L'Heritage des Koffi
La maison familiale des Koffi, à Fidjrossè, était un vestige colonial aux murs ocre, où le passé semblait murmurer à chaque craquement du bois. Adéyemi gara sa jeep sous un manguier, le cœur lourd. Il n’aimait pas revenir ici, là où les souvenirs de son frère aîné, Koffi, pesaient comme une malédiction. Mama Zannou, sa grand-mère, l’attendait sur la véranda, ses doigts noueux serrant un chapelet vodoun. À 78 ans, elle était une prêtresse redoutée, ses yeux perçants capables de déterrer les secrets les mieux gardés. « Les herbes ? » demanda-t-elle sans préambule, ignorant son sourire crispé.
Adéyemi lui tendit le sachet, acheté à Aminata. Mama Zannou le huma, puis plissa les lèvres. « Une main étrangère, » grogna-t-elle. « Qui était-ce ? » Sa voix, basse et tranchante, fit frissonner Adéyemi, comme lorsqu’il était enfant et qu’elle lisait ses bêtises dans son âme. « Juste une vendeuse, » répondit-il, évasif. Mais l’image d’Aminata, avec son rire moqueur, dansait dans son esprit, et il se demanda pourquoi il mentait.
Mama Zannou s’assit, son pagne aux motifs géométriques bruissant comme un avertissement. Elle parla de l’huile de palme sacrée, le cœur de Koffi & Fils. « Ce n’est pas seulement de l’huile, Adéyemi. C’est un pacte, scellé par nos ancêtres. » Il roula des yeux, habitué à ses histoires mystiques. « Un pacte pour quoi ? L’argent ? » lança-t-il, sarcastique. Elle le fusilla du regard. « Pour la survie. Mais il y a un prix. »
Le mot « prix » le ramena dix ans en arrière, à la mort de Koffi. Son frère, charismatique et ambitieux, avait été retrouvé noyé près d’une palmeraie, un accident selon la police. Mais Adéyemi n’y avait jamais cru. Mama Zannou, comme toujours, avait été évasive, pleurant en public mais froide en privé. « Koffi a défié les esprits, » dit-elle ce soir-là, ses mains tremblant légèrement. « Et toi, tu vas continuer son erreur ? »
Adéyemi sentit la colère monter. « Je ne suis pas Koffi, » rétorqua-t-il, plus fort qu’il ne l’aurait voulu. Il se leva, prêt à partir, mais elle le retint d’un geste. « Prends garde, mon garçon. L’huile attire les vautours. » Ses mots, lourds comme une prophétie, le suivirent jusqu’à sa jeep. Il démarra en trombe, la poussière s’élevant derrière lui comme un voile de doutes.
Dans son bureau, plus tard, Adéyemi ouvrit un tiroir verrouillé. À l’intérieur, un carnet de Koffi, découvert récemment lors d’un déménagement. Les pages jaunies sentaient l’humidité, et l’écriture était nerveuse, presque fiévreuse. Une phrase le frappa : « L’huile cache un secret. Quelqu’un doit payer. » Il referma le carnet, le souffle court. Était-ce une coïncidence que Mama Zannou évoque le passé maintenant ?
Dehors, la nuit de Cotonou était ponctuée de rires et de klaxons lointains. Adéyemi alluma une cigarette, un vice qu’il réservait aux moments de trouble. La fumée forma des volutes, comme des esprits dansant sous la lune. Il pensa à Aminata, à son sourire qui semblait défier le monde. Était-elle un hasard, ou un pion dans un jeu qu’il ne comprenait pas ?
Un bruit le fit sursauter : un craquement, près de la clôture. Il écrasa sa cigarette et s’approcha, revolver en main – un réflexe appris après des années de menaces dans le milieu des affaires. Rien. Juste le vent, peut-être. Mais alors qu’il rentrait, il trouva une plume noire sur le seuil, identique à celle d’Aminata. Son pouls s’accéléra. Était-ce un signe ?
À quelques kilomètres, Mama Zannou, seule dans sa chambre, priait devant un autel vodoun. Des bougies vacillaient, projetant des ombres sur une statuette de Legba, le gardien des portes. Elle murmura une incantation, son visage marqué par la peur et la détermination. « Protège-le, » chuchota-t-elle. Mais à qui parlait-elle ? Aux esprits ? Ou à quelqu’un de bien plus terrestre ?
Adéyemi, incapable de dormir, relut le carnet. Une autre note attira son attention : « L’étrangère sait. » Qui était cette étrangère ? Une femme d’affaires rivale, comme Lucie Dangote ? Ou… Aminata ? Il repoussa l’idée, mais elle s’accrocha, tenace comme une rumeur de marché.
Le lendemain, il reçut un appel anonyme. Une voix rauque, déformée, murmura : « Laisse l’huile tranquille, ou tu finiras comme Koffi. » La ligne coupa. Adéyemi fixa son téléphone, le cœur battant. Était-ce une plaisanterie ? Ou la vérité qui frappait à sa porte ?
Et dans l’ombre, à Dantokpa, la silhouette encapuchonnée traça un nouveau nom dans son carnet : Mama Zannou. Une goutte d’encre rouge tomba, comme une larme de sang. Que préparait-elle ? Et pourquoi maintenant ?
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