Évaporée
Voilà.
Ce matin, Éva est partie, claquant officiellement la porte sur cinq ans de relation.
Le nous s’est étiolé, usés par un quotidien et notre couple, dont je n’ai pas su prendre soin, s’est perdu au profit de cette certitude de l’acquis, si mauvaise conseillère.
Tout arrive trop vite. Le temps passe, chacun commence à profiter de son côté.
Sans crier gare, elle ne sortait au restaurant qu’avec ses amies, et mes projets de soirées se conjuguaient sans elle. Au fil du temps, nous étions ces colocataires dont les sujets de conversations ne tournaient qu’autour de la tenue de l’appartement, ou d’autres sujets lisses et sans investissement.
Nous ne faisions plus l’amour que quand cela devenait urgent, satisfaisant plus un besoin de régularité qu’un véritable désir. Attendu. sans surprise. Un peu de ci, un peu de ça, bim bam boum, et chacun retournait à son occupation. Une chorégraphie connue par cœur, bien huilée, aussi efficace que désespérante.
Chaque jour, je me promettais d’agir et de réparer. Mais je remettais au lendemain.
Les lendemains se sont enchaînés et je n’ai pas bougé jusqu’à ce qu’elle m’annonce son départ.
Elle a préparé ses affaires pendant deux jours, et moi, sidéré et incrédule je l’ai regardé faire, persuadé qu’elle changerait d’avis, mais hier, un camion est venu récupérer ses meubles.
Elle l’a fait.
Ce matin, après avoir déposé son trousseau sur la table, elle s’en est allée. Sans un regard. Sans un mot.
J’aurais pu la retenir. Mais dans un mélange de vanité et de honte, je n’ai pas osé.
Moi qui ces derniers temps pensais être blasé et ne plus avoir envie de rien, voici que je découvre avec stupeur ce que cela fait réellement quand tout désir s’efface.
Un trou noir vient d’absorber ma vie.
À la seconde où je me suis retrouvé seul dans cet appartement, j’ai réalisé tout ce que j’avais eu la chance de posséder sans jamais en avoir la moindre conscience.
De son chat, aussi con que mignon, qui va finalement me manquer bien plus que je ne l’avouerai jamais, à cette immense plante qui ressemble à un palmier, dont le nom me fait défaut, tout se rappelle à mon esprit, prenant une valeur soudaine, sitôt arrachée à moi.
Quel vide tout à coup.
Eva a emporté ses affaires, et tout ce qui ressemblait à de la vie, avec elle.
Plus une photo. Plus un plaid. Plus une bougie. Plus de mugs fantaisies.
Je erre, la poitrine serrée par cette vérité qui me saute aux yeux : c'était donc elle qui donnait de la couleur à mon existence, et à présent, tout chez moi se mue en un ton gris et moche.
Sans elle, la salle de bain reprend peu à peu une odeur de calcaire et d’humidité. Mon café ne m’attendra plus le matin au réveil. Plus personne ne murmura d’encouragements à mes oreilles.
Un simple regard au plafond m’amène à constater qu’elle est allée jusqu’à récupérer le lustre du salon.
Ne reste plus que l’ampoule pendue au bout de son fil tordu, comme si par désespoir de solitude, elle avait commis l'irréparable.
Une partie de moi y voit un message. Je pourrais bien faire comme elle ?
Une seconde, une simple seconde si rude que ma première réaction est de courir me servir un verre de whiskey, pour oublier, comme on dit. Dans mon cas, c'est surtout pour détourner mon esprit et dévier mes pensées. L’idée d’attenter à mes jours, même si cela ne fut qu’une idée parasite, me fait l’effet d'un électrochoc.
**
Je n’avais jamais remarqué tous les bruits dans l’appartement. Chaque latte du parquet du salon grince sous mes pas et la porte du meuble à alcool fait résonner un son rouillé.
Eva. Chaque battement de mon cœur meurtri dit son nom.
Assis sur le sofa, j'écoute mon foyer crier son absence, si fort qu’une onde choque me percute et que je réagis enfin. Ma poitrine se serre, de plus en plus.
Pleure pas, mec, pleure pas, me seriné-je intérieurement.
Boy, don’t cry.
Me revient cette mélodie, qui illustre ma situation avec autant de perfection que d'ironie. En une fouille de mon tiroir à CD, je le retrouve et lance la musique pour accompagner mon désespoir. Le rythme de la guitare couvre les sursauts de ma poitrine, mais hélas rien ne cachera ces larmes qui dévalent mes joues sans discontinuer.
Putain, Eva est partie.
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