Je n'entends presque plus rien. Le moindre bruit s'atténue, faisant place à un silence froid, pesant sur moi comme une enclume. Le temps semble aussi changer, entraînant avec difficulté les aiguilles de chaque montre qui s'épuisent et peinent à parcourir de simples millimètres. Oui, ça y est. C'est le moment. Je suis prêt.

 Je marche, lentement, vers la personne qui se trouve en face de moi. Elle sourit, droite, détendue, mais toujours aucun son ne vient percuter mes tympans. Mon cœur joue un drôle de jeu ; tel un démon dans une piscine d'eau bénite, il bat et se débat comme encore jamais je ne l'avais ressenti. Mais je ne lui en veux pas, car c'est grâce à lui que, là, calmement, je déambule vers le bouleversement de mon avenir.

 Je m’apprête à faire quelque chose de si simple et si complexe à la fois. Une chose qui vous tire vers le bonheur, mais vous pousse dans l'angoisse. Je m'apprête à lui dire. Lui qui a toujours tout représenté pour moi. Comme tous ces pauvres clichés démodés, j'ai l'intention de lui dire ce qu'il représente vraiment pour moi. Plus que tout, alors qu'il n'y est pour rien.

 Ma main vient se poser sur son épaule, mais je ne m'en rends pas compte. Ma bouche s'entrouvre et tente d'articuler un charabia saccadé. Et voilà qu'enfin le premier mot vient à s'échapper de ma gorge, sans que je ne puisse rien faire pour le retenir. Il est seul devant moi et j'ai l'impression de l’être aussi. Seul et nu, face à lui, maintenant qu'il sait, dévêtu de ces remparts qui obstruaient les lumières de mon cœur.

 Il hésite un instant, puis laisse apparaître un petit sourire. Cupidon jubile tout là-haut tandis que le stress envahit la plus petite parcelle de mon esprit, prisonnier et compressé par de nombreuses questions sans réponses. Et, oh, que sens-je ? Ses doigts ? Oui ce sont ses doigts. Ils effleurent ma main, mon bras, et gravissent mon épaule avec une telle délicatesse. Ma nuque frissonne, comme tant d'autres choses en moi. Il s'impose plus amplement sur mon corps tremblant, ses paupières créent l'éclipse fatale dans son regard, et ses lèvres viennent au contact des miennes.

 Je n'en reviens pas, je suis tendu, puis détendu, et enfin, je profite de l'instant présent comme si aucun autre n'était prévu à la longue liste de mes destinées. Je suis alors le plus heureux. Mes jambes ne me supportent plus, je vole, avec son corps dans mes bras.

 Son corps ? Il meurt ! Que faire ? Alors que notre plaisir mutuel était à son apogée, voilà qu'il pousse son dernier souffle sur mon cou. Les larmes colonisent soudainement mes joues, et les siennes. Autour de moi tout s’effondre : les bâtiments sont ruines, la rivière est canyon, et mon cœur à libéré ce démon qui détruit tout. Les nuages noirs, épais, dévorent les étoiles et la foudre abat toutes traces de vie. Quant à moi, je me retrouve ainsi dans un désert de cadavres et de silence. Un silence bien différent, bien plus froid et bien plus triste. Le démon de mon cœur est à genou face à moi et me fixe du regard, d'un lien si fort que je ne peux m'en détacher. Mon esprit s'illumine en se remémorant cet instant de pure douceur avec l'être aimé que j'ai si longtemps désiré. Mais le démon comprend, et s'empresse de hurler pour me faire oublier et m'asseoir.

 M’asseoir sur mon lit, la bouche ouverte, hurlante, mon front dégoulinant de sueur. Un simple rêve. Un simple cauchemar. Je suis soulagé, mais dégoûté. À quand ? À quand le moment où enfin, je lui révélerai ce secret ? Un soupir, un sourire, une larme et un second soupir, avec toujours cette éternelle question de torture. À quand ?

 À quand ?