La Voix de Mami Wata
Aminata referma son étal sous un ciel crépusculaire, le marché Dantokpa s’endormant doucement. Les vendeuses pliaient leurs pagnes, les zemidjans klaxonnaient une dernière fois, et l’air portait l’odeur sucrée des bananes frites. Elle ajusta son foulard, ses doigts frôlant l’amulette de Mami Wata, un coquillage gravé qu’elle portait depuis l’enfance. Ce soir, une angoisse sourde l’oppressait, comme si les esprits chuchotaient des vérités qu’elle n’était pas prête à entendre.
Elle marcha vers sa maison, une bicoque modeste à la lisière de Cotonou, où les palmiers dansaient sous le vent. En chemin, elle croisa une vieille femme vendant des colliers. « Pour la chance, ma fille, » dit-elle, son sourire édenté cachant une lueur étrange. Aminata acheta un collier par politesse, mais en le touchant, elle sentit un frisson. Était-ce un simple bijou, ou un talisman chargé d’intentions ?
Chez elle, elle alluma des bougies autour de son autel vodoun, un coin sacré où des perles et des statuettes veillaient. Elle s’agenouilla, offrant du gin à Mami Wata. « Montre-moi, mère des eaux, » murmura-t-elle. Une vision la traversa comme un éclair : un homme noyé dans une rivière rouge, une femme hurlant sous un palmier, et Adéyemi, debout au bord d’un précipice, un serpent à ses pieds. Elle rouvrit les yeux, tremblante, le souffle court.
La vision n’était pas nouvelle, mais elle était plus claire, plus pressante. Aminata saisit un carnet, où elle notait ses rêves depuis des années. Les images revenaient souvent : l’eau, le sang, le serpent. Mais Adéyemi, cet homme arrogant du marché, était une pièce inattendue. Était-il un danger ? Ou une clé ? Elle toucha la plume noire, trouvée la veille, et murmura : « Pas encore. Pas lui. »
Un bruit dehors la fit sursauter : un craquement, comme des pas sur le gravier. Elle saisit un couteau, son pouls battant à ses tempes. « Qui est là ? » cria-t-elle, mais seul le vent répondit. À la fenêtre, elle vit une ombre fuir, rapide comme un djinn. Était-ce la silhouette du marché ? Ou son imagination, nourrie par la fatigue ?
Le lendemain, elle retourna à Dantokpa, déterminée à ignorer ses peurs. Les vendeuses l’accueillirent avec des plaisanteries : « Alors, la guérisseuse, ton riche est revenu ? » Aminata sourit, mais son cœur n’y était pas. Elle vendit des herbes, négocia avec des clients, mais son esprit restait accroché à la vision. Était-ce un avertissement pour elle, ou pour Adéyemi ?
Un client, un vieil homme aux lunettes épaisses, lui parla d’une rumeur : une huile de palme rare, convoitée à Porto-Novo, causait des troubles. « On dit qu’elle porte une malédiction, » murmura-t-il, jetant un regard nerveux autour. Aminata sentit un frisson. Était-ce l’huile d’Adéyemi ? Elle le remercia, mais ses mains tremblaient en rangeant ses fioles.
En fin de journée, elle trouva un autre signe : une plume noire, glissée sous un panier. Cette fois, un mot l’accompagnait : « Laisse-le. » Son sang se glaça. Était-ce une menace ? Ou un conseil des esprits ? Elle brûla le mot, mais les cendres semblaient danser, formant un serpent dans son esprit.
Ce soir-là, elle pria à nouveau, plus longtemps. Mami Wata resta silencieuse, mais une image persista : Adéyemi, tenant une fiole rouge, les yeux pleins de douleur. Était-il une victime, ou un bourreau ? Aminata ferma les yeux, résolue à le revoir. Pas par amour, se dit-elle. Par nécessité.
À Fidjrossè, Adéyemi, ignorant tout, relisait le carnet de Koffi, son cœur battant au rythme d’un tam-tam. Une phrase le hantait : « L’eau voit tout. » Était-ce une métaphore ? Ou un indice lié à Aminata, cette femme qui semblait surgir de nulle part ?
Et dans l’ombre, la silhouette encapuchonnée riait doucement, traçant un cercle autour du nom d’Aminata. Une goutte de cire tomba sur le carnet, scellant un pacte invisible. Que voulait-elle ? Et qui servait-elle ?
Au loin, un cri déchira la nuit, près de la rivière. Était-ce un animal ? Ou une âme perdue ?
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