III

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Papa. Ce dimanche, la compassion, malgré un cœur en contradiction avec mon esprit, me fit quand même dire « papa », en le regardant emmêlé dans les draps du canapé et avec une émotion en moi à laquelle je n’étais pas habitué. « Papa, je veux que tu viennes avec moi. Une balade à vélo nous fera le plus grand bien. » Le vélo, il l’aimait ça. En danseuse sur la scelle, de la sorte, il goûtait une liberté si absolue que les philosophes et penseurs des temps anciens comme des temps nouveaux n'en peuvent approuver l’absoluité, avec l’immobilité d'un regard tendu vers le ciel, que par un silence respectueux (légèrement rompu par le son fugitif que fait un sourire qui se forme ) pendant que leur plume demeure, elle, tout ce temps dans le noir de l’encrier. Nulle controverse. Rien. Le vélo ! Sa liberté, divine, ne se pense pas. Elle se vit. Mon père, après une hésitation assez longue, accepta, se ravisa, accepta, se ravisa, et accepta enfin quand j’eus comparé, pour le décider, le plaisir d’affronter le vent au plaisir suivi de contempler depuis les hauteurs le soleil se coucher.

Une fois arrivé, non sans efforts (vraiment éprouvants) mais somme toute salutaires, sur le haut d’une crête voisine de notre village, le cheval métallique de mon père se cabra à éclipser le soleil couchant qu’il contemplait déjà la main au-dessus de ses beaux yeux noirs comme s’il était superflu pour lui de reprendre son souffle, alors que le mien de vélo hennissait péniblement à la montée. En dépit de sa mauvaise santé, je me suis entendu dire, tout fort, qu'il avait encore du « jus » mon père et j’en étais sincèrement impressionné ! Loin de cet homme qui soupirant la veille balançait sa tête en avant et en arrière par peur de s’enfoncer dans les sables mouvants d’un mal-de-vivre ; loin de cet homme qui luttant la nuit parodiait à son corps défendant le rouleau mortel du crocodile tentant désespérément de noyer l’insomnie dans la sueur des soubresauts ; loin de cet homme... Mon père renaissait à la lumière rougeoyante d’un soleil nouveau !

Puis on descendit rapides comme des flèches, entourés d’un silence partagé – père fils –, puis on serpenta gaiement entre les collines qui dessinaient l’horizon au loin, puis on cahota côte à côte sur de petites routes de campagne où la brise du soir passait également… Mon père souriait avec cet air serein, calme, si rare dans mon souvenir ; si bien qu’à cet instant– ce grand homme, gigantesque homme ! – m'imposait le respect, forçait mon admiration de fils comme jamais je n'en ressentis d'aussi fort pour quiconque depuis, même pour un auteur.

Cette nuit-là, il dormit paisiblement, le souffle reposé.

Le soleil éclairant progressivement la surface de son visage, il se réveilla au matin, agréablement surpris par l’aurore et le parfum de sa rosée. Frais, la posture droite et avec l'omniprésence d'un sourire, il accourut dans ma chambre et m’arracha de mon sommeil par un : « Fils ! Fils ! Partons à l’aventure ! Partons à vélo, voir où le vent nous mène ! ». À peine mes lèvres eurent-elles le temps de former quelque chose que mon père se trouvait déjà, le baluchon sur le dos, sur la scelle de son vélo. Un road-trip à vélo père fils ? En réponse et pendant qu’il attendait dehors tout excité, je m’empressai à mon tour de préparer mes affaires et d’enfiler ma paire de chaussures.

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