Chapitre 8
Écrit en écoutant notamment : Leks – Bulgarian Tale
Alban répondit au baiser en se calant contre son torse et osa poser sa main sur ses quadriceps tendus. En même temps, les doigts de Jakub effleurèrent les rugosités de son flanc, s’attardant au creux des côtes.
Ce dernier attrapa soudain sa feuille de notes. Il inscrivit leurs deux prénoms l’un au-dessus de l’autre puis se mit à entourer des lettres et à écrire une série de chiffres. L’opération dura trente secondes, avant qu’il n’annonce :
- On est compatibles à cinquante-cinq pour cent. Je suis déçu.
- D’où tu sors ça ?
- Il faut parcourir les lettres les unes après les autres. Tu comptes combien de fois elles apparaissent en tout. Ensuite, tu ajoutes le premier chiffre au dernier, le deuxième à l’avant-dernier… et ainsi de suite, jusqu’à déterminer ton score de compatibilité.
- Mais ça n'a strictement rien de rationnel ! Et puis ça donnerait un résultat différent si tu commençais par ton prénom au lieu du mien !
- J’ai oublié que j’ai affaire à un matheux. Mais est-ce que la vie est aussi palpitante si on laisse seulement la rigueur nous guider ?
- Faut demander à ceux qui font philo. En tout cas, tu m’attires plus qu’à cinquante-cinq pour cent. Je me demandais, tu n’as pas peur de l’homophobie dans l’armée ?
- Non. J’ai toujours su me cacher, même à ma famille et à mes amis les plus proches. Les seuls qui savent… sont les mecs que j’ai fréquentés, dit-il avec un rire.
- J’espère que tu te sentiras bien, alors.
- J’en suis certain. J’ai eu une idée pour samedi prochain, avant mon départ. La fac propose des places pour les championnats de France de tennis de table à Montpellier.
- Trop sympa !
- Apparemment, il faudra observer deux petits jeunes extrêmement talentueux. Ce sont deux frères et certains annoncent déjà qu’ils pourraient gagner une médaille pour la France aux Jeux olympiques de Paris, dans deux ans.
- Oui, j’en ai entendu parler !
- On pourrait aussi sortir ensemble le soir même. Il suffira de dire à mes amis que je dois préparer ma migration vers le Nord.
Alban se renferma subitement. À peine naissante, cette parenthèse se refermait déjà. Valait-ce réellement la peine de laisser ses désirs se développer ? Se connaissant, il serait bon pour une semaine de dépression, voire deux s’il s’attachait encore plus. Il fit part de sa réflexion à Jakub, qui tenta de le rassurer :
- Moi, je pense qu’il faut profiter des occasions qui s’offrent à nous. Le futur est trop incertain pour s’autoriser à tergiverser.
- Mouais… J’aurais du mal à en profiter, personnellement.
- Et puis l’idée de savoir qu’on se reverrait d’ici quelques mois, lors d’une permission, ça me plaît. On se retrouverait à Paris, ou à Lyon…
- Parce que c’est toi, je veux bien essayer, lâcha Alban solennellement. Savoir que tu attends nos retrouvailles me consolera.
- Ne sois pas non plus trop prétentieux ! On verra déjà si t’es bon au lit.
- Hein ? s’étrangla Alban. Il n’y a que ça qui compte ?
- Un peu de second degré, hé ! Même si…
L’emphase mise sur sa pause exprimait une envie absolument plus dissimulée. Jakub imaginait réellement faire l’amour avec lui.
***
Alban repartit avec encore plus de questions que le samedi précédent. Ses pensées alternaient entre la soirée sensuelle qui se profilait et le désespoir que cette première fois avec lui soit la dernière avant une éternité. Il shoota dans un caillou qui traînait sur le trottoir puis pressa ses mains sur ses yeux.
Après réflexion, Jakub n'avait pas tellement tort. C’était une occasion rare : il pourrait bien sacrifier le reste de ses sorties du mois pour lui offrir une soirée digne de ce nom. Cela aurait bien plus de valeur qu’un plan lambda. Tant pis s’il se languirait de ce garçon, au moins, ce seraient des sentiments nobles, même chevaleresques, ceux d’attendre le retour de son bien-aimé.
Il faudrait également acheter le nécessaire en vue d’un rapport charnel ; son gars paraissait très motivé même s’il avait choisi le ton de la plaisanterie. Alban réfléchit un instant à l’incidence statistique du couple qu’ils formeraient. Un étudiant de maths chétif qui baise un sportif discret… Mais comment s’y prendrait-il ? Est-ce que, même en tant que passif, Jakub le guiderait dans ses intentions ? Ou bien devrait-il lui-même prendre les choses en main ? Cette deuxième hypothèse l’effrayait clairement. Il faudrait le questionner sur ses préférences, sur les zones de son corps les plus érogènes. ll faudrait tout faire pour qu’il en garde le meilleur souvenir...
***
Jakub patientait à l’entrée du Centre de Sélection et d’Orientation de Charleville-Mézières, accompagné de jeunes gens comme lui. La moyenne d’âge tournait autour de vingt ans, avec peut-être une fille sur dix. Il faut dire que l’armée de terre est la branche la plus masculine.
En attendant qu’on les appelle pour entamer le circuit médical, il avait eu le temps d’échanger avec plusieurs gars. Comme lui, ils venaient de toutes les régions de France : il y avait Gaëtan, un Breton de dix-neuf ans, sympathique, mais pour qui une remise à niveau physique s’imposerait, ou encore Rowan, qui s’était enfui du domicile de ses parents le jour de ses dix-huit ans, en restant évasif sur ses raisons. Ils seraient sûrement vite séparés, mais le simple fait de discuter aidait à faire retomber la pression et à s’acclimater à ce nouvel environnement. En plus, Jakub avait dû faire ses valises précipitamment, car le rendez-vous avait été avancé de plusieurs jours. Il repensa au message envoyé à Alban pour le prévenir que leur samedi à Montpellier tomberait à l’eau. La réponse avait été lucide, stoïque, lui souhaitant une pleine réussite, mais au fond de lui, il l’avait su meurtri. Il se rendit compte qu’avec le voyage, les formalités, il n’avait plus pensé à lui la moindre fois les dernières vingt-quatre heures.
Une officière calma d’un coup la foule et enjoint une trentaine de candidats à la suivre. Jakub s’affaira d’abord à remplir des papiers, puis les examens commencèrent en tant que tels. Il passa de cabinet en cabinet, sous l'œil averti de divers spécialistes qui contrôlèrent sa vue, son audition, lui firent une prise de sang et de tension artérielle. L’ensemble des convoqués se retrouvèrent ensuite dans une salle de sport pour les tests d’aptitude physique. Jakub examina les garçons autour de lui et s’estima dans la moyenne au niveau de la musculature. Ce n’était pas un désavantage : être trop massif est pénalisant pour les épreuves d’endurance, et même certains exercices de force comme les tractions. Avec son entraînement régulier des dernières années, il espérait figurer dans le top cinq pour une majorité de tests.
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