III

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L’hiver approcha, le soleil de plus en plus rare, en revanche Harry et Claudine, eux, de plus en plus présents. Mon père s’oubliait avec celui-là et celle-là (rencontrés la veille d'un jour, que j'ai maintenant oublié, dans un bistrot ). Je ne saurais qualifier leur relation. Des confidents ? Non pas vraiment. Des amis ? Pas tout à fait. Des amants ? On ne peut pas non plus dire ça.

De Claudine habillé à l'identique, Harry était petit et gros et croyait s dur comme fer aux théories du complot : « Ça c’est autre chose que la foutue science qu’on nous raconte aujourd’hui ! » se plaisait-il à dire, sans que personne ne l’interrogeât sur le sujet. À la maison, mais autre part ailleurs, il affirmait, bière à la main, qu’« on nous ment, que tout est faux et que le système se joue de nous. ». En l’absence de démonstration, le sourcil levé et l’œil hagard (à la recherche d’une quelconque preuve), toujours ma perplexité me poussait à lui poser cette question : « Mais Harry, si tout est faux, qu’y a-t-il de vrai ? ». Et à lui de mon répondre chaque fois : « Rien ! Le vrai n'est qu'une modalité du faux. Tout est mensonge, et pourquoi me demanderas-tu ? Tiens ! Je vais te le dire pourquoi moi ! Je me renseigne, je cherche... Et là, paf ! J’ai trouvé des sources secrètes comme par hasard qui parlent ! Mais le gouvernement, justement, les censure pour cette raison ». Perplexe, je ne répondais que par un long silence. En dépit d’une pensée qui ne volait pas bien haut (le sentiment de vertige m’étant de fait épargné), son verbe, lui, avait un certain goût pour la hauteur et c'était la principale raison pour laquelle que mon père appréciait Harry : « Pour son côté excentrique et haut en couleur ». Moi, je l’appréciais mais à mes heures seulement.

Quant à Claudine, de Harry habillée à l'identique, elle était petite et grosse et tout comme lui, elle était très gentille, au grand cœur. Mais, tout comme lui aussi, le sourire, disons, s’ouvrait davantage que l’esprit. Mais gentille répétons-le. Et Claudine, son truc à elle, sa « manne » gisant dans la sécheresse d’un soleil saharien, c’était l’astrologie ( la « science désastre », je le dis avec mauvais jeu de mots ). Elle croyait aux signes astrologiques comme le pèlerin assoiffé aux oasis. Prenant ainsi les étoiles pour des phares et les astres pour des boussoles, Claudine errait (évidemment à son insu) dans la nuit de l’ignorance. Seule dans ce désert de superstition, aucune fertilité ne se remarquait à la surface de son esprit quand elle parlait, contrairement à Harry. Car lui, malgré tout, pouvait en effet faire preuve d’une certaine vivacité d’esprit, bien que de façon rudement limitée précisons-le.

Claudine pensait deviner le signe astrologique de n'importe qui, juste en observant sa physionomie. Naturellement, elle se trompait toujours. Elle toutefois n’y voyait, non une erreur, mais seulement une simple imprécision : « Bélier tu dis ? Et non Sagittaire ? Eh bien c’est que tu es Sagittaire d’ascendant bélier ! ». Pauvre Claudine… Elle me faisait de la peine, d’autant qu’elle était vraiment gentille.

« Des petites gens, oui, c’est vrai ! Mais des petites gens au grand cœur » me confiait mon père devant mon air incrédule et la porte d'entrée chaque fois que Harry et Claudine s’éloignant nous saluaient au loin (avec un sourire au visage comme il n’en existe nulle part ailleurs ). Ce fut d’ailleurs grâce à eux, « ces petites gens », que mon père trouva la force de ne plus m’ignorer. Pourquoi ? Nul ne le sait. Pour surprenant qu'était cet état de choses, ils l'entouraient sans nul doute d'une bonne aura, excellente même, à s'en fier du moins à son visage et à ce qui s'en dégageait.

Oui, mon père trouvait en eux un mélange de simplicité, d’exubérance et de bonté qu’il lui faisait beaucoup de bien. Et même s’ils parlaient de petites choses ces gens-là – comme : « de la météo et de sa pluie qui nous emmerde », « du divorce d’untel ou d’untel », « d’une machine à laver achetée mais qui déconne », « des boulons trouvés par terre, d’un feuilleton qui nous fait marrer », et bien évidemment « du foot et de...» – ils en parlaient c'est vrai, avec un tel enthousiasme, avec une telle solennité ! que ces petites choses en devenaient grandes. Et à mon père, ça lui plaisait beaucoup.

Désormais ses ailes, pour revenir à ses traits plus animaux (après avoir évoqué sa sensibilité humaine, trop humaine) plus caractéristiques de sa personne, descendaient battre à une altitude où il n’était plus à craindre que mon père eût à connaître le même sort qu'Icare. Il se trouvait de moins en moins euphorique avec le temps oui, plus calme avec ses amis, plus terre à terre, en un mot, plus apaisé avec lui-même et les autres, même avec moi. En revanche, mais secrètement, mon père maintenait son regard quelque part vers le ciel et ses astres (son âme demeura aventureuse, jusqu’à la fin).

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