Le Sourire de Kossi
Le maquis de Akpakpa, un bar bruyant aux murs décorés de posters de footballeurs, était le refuge d'Adéyemi après les tempêtes. Ce soir-là, il retrouva Kossi, son ami d'enfance, affalé sur une chaise en plastique, une bière Sodabi à la main. Kossi, 30 ans, était chauffeur de zemidjan le jour et philosophe de comptoir la nuit, avec un sourire qui désarmait même les colères d'Adéyemi. « Alors, patron, on court après les jolies vendeuses maintenant ? » lança-t-il, ses yeux pétillant de malice. La rumeur de l'incident au marché l'avait déjà atteint, rapide comme un zem dans Cotonou.
Adéyemi grogna, mais un rire lui échappa. « Toi, tu parles trop, » dit-il, commandant une bière. Kossi haussa les épaules, son pagne aux motifs de lions révélant une cicatrice sur son bras, souvenir d'une bagarre oubliée. « Moi, je parle. Toi, tu rêves. Cette fille, elle t'a retourné la tête, hein ? » Adéyemi esquiva, mais l'image d'Aminata, avec son sarcasme tranchant, s'imposa. Était-ce si évident ?
Leur conversation glissa vers Koffi & Fils, en pleine expansion mais menacée par Lucie Dangote, une femme d'affaires nigériane aussi redoutable qu'un caïman. « Cette Lucie, elle vendrait sa grand-mère pour un contrat, » lâcha Kossi, son ton mi-sérieux, mi-moqueur. Adéyemi acquiesça, mais son esprit était ailleurs, accroché au carnet de Koffi et à la menace anonyme. Il raconta tout à Kossi, sauf la plume noire - un détail qu'il gardait pour lui, comme un talisman maudit.
Kossi sirota sa bière, pensif. « Une voix déformée ? Ça sent le mauvais film, patron. Mais si c'est lié à l'huile, méfie-toi. Cotonou, c'est pas que des sourires. » Il pointa un groupe de jeunes jouant aux cartes, riant bruyamment. « Regarde-les. Ils vivent, ils dansent. Mais sous la table, y'a toujours un couteau. » Adéyemi hocha la tête, troublé par la sagesse cachée dans les blagues de son ami.
La nuit s'épaississait, et le maquis se remplissait de clients, leurs voix couvrant la musique de Toofan. Adéyemi sentit une main sur son épaule : un cousin éloigné, Émile, un homme nerveux qui travaillait à l'entrepôt. « Faut qu'on parle, » murmura-t-il, jetant des regards autour. Adéyemi le suivit dehors, où Émile bafouilla : « Y'a des trucs bizarres à l'usine. Des bidons qui disparaissent. » Avant qu'il ne puisse en dire plus, une moto passa à toute vitesse, ses phares éblouissants.
Émile pâlit et s'enfuit, laissant Adéyemi seul dans la ruelle. Kossi, qui avait suivi, plaisanta : « Ton cousin court comme s'il avait vu Legba en colère ! » Mais son sourire s'effaça lorsqu'il remarqua une plume noire sur le sol, là où Émile se tenait. « Ça, c'est pas bon, » murmura-t-il, soudain sérieux.
Adéyemi ramassa la plume, son estomac se nouant. Était-ce la même que chez lui ? Ou une coïncidence ? Il pensa à Aminata, à ses amulettes, à ses secrets. Était-elle liée à tout ça, ou juste une victime comme lui ? Kossi, sentant son trouble, tapa son épaule. « Allez, patron. Une autre bière, et on oublie les plumes et les fantômes. »
Mais l'idée ne quittait pas Adéyemi. Il revoyait le regard d'Aminata, mi-défi, mi-promesse. Et si elle savait quelque chose ? Et si elle était plus qu'une rencontre fortuite ? Il paya l'addition, déterminé à retourner au marché. Kossi, le suivant, lança : « L'amour, c'est comme un zem : si tu vas trop vite, tu finis dans le fossé ! »
En quittant le maquis, Adéyemi ne vit pas la silhouette encapuchonnée, cachée derrière un mur. Elle nota quelque chose dans son carnet, un sourire cruel aux lèvres. Était-elle seule ? Ou avait-elle des alliés dans l'ombre ?
Le lendemain, un cri réveilla Fidjrossè : un ouvrier de Koffi & Fils, retrouvé inconscient près de l'usine, une plume noire dans la main. Adéyemi, alerté par téléphone, sentit un froid glacial l'envahir. Était-ce un avertissement ? Ou le début d'un cauchemar ?
Et à Dantokpa, Aminata, ignorant tout, rangeait son étal, un pressentiment pesant sur son cœur. Elle toucha son amulette, murmurant : « Mami Wata, protège-moi. » Mais de quoi ? Et de qui ?
Dans la maison de Mama Zannou, une bougie s'éteignit sans raison, et un rire bas résonna. Était-ce un esprit ? Ou une menace bien humaine ?
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