IV

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Leur père (un Italien et grand-père jamais connu de moi ) était porté disparu dans des circonstances plutôt obscures. Voilà maintenant plus d’une trentaine d’années que son corps n’a jamais été retrouvé. Sa femme cependant (comparée au fils, beaucoup plus intelligente, étonnamment vive, maligne à n’en pas douter), ma grand-mère que j’avais un tout peu connue, sans aller toutefois jusqu’à l’intimité attestée par des « mamie » d’un côté et de l’autre des « chéri » prononcés avec tendresse, caresses et autre joli mot en « esse » qui vont avec, affirmait, quant à elle, que son défunt mari avait été enlevé par des gros hommes cagoulés au bord d’une soucoupe volante couleur pourpre en forme de tube géant. Et à la vieille veuve et à son imaginaire débordant de préciser, le troisième verre à la main, à travers un sourire irrésistible, au fond vindicatif : « Enlevé oui ! par une espèce de bouteille de vin ailée manœuvrée bizarrement par des types plus larges que hauts… ». À chaque fois qu’elle terminait de raconter cette curieuse histoire ma grand-mère – d’un prénom d’origine polonaise imprononçable – riait parait-il aux éclats. D’un tacite commun accord, personne n’en parlait jamais. Car personne n’arrivait à prononcer le nom de « papa » sans que chacun à sa manière ne ressentît la gêne d’un douloureux souvenir, une image violente, convoqué par ce mot en deux syllabes tout simple, d’apparence innocente – papa.

Le crime, ou ce qui du moins en donnait sérieusement l’apparence, était couvert sous un silence plus résigné que voulu. Je pense qu'au fond, ça arrangeait tout le monde qu’il n’y eût question plus avant sur la disparition de cet homme et pour ma grand-mère, la première. Je pense aussi que mon père et mon oncle savaient en eux-mêmes ce que signifiait en réalité cette histoire. On n'en parlait plus.

Le lendemain hivernal d’un dimanche, Resservi par trop gentiment ce soir-là, il y a trois décennies, resservi oui, bien trop gaiement par sa femme (à l’œil au beurre noir par ce qui était arrivé la veille), le mari but un verre, le dernier. Qu’avait-elle mis dedans ? On ne le saura jamais... somnifères ? Barbituriques ? Acides ? Les trois avec autre chose encore peut-être ? Sans doute emportât-elle ce mystère dans la tombe.

Certaines familles avaient pour secret des histoires insolites – comme celle dont l’arrière-grand-père avait déserté la grande Guerre ou celle dont le cousin de famille catholique était homosexuel ou encore celle dont le fils de bonne famille consommait de la drogue, cocaïne, héroïne, ecstasy... Etc. Mais rien de comparable, en matière de gravité, avec ma famille, qui elle taisait un crime, ou ce qui du moins en donnait sérieusement l’apparence. La mienne faisait nuit sur un meurtre parmi les leurs !

Mon père, pour seul héritage, eut du sien un goût prononcé pour la boisson (du reste, les origines polonaises n’étaient peut-être pas sans rapport), ce fut la raison pour laquelle ma mère – depuis lors, femme au visage anonyme, sans nom, sans odeur, pour son fils, moi, Adrien Carpe – nous abandonna pour un autre, qui avait le mérite, lui, apparemment de ne jamais boire.

Or, pour ce qui est de la violence, mon père n’hérita pas le moins du monde de ce gène. Jamais en effet il ne faisait parler ses poings ; tout au plus menaçait-il le sourcil baissé, sans jamais s’avancer. Ce n’était pas un violent mon père. Au contraire, plutôt laxiste sur les bords, au moins en matière d’éducation.

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