Chapitre I
Il n’y a qu’une chose qui compte à mes yeux : la survie. Aujourd’hui, rien d’autre ne peut me traverser l’esprit que de sauver ma peau face à la mort. La famille, les amis, tout ça on oublie. Pourquoi se fatiguer avec des banalités quand on risque notre vie en dehors des murs ? De toute manière, ces gens-là, ils sont six pieds sous terre. Soit ils ont été tué par les monstres bouffeur d’hommes, soit on leur a tiré une balle dans le crâne par soupçon d’infection. Ces gars-là aussi, ils sont tarés, encore plus que la plus grande menace de l’humanité. Ils ont la fâcheuse tendance à se croire au-dessus des autres et à flinguer les premiers qui s’opposent à leurs ordres. Par mesure de sécurité, disent-ils. Il vaut mieux se retrouver entourés d’infectés aveugles que de ces cinglés qui se pensent tout permis. Ils chouinent que la population mondiale à chuté d’au moins quatre-vingts pour cent, mais ils continuent de baisser le nombre sans réfléchir aux conséquences. Je vous assure, on se sent bien plus en sécurité à l’extérieur qu’entre les murs de ces civilisations militaires. On ne compte que sur soi-même, et si on crève, eh bien, tant pis, fallait être plus malin.
Je ne traine avec personne, et personne ne traine avec moi. Le premier qui approche, même les mains en l’air, il dégage d’un coup de pompe dans la face. Et ce scénario-là, c’est quand je suis certaine qu’aucun monstre ne traine autour. Rien qu’un pied sur une brindille peut les attirer, et là, on peut prier pour sa peau. Résistant, rapide, moche, ils n’ont rien qui attise la sympathie. On peut s’en sortir de leurs griffes ou de leurs crocs, mais faut quand même se dire adieu. La probabilité qu’on soit infecté après cela est haute, quasi-sûr.
Il y en a encore, de ces survivants, qui n’ont pas compris le principe de « survie ». Quand je les observe de mon mirador, sur l’un des toits de ces immeubles abandonnés, je me dis que la nature les a pas gâtée. Ils trainent en groupe, parlent à voix haute, ne prêtent pas l’oreille à ce qui les entoure. Si je tire une balle là, maintenant, aucun d’eux ne pourra prédire d’où j’ai tué. Ça me tente, mais je ne gâcherai aucune balle pour des imbéciles dans leurs genres.
J’espère juste qu’un de ces monstres arrive au détour de la ruelle qui traverse, que ces gars fuient ou meurent, et qu’une fois le monstre tué par mon calibre, je puisse récupérer les ressources qu’ils transportent. Mais les chances sont faibles, alors je ne m’accroche pas trop là-dessus. J’ai mon idée d’où ils se dirigent, cependant si j’étai eux, j’y réfléchirai à deux fois. Ce centre commercial, à la prochaine à droite, est comme je l’avais supposé lors de mon arrivée : totalement clôturé. Et j’ai appris à me méfier, lorsqu’un bâtiment est fermé par des chaines en métal. Qui dit autant de sécurité, dit monstre potentiel à l’intérieur. Ou bien un gros nid.
Je les regarde sautiller comme des agneaux ; je suis un loup à côté. J’attends que ces proies tombent de la falaise pour récupérer leur laine. C’est d’un ennui profond, même prendre une cigarette et les regarder ne changera pas mon divertissement.
Comme je l’avais deviné, ces neuf gars partent faire du shopping facile dans le lieu le plus infesté selon mes prédictions. Quand ils disparaissent de ma vue, je prends mon sac et mon arme, et je redescends les huit étages de l’immeuble. C’est long sans ascenseur. Je préfère ça à me bloquer dans un mètre carré pour le restant de mes jours. Et puis la rouille a déjà commencé à ronger les câbles, même un nourrisson ne risquerait pas d’y entrer.
La rue est déserte, c’est parfait. J’ai appris à marcher en silence, tout en étant rapide. Je me cache derrière un mur et guette le groupe devant la porte du centre commercial. Ils ont de grosses pinces pour casser la chaine, mais ils ont l’air de galérer. Ça se gueule dessus comme des diables de Tasmanie, pire qu’un écho en montagne. Les chaines font un bruit horrible, à la limite de l’insupportable. S’ils continuent comme ça, ils vont attirer tous les monstres à vingt kilomètres à la ronde.
Ça s’arrête. Enfin. Un coup d’œil, et je les vois s’engouffrer à l’intérieur. Je peux aussi tenter ma chance tout en ne me faisant remarquer par personne. Au moins je pourrai approvisionner mon sac, et être tranquille pour encore plusieurs jours. Je ne manque pas de grand-chose, mais je suis du genre à prévenir plutôt que de guérir.
J’oubliai une autre possibilité, qui s’est avéré être la plus agaçante. Coup de feu à l’intérieur. Des cris, et des gars qui sortent en courant. Du sang sur le corps et les larmes aux yeux. Il ne faut pas être une tapette quand on sait à quoi s’attendre. Une balle dans le derrière de la tête, et les voilà à terre dans leur propre merde. Des gars armés sortent du bâtiment, ils se félicitent de ce que je crois voir. Bande de sous-race.
Un gang, de visu. Ils sont propres, armés jusqu’aux orteils, et bien protégés. Ils sont surement là depuis le premier mois de décembre. Le mois ou la catastrophe a commencé. Ils frappent dans les cadavres, les dépouillent et jouent avec leur mâchoire. Ils n’ont pas de scrupule. Ce qui les intéressent, c’est les provisions qu’ils transportent.
Avec un gang, je risque ma vie. Je comprends mieux pourquoi il n’y a aucun monstre dans le coin, ils ont dû tous les décimer. Je perds mon temps dans cette ville.
Ils ne veulent pas d’une personne en plus dans leur groupe de survie, ça tombe bien, moi aussi. Je rebrousse chemin pour trouver une autre route, un moyen de contourner ce centre commercial sans me faire choper par ces tarés. Je reste fidèle à moi-même, discrète et attentive. Je m’en voudrai terriblement de me faire avoir là, au coin d’une route déserte avec même pas un rat.
Annotations