

  • Eh ! C’est autorisé, ça ? demanda Jakub après avoir sursauté.
  • Bien sûr ! C'est d'ailleurs un réflexe qu'ont de nombreux compétiteurs.

Malgré la maîtrise des services qui revenait, Alban laissa filer la première manche onze à cinq. En fait, Jakub variait peu ses coups : toujours en force au milieu de la table. Dès lors, il recula de cinquante centimètres afin de gagner en temps de réaction. Cette adaptation lui permit surtout de travailler avec délicatesse l’effet de ses retours, afin de gêner Jakub dans son jeu d’attaque. Il remporta le deuxième set onze à neuf et ils changèrent à nouveau de côté. Maintenant qu’ils avaient mieux cerné leur jeu respectif, les points devenaient plus accrochés. Alban tâchait de résister aux coups de boutoir en renvoyant des balles coupées et contre-attaquait dès que Jakub lui en laissait l’occasion. Ils prirent chacun un set sur le score de douze à dix, les menant logiquement à une belle.

Alban se résolut à moins observer son opposant entre chaque point et à se concentrer comme s’il affrontait un garçon tout à fait lambda. Pour le surprendre, il démarra par un service dénué du moindre effet. À l’époque, cette ruse lui permettait de remporter un ou deux points par set. Comme espéré, la balle de Jakub s’écrasa mollement dans le filet. Vexé, ce dernier inspecta sa raquette sous toutes ses coutures, comme si elle fut coupable de son geste manqué.

Depuis le milieu de leur quatrième set, Alban muselait aussi de mieux en mieux les velléités de son rival, en visant les coins de la table, à droite puis à gauche. Il contrôlait parfaitement les trajectoires et lisait dans ses intentions, anticipait ses attaques. Après que le score fut monté jusqu’à neuf à un en sa faveur, Jakub marqua trois points consécutifs, mais sa révolte fut trop tardive pour changer l’issue du match. Onze à quatre, la victoire était nette !

  • En fait, tu pratiques du ping-pong de camping ! se marra Alban, pas peu fier d’avoir tenu son rang face à un adversaire coriace.
  • Peut-être, mais toi, t'as un jeu de rat ! Je comprends ceux qui devenaient fous.

Ils regagnèrent les gradins en riant. Jakub récupéra une serviette dans son sac et s’épongea le front et le bas du torse avant de la tendre à Alban.

  • Tiens, si tu veux te sécher.
  • Euh… Je vais peut-être rentrer chez moi pour ça ! Je n’ai même pas pris d’habits de rechange. Je ne pensais pas suer autant. Il fait une chaleur caniculaire dans cette salle.
  • Raison de plus ! Tu trouveras bien un coin encore sec.
  • Heu… bégaya Alban. Je ne…
  • Alors, tu la prends ? Ou bien tu me regardes ?
  • Oui, désolé !

Le regard de Jakub était troublant d’empathie et de désinhibition. Son téléphone sonna à ce moment et il se leva.

  • Ouais, Thomas ? T’as besoin de quelque chose ?

Il s’éloigna en marchant tandis qu’Alban inspecta le tissu détrempé avec un mélange de dégoût et d’intérêt. Jakub avait dû le prendre pour un demeuré lorsqu’il était resté paralysé devant lui il y a une minute ; il voulait simplement rendre service… Il revint à peine une minute plus tard.

  • Désolé, faut que je file ! s'écria-t-il. Mes potes ont besoin de moi pour préparer la soirée. Je t’aurais bien proposé, mais…
  • Pas de souci, je ne serais pas très à l’aise. C’était déjà super, faudra qu’on fasse la revanche.
  • Carrément !

Alban décida de rentrer à pied jusqu’à chez lui bien que le tram pût lui faire gagner vingt minutes. Les deux heures qui venaient de défiler nécessitaient une réflexion approfondie et rien de mieux que de traverser la ville en mode auto-pilote pour s’y plonger. Tellement d’éléments suggéraient que Jakub trouvait de l’intérêt chez lui. Déjà, il était allé explorer ses réseaux sociaux et lui avait directement proposé cette activité, en tête-à-tête. Cela dépassait très largement la simple envie de bien se faire voir en vue de leur projet. On sortait assurément de l’ordinaire, de son ordinaire au moins, mais difficile de croire que cela fît partie d’une tentative de séduction. Et pourtant… Jakub l’avait réellement complimenté sur son physique. Dommage que son regard mirifique, à la fin de la séance, fut interrompu par sa sonnerie de téléphone. Allons savoir, avec dix secondes de plus, il aurait pu décider d’embrasser ses lèvres.

En arrivant dans sa rue, Alban se rendit soudain compte d’une réalité absurde. De toute sa vie, il n’avait jamais eu l’occasion de draguer un garçon d’une autre manière que par messages, au chaud derrière un profil. Il n’avait jamais été confronté à l’incertitude métaphysique de savoir si le mec qui lui plaisait était au moins gay.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire lampertcity ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0