Chapitre VII

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Par chance, on a trouvé au milieu de la nuit une station-service abandonné. Parfaite pour se reposer, parce que franchement, si on avait dormi dehors, je l’aurais entendu se plaindre jusqu’au lever du jour.

Il n’y avait aucunes étoiles dans le ciel, signe qu’il était toujours couvert. La pluie menaçait de revenir. On s’est refugiée à l’intérieur de la station après avoir vérifié que rien ne rodait autour ou à l’intérieur. J’ai allumé un feu avec un peu de bois de mon sac et des magazines encore présent. J’ai regardé dans les rayons si des paquets de cigarette trainait, mais rien. Il avait été dévalisé de ses meilleurs éléments.

La fille pris place proche du feu, une couverture sur le dos, le regard noyé dans les braises. Je la surprenais de parfois jeter un œil dans ma direction, pour une ou deux secondes. Je sens qu’elle veut parler, entamer une discussion. Moi je n’aime pas ça.

Je sors deux conserves de mon sac et les laisse réchauffer au-dessus du feu. Puis j’en donne une à la fille.

— Cadeau de la maison, mais ce sera pas tout le temps pareil.

Elle lâche un léger sourire, amusé par ma phrase. Je viens littéralement de lui dire que la nourrir me faisait chier, et ça l’amusait. Bref…

Le repas est silencieux, rythmé par le crépitement du feu et les cuillères qui raclent les bords de conserves. Je finis vite mon plat pour attraper une cigarette et me la foutre au bec.

— Fumer ? Par ces temps ?

La question de la fille me donne un sursaut. Sa voix est douce mais faible, hésitante à prononcer ne serait-ce qu’un mot. Elle n’est pas à l’aise, de toute évidence. Elle qui veut discuter ne trouve pas le meilleur sujet pour un premier échange plus… amical.

— Ça pose problème ? je demande, un nuage gris s’échappe d’entre mes lèvres.

— Non… c’est juste que… je trouve ça bizarre.

— Faut bien savoir se détendre non ? Vaut mieux ça que je t’éclate le crâne par plaisir.

Je perçois de la gêne dans tout son être. Un frisson la parcourt. Normal idiote, tu viens de lui dire que tu voulais la bousiller.

— Bon… et sinon, tu vas où ? m’interroge-t-elle de but en blanc.

— Là ou personne ne viendra pour me faire chier.

— C’est-à-dire… ?

— Quelque part ou y a pas un péquenaud de notre espèce, ni celle de ces bestioles.

Qu’est-ce que je peux lui dire de plus ? Rien. Je ne veux pas qu’elle en sache trop. C’est déjà relou de l’avoir dans les pattes, alors si elle connait mes plans, c’est d’autant plus contraignant. Personne n’a a juger mes choix de vie, et c’est pas le lieu pour qu’elle me fasse la morale. Alors je me contente d’être la plus vague possible.

Elle me semble plus perdue qu’avant. Face à une inconnue si froide qui lui a sauvé la vie, elle ne sait pas comment réagir. Je la vois jouer avec ses doigts, son regard perdu dans la lumière de feu.

Je tire sur ma cigarette, la consume presque de moitié. Mes poumons brûlent et me soulage. Je suis bizarrement tendue. J’ai visiblement oublié comment on agissait en public.

— Tu es encore loin ? De là ou tu te rends ?

— Je dirais que j’ai encore un mois ou deux de marches. Si je ne traine pas. (Je garde le silence un moment, avant de lâcher sans que je ne sache trop pourquoi) Tu cherches un endroit ou t’installer ?

— Je sais qu’il y a des camps de refuge, mais je n’en ai jamais croisé.

— Et ben si on en trouve, tu pourras t’y rendre.

— Oui…

Ses bras entourent ses jambes. Elle enfouie la moitié de son visage, la mou assez défaitiste.

— Je ne comprends pas.

— Quoi donc ?

— Comment on a pu en arriver là… comment ces gens ont pu devenir…

— Ce ne sont pas des « gens » (je l’interromps après avoir terminé ma clope).

— Ils l’étaient ! Avant de devenir ça…

— Tu l’as dit : ils « l’étaient ». Ça sert à rien de s’attarder sur leur ancienne nature. Ils veulent nous bouffer, alors on leur en empêche.

— … Tu as toujours été comme ça ?

Je fronce les sourcils. Elle continue :

— Aussi… terre-à-terre. Si j’ose dire. Tuer ou être tuer. Ce genre de chose quoi.

— Si je le suis pas, je crève. Je vais pas me faire chier avec des sentiments inutiles à ma survie.

— Pourquoi tu m’as sauvé, alors ?

— Je t’ai pas sauvé. Cette chose méritait une balle dans le crâne.

— C’est admettre que tu m’as sauvé.

— Non.

Je n’en avais aucun intérêt, idiote. Ne ressasse pas quelque chose que j’aurais pu éviter, si je ne m’étais pas mis à ta place. Plus j’y repense, et plus j’ai envie d’éclater ma tête contre le sol tant j’ai été stupide. Bordel de moi, j’aurai vraiment dû lui tourner le dos et la laisser se faire dévorer.

Ma réponse négative parait l’avoir réjouie. Comme si je lui avais dit avec un grand sourire « oui c’est vrai, je voulais te sauver ! ». Ridicule. Idiote, et neuneu.

Le bois craque, résonne dans la station-service. J’entend le clapotement de l’eau sur le toit : la pluie est de retour. Demain sera une journée froide. Encore.

Mes jambes fourmillent de chercher de quoi se réchauffer à l’intérieur de ce bric-à-brac. Des allumettes pour économiser les briquets, du tissu à coudre ensemble pour former une vieille couverture qui tiendra trois nuits, des conserves périmées. Les derniers venus ont bien pris soin de le dévaliser comme il faut ; même la caisse n’a plus un sou. Comme si l’argent servait encore à quelque chose…

Pendant que je farfouille les rayons, la fille recommence à parler. Me pose une question…

— Tu t’appelles comment ?

… somme toute basique, mais qui me parait étrangement familière à l’oreille. Des frissons me parcourent le long du dos.

— Pourquoi ? je lui lâche en restant caché par les étagères rouillées.

— On fait un bout de route ensemble, il faut bien se connaitre un peu. Au moins le prénom.

— Je veux pas d’attache, et les prénoms, ça en donne une.

— C’est si dur que ça de le donner ? Je ne te demande pas de me protéger jusqu’à la mort.

— Crois-moi, c’est vraiment pas un truc que je ferais. Si tu clamse, j’en aurai rien à foutre. Rappelle-toi : les sentiments et la survie ne font pas bon ménage.

Elle renifle : la raison, je n’en sais rien. Elle garde le silence un instant. Puis lance dans un murmure :

— Tu peux au moins me donner ça.

Je souffle. Agacée. Elle m’agace terriblement. Affreusement. Je crois ne plus savoir ce qu’est une interaction, à ce stade de la conversation.

— Sasha, je crache avec un ton irrité dans la gorge. Avec un « s », pas un « c », si je me rappelle.

— Tu ne sais plus écrire ton prénom ?

— Je l’écris pas sur tous les murs que je croise.

— … D’accord.

— Alors, contente ?

— … Oui.

Bien. Maintenant, fiche-moi la paix. Que je farfouille mes étagères en paix, comme à mon habitude. Sans personne pour me parler et m’emmerder. Me poser des questions idiotes. Me rappeler des souvenirs que je hais, au plus profond de moi. Que je veux déchirer à tout instant.

— Laetitia.

Mes doigts arrêtent toutes activités. Mon cœur s’arrête, j’ai du mal à respirer. Ma tête bourdonne. J’ai du mal entendre.

— Pardon ? je souffle sans air.

— Laetitia. C’est mon prénom. Tu me donnes le tiens, je te donne le miens.

Bon dieu, comment diable ça peut être possible ? Dans ce foutu monde de merde, dans cette foutue station-service de merde.

Pourquoi ???

… Je me surprend à ricaner. Faiblement, inutilement. Je ne sais même pas pourquoi.

— C’est marrant, ça.

— De quoi, mon prénom ?

— Non, non…

Je les prononce si doucement que je suis sûre qu’elle ne m’a pas entendu. Qu’importe, je n’en ai rien à foutre. J’ai autre chose à penser, comme à ce destin de fiente qui me rattrape par la capuche de ma veste.

La coïncidence est trop grosse. Je hais réellement ça.

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