Chapitre III

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 Bien trop grande. Cette ville n’en finissait pas. Toujours la même architecture, mais pas les mêmes boutiques vandalisées. C’est un grand dédale qui commence à me casser les noix, et je ne suis pas du genre à m’énerver pour un rien. Je rationnalise. Plus loin je suis du centre commercial, plus il sera difficile de me retrouver. Mais je crois peu en ce scénario qui est que des gars propres sur eux viendraient se salir pour une personne. Ils sont encore trop dans le luxe pour se confronter à la misère. Les monstres peuvent détecter une proie à son odeur, autant être le plus neutre possible niveau odeur ou sentir comme son environnement.

 La nuit, il vaut mieux éviter de se balader. Ils sont plus actifs la nuit, et plus vifs. Ils voient dans l’obscurité. Les hauteurs ne sont pas leurs points forts, alors je rentre dans un bâtiment qui semble accueillir des bureaux de travail. Je m’installe à l’étage le plus haut, entre deux chaises renversés et bousillés par la moisissure. Ça pue, c’est crade avec cette mousse et ces cloportes, mais je peux au moins m’assurer d’être en sécurité.

 En décembre, le froid dévore la peau et les muscles pour ronger les os et tout ce qui compose un être vivant s’il n’est pas couvert. Je rassemble des objets inflammables, et j’allume une allumette. Je la jette pour créer des flammes entre tous ce matériel inutile. Le peu de flamme qui se battent en duel n’arriveront jamais à devenir assez grosse pour engloutir le bâtiment. Avec moi dedans.

 J’observe ce feu danser avec timidité, avec une envie pressante d’y plonger ma main dedans. Peut-être ai-je envie de le rejoindre dans sa lente valse brûlante, ou alors j’ai juste envie de me cramer les doigts. La seule chose qui va cramer au-dessus, c’est un bol et une soupe en conserve. Elle bouillonne dans son récipient chauffé à bloc, les bulles éclatent et gicle par-ci par-là. L’odeur est immonde, mais le goût ne le sera pas. Du moins, je me l’incruste dans le crâne. Faire son difficile dans les temps où on peut mourir à tout moment, ce n’est pas un luxe qu’on peut se permettre.

 Pendant que la soupe chauffe, je sors de ma poche une cigarette et un briquet. Je fouille dans mon sac pour sortir un petit carnet. Les pages sont jaunis et cornés, et l’encre en début de livre commencent à s’enfuir. Mais je tourne les pages, je m’arrête sur la dernière qui n’a pas finie d’être remplie. Je plonge mon esprit dans mes souvenirs, j’allume cette cigarette machinalement et tire un coup dessus.

 Quel jour sommes-nous ?

 La dernière date affiche « 1051ième jour de décembre ». Si je farfouille un peu, ce mille-cinquante-et-unième jour date d’il y a neuf jours.

 Nous sommes au 1060ième jour de décembre. Je le marque au stylo noir, dans une écriture tremblante.

 Je n’écris pas tous les jours. C’est une perte de temps, surtout quand on se déplace sans arrêt. Quand je peux me poser, j’essaye de me rappeler le maximum des journées passées. Ces huit derniers jours n’ont pas été très intéressant, autant s’attarder sur le neuvième.

« Groupe de survivant tué par un autre groupe proche d’un centre commercial. J’ai volé les provisions d’une fille. Je ne l’ai pas tué. »

 Je ne sais pas pourquoi, mon esprit s’attarde sur cette fille. Il divague même un peu trop. À se l’imaginer bien plus rayonnante qu’elle ne l’a été lorsqu’on s’est croisée. À ce visage effrayé mais un poil adorable lorsque je lui ai demandé de reculer pour que je vole son sac. Une voix douce, qui me demande de les rejoindre.

Que des conneries que mon cerveau s’invente. Il aime bien me foutre mal, me rappeler des trucs dont je n’ai pas envie de me souvenir. Peut-être que le contact humain serait plaisant, mais aujourd’hui, je ne dois plus y avoir droit.

C’est bien trop dangereux.

 Je déteste ce monde, ces gens, et ces monstres qui ont ruinés ma vie. Je ne veux aucune vengeance, c’est totalement inutile contre des bêtes sans cervelle. Je veux simplement qu’on me laisse faire ce que je veux, comme je veux, quand je veux, et qu’on n’interfère pas dans mes idéologies.

 Elle a réussi à me semer le doute un simple instant. Je ne laisserai plus jamais passer ça.

 Je finis cette cigarette qui me parait maintenant bien amère, je range tout et me sers dans un autre récipient la soupe chaude. Dégueulasse, mais elle nourrit, c’est le principal.

 La bête qui hurle à l’extérieur, je vais l’oublier pour ce soir, et tenter un peu de repos.

 Même si je ne dormirai que d’un seul œil.

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