Chapitre I : Le visionnaire Gribain

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Sur la grosse horloge de la gare, cinq heure venait d'être pointé par les aiguilles métalliques. À cette heure matinale, le guichet demeurait fermé et n'ouvrirait pas avant une bonne heure. Le hall, aussi désert qu'une salle de torture destinée aux volontaires, était silencieux, pas âmes qui vivent, ni même de chat (félin n'ayant pas d'âme comme tout le monde le sait). Néanmoins, sur le quai, un homme marchait d'un pas tranquille, coiffé d'un petit chapeau en feutre, ne laissant distinguer que ses petits yeux cernés de ride et une barbichette, qui ma foi, était assez bien taillée. Un lourd manteau le protégeait du froid matinal, les talons de ses chaussures résonnaient sur le sol, le rendant aussi discret qu'un danseur de claquette dans une église un jour de deuil. L'homme, portant le solide nom d'Edgar, arriva devant un banc forgé de spirale de cuivre, du bon travail, où attendait un autre homme, plus jeune, plus séduisant et plus riche à en juger par sa tenue. Coiffé avec soin, mais sûrement pas le sien, sa chevelure blonde était tirée en arrière, ses yeux bleu clair avaient le même métier que ces hommes en robe noir et marteau, il jugeait et condamnait tout ce qui n'était pas de son rang. Edgar le regarda un moment, sans mots dire, puis le sourire aux lèvres, il prit place à côté du jeune homme. Le silence regagna les lieux, puis après un court moment qui parut bien plus long, Edgar prit la parole :

- Il fait frais ce matin, pas froid mais frais.

Le jeune homme accrocha le locuteur du regard, ce dernier poursuivit :

- Bruxelles est si belle la nuit, si tranquille, rien à voir avec Paris qui est condamnée à l'insomnie. D’ailleurs en parlant de Paris, je m'y trouvait hier soir, à un dîner, où j'ai entendu une histoire amusante, bien que certain, ne se soit pas amusé de cette mésaventure.

Edgar fit une pause, et le jeune homme, avec un accent entre british et aristocrate demanda :

- De quelle genre d'histoire Monsieur, parlez-vous ?

- Et bien ... (Edgar sourit) cela se passe dans une galerie d'art...

Je suis désolé mais je ne vais pas écrire l'histoire comme elle est sortie de la bouche de ce bon vieux Edgar, nous les retrouveront plus tard sur leur banc, en attendant, direction Paris, ville lumière, capitale du bon goût comme le disent les parisiens, avec ses cabarets, ses vendeurs de journaux sur chaque trottoir et ses galeries d'art.

Ce soir là, Raymond Delamart, avait invité le tout Paris pour montrer, une nouvelle fois, l'étendue de sa fortune. En effet ce petit monsieur rondelet à la couleur presque écarlate, aimait non pas montrer, mais exposer sa fortune, acquise vite et certainement malhonnêtement, mais nous ne sommes pas là pour juger. Donc le tout Paris était là, il y avait des hommes d'affaires, des nobles, un nombre extravagant de journaliste, tous prêt à se servir de leur appareil photo. Il y avait même du sang bleu dans la salle, un prince qui ayant besoin du soutien citoyen se montrait aussi souvent que possible (ah oui j'oubliais, dans cette hypothèse, on va dire dans ce monde, la France est toujours une monarchie, ou presque, puisque l'on vote pour élire le roi, bien que les postulants soit de la même famille. Je sais, c'est bizarre, mais c'est comme ça, ce n'est pas moi qui décide).

Aujourd'hui Monsieur Delamart en avait eu pour son argent, la galerie, les services, hôtellerie, traiteur et ce qui animait les conversations, le seul et l'unique tableau de feu Étienne Gribain, peintre mort deux cent ans plus tôt et qui était considéré par tous comme un visionnaire. En effet sur une toile, Mr. Gribain avait peint ce qui manquait dans sa vie, une machine qui broyait entre de lourd engrenage des petits grains de café, plus la peine de se faire des bras de boxeur en les écrasant sur la table, ou même casser cette table, en utilisant un marteau ou autre outil qui servait à préparer cette boisson noir et amère. Gribain avait changé la face de la terre en créant non pas le « broyeur à grain de café » (marque déposée), mais en peignant la machine.

Et aujourd'hui le tout Paris était venu voir le Gribain qui a été acquis pour une fortune par Mr. Raymond Delamart. Le tableau était là, sur le mur, caché par une superbe tenture rouge, comme au théâtre, et Delamart devant elle sans bouger, serrant ça et là quelques mains, bavardant peu, impatient de voir les têtes le jalouser. C’était le moment, il demanda le silence, récita un discourt sans saveur en la gloire de l'argent et enfin tira le cordon qui fit tomber la tenture. Les prochaines secondes sont interdites pour tout épileptique, car elle se passe dans un flux constant de flash de lumière qui aveuglait tout le monde, surtout Delamart. Les spots étaient tous braqués sur le tableau, les murmures se faisaient entendre, et l’hôte de la soirée jubilait, lorsque...

Une petite goutte brunâtre tomba au sol dans un sploutch des plus sonore, juste en dessous du tableau. Puis une autre et encore une, d'autre couleur cuivre, vite suivi par tout un tas de différente couleur. Le tableau Gribain, fondait comme du beurre dans une poêle, devant l'assistance en émoi, Delamart ne comprenait pas, son regard horrifié ne pouvait se détourner de la toile qui redevenait blanche.

Les appareils photos se remirent en action, cette soirée allait apporter son nombre de scoop journalistique record. Après moins d'une minute la toile était de nouveau vierge, ou presque...

En effet, dans le coin inférieur droit, quelques phrases étaient apparues, dissimulées par la couleur, elles disaient :

"Désolé messieurs, dames, mais le tableau Gribain se trouve à Londres en ce moment et depuis déjà trois jours, un collectionneur privé, vous savez ce que c'est.

Avec toutes mes amitiés Seth Ambroise

PS Veuillez présenter mes excuses à mademoiselle Élisabeth."

Revenons sur notre quai bruxellois, si vous le permettez, où Edgar vient de finir sa petite histoire. Le jeune homme blond l'a beaucoup apprécié, d'autant plus qu'il en faisait partiellement partie, sous la forme du collectionneur privé. Il se leva du banc, son regard redevenait déjà glacial, prit une enveloppe dans sa poche et la jeta sur le banc, juste à côté d'Edgar, vexé qu'on le prenne ainsi de haut, mais connaît les riches Anglais et leurs manières douteuses. Edgar empocha l'enveloppe, se leva, fit un signe poli de la tête et reparti par là même où dix minutes plus tôt était venu, quand l'Anglais l'appela :

- Dites-moi, qui est cette mademoiselle Élisabeth ?

- Mademoiselle Élisabeth, Monsieur, c'est la femme de ménage de la galerie, évidemment, la pauvre allait avoir du travail en plus pour enlever la peinture du sol.

Edgar sorti de la gare, le soleil pointait ses premiers rayons et bientôt, la capitale allait devenir un champ de foire bruyant. Il prit place dans une voiture, côté passager, il ne pouvait voir la route car la cheminée du moteur se trouvait juste devant. Le chauffeur le regarda un moment et dit :

- Comment était-il mon bon Edgar ?

- Vulgaire comme les riches, Monsieur.

- J'en suis désolé. Voulez-vous conduire ?

- Si monsieur le veut, mais où allons-nous ?

- Diantre, mais à Londres, une jolie toile nous y attend, mais avant cela, j'ai quelques photos à développer.

- Bien Monsieur Ambroise.

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