II

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Le soleil se lève et ses rais printaniers s’infiltrent à travers les rideaux troués de ma chambre. La superstition (seule religion à laquelle croyaient avec dévotion toutes les branches de mon arbre généalogique), me fit considérer ce signe, le soleil et ses rais lumineux, comme un nouveau départ. Je mis un terme alors à mon épopée livresque comme mon père eut fermé plus tôt sa boîte à outil.

Robert en effet ne bricolait plus ; il restait dans le noir, enfermé. Ses larmes cascadaient sur une barbe qui n’en finissait plus de pousser. Le manque avait été pire a posteriori que les gueules de bois.

Comme son ventre, son désespoir grossissait à vue d’œil lorsque la nourriture fut pour lui le dernier rempart contre la grande dépression (où on reste debout dans une nuit sans étoiles, sans rêves, où le sommeil est frappé d'exil).

La disparition jadis de sa mère – sous les bruits des coups –, la disparition après de sa femme – par les injures, « sale alcoolique, pauvre type ! » – et celle, toujours chaude, de son petit frère – dans ses bras. Cette disparition-là fut un coup de massue, le pire, et qui apparaissait d’autant plus fatale qu’inattendue. C’eut été comme si Guillaume Tell eût touché d’une flèche, non la pomme, mais la tête de son fils, comme si l’épée eût embrassé de son tranchant, non le crin de cheval, mais la gorge de Damoclès ! Improbable. Pour mon père la mort de son frère lui paraissait tout aussi inattendue, tout aussi improbable. Aussi accusait-il en permanence la Réalité de mensonge ! Et il la pointait du doigt encore et encore sans répugner de manger en même temps des cochonneries à bas prix. Or s’il ne se ressaisissait pas vite, très vite, alors, des syllabes comme « men-di-ci-té », « grand-froid », « de-hors » ne seraient bientôt plus des réalités singulières comme celles des mots « Neptune », « préhistoire », ou encore pour mon père, « sommeil » – des abstractions –, mais deviendraient pour nous des réalités au contraire bien sensibles, dures comme le trottoir ; des réalités réellement vécues et qui ne mentiraient pas ! Pourtant, il ne réagissait pas.

Ah que je répugnais son laisser-aller, son gros ventre sortant de son même pantalon gris ! Mais sa tristesse était telle que je ne pouvais, en toute bonne conscience, garder mon dégoût que sa personne m’inspirait d’ordinaire.

La situation était à ce point extraordinaire que ma compassion mit un point final à une haine – millénaire à l’échelle d’un chien –, décennale – à l’échelle d’un fils. Ainsi la situation m’imposait-elle de prendre les choses en main.

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