Chapitre 4- Que ferons-nous du gris du ciel?

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Un tintement clair signala sa présence quand il ouvrit la porte de la boutique. Il observa un instant la clochette de bronze qui résonnait encore au-dessus de lui…
Mr Stuart, sûrement l’un des derniers à utiliser ce genre d’avertisseur, était un vieil homme plutôt acariâtre, mais Peter devait lui reconnaître un goût raffiné en matière d’intérieur… Les diverses plantes, classées par espèces, étaient disposées tout alentours en de petits caissons de bois le long des pièces en couloirs, et dégageaient cette humeur chaude et humide caractéristique, presque étouffante. Les lampes blanches caressant les feuillages, par jeux d’ombres et de couleurs, donnaient aux lieux un sentiment étrange mêlé d’intimité et de mystère… Et les vieilles étagères remplies de livres de botanique, ainsi que les divers arrosoirs, bêchettes, et autres outils de jardinage répandus ci et là selon leur dernier usage, achevaient de donner à la jardinerie de parfaits airs oniriques… Comme si Pete s’était tout à coup retrouvé au sein d’une de ces fictions atemporelles de cinéma, tout donnait l’impression d’un atelier de vieux savant de quelque époque révolue, où tout attirait l’œil tant qu’interdisait la main de s’avancer…

Évidemment, quand Mr Stuart émergea du bout de l’allée, le dos rond, comme s’il s’apprêtait à lui flanquer des coups de bâton, et malgré ses petits verres déclassés sur le nez, l’impression s’estompa rapidement.

« Bon, Mister Blake. » le salua le vieil homme, comme le mettant sitôt sur le départ.
« … Que me vaut votre venue?
– Bonjour, Mr Stuart. Toujours un plaisir… », lui signifia Peter.
« Je n’ai pas d’idée précise. Cela vous dérange, si je jette un œil?… »
Le vieux le considéra d’un air qu’il n’eût aucune envie d’interpréter.
« … Oui, oui. Faites, faites… » répondit-il agitant la main, de dos, tandis qu’il repartait déjà en direction du trou duquel il était sorti.
Au temps pour la courtoisie.
Une plante, oui. C’était une bonne idée. Mais il fallait quelque chose de spécial. Peter se mit à fureter, lisant les étiquettes, considérant chaque végétal dont l’aspect éveillait sa curiosité, cherchant l’inspiration… Des plantes carnivores?… Non. Un pot de papyrus… Peut-être. Des fleurs, pas la peine d’y penser… Peter commençait à éprouver une sensation qu’il reconnut aussitôt qu’il s’en rendit compte. De la fatigue nerveuse… Sa recherche tournait à l’obsession… Non. Il ne fallait pas impérieusement trouver une idée géniale. Il s’était fourvoyé. Harry avait besoin de réconfort et de beaume au cœur, non d’un déclic lumineux.
Pete ne parviendrait à rien à chercher de cette façon… Du réconfort, mais sur du long terme. Aucun rapport avec ce jour-ci… Voire même, tout compte refait, surtout pas. Alors une idée lui vint… Et, pour le coup, elle n’était pas si simplette!…
Retrouvant de sa clarté d’esprit, Pete s’apprêtait à quitter le magasin quand il entendit des voix provenant du bureau du fond, où Mr Stuart encaissait ses clients. Il crut reconnaître la voix de Sarah Pomelle, la jeune voisine qui habitait en face de chez lui. L’échange semblait plutôt houleux. Pas de doute, il s’agissait bien de la jeune femme. Et au timbre de sa voix, elle semblait à fleur de peau…

Gagné par une curiosité muée d’inquiétude, il se rapprocha un peu, et faisant mine de s’attarder sur les papyrus, tendit l’oreille.
« … Je refuse catégoriquement.
– Vous me faites du chantage?
– Absolument pas, Monsieur. Je suis désolée pour vous, mais ce n’est pas ce que nous avions convenu.
– Vous êtes désolée! C’est incroyable!…
– Je suis prête à vous payer dix livres de plus, après c’est hors de mon budget.
– Miss Pomelle. Quand on commande une plante exotique, les frais d’envoi sont toujours variables. Même avec vos dix livres, je perds de l’argent!
-… Je viens de vous le dire. Au-delà, je ne rentre pas moi-même dans mes comptes.
– Vous voulez que nous fassions une reconnaissance de dette?
– Non. C’est trop cher de toute façon. A ce prix, je ne la prends pas.
– Alors c’est du chantage!
-… Mais non!…
-… Vous n’êtes qu’une petite folle hystérique sans éducation! C’est n’importe quoi!
– Mais…
– Allez, sortez d’ici! »

Pete manqua de s’écrouler au sol en s’éloignant de son poste d’écoute… Il fit mine d’arborer une expression décontractée devant le rayon des fougères… Juste à temps, avant que la porte du bureau ne s’ouvre et que Sarah Pomelle n’en sorte, le pas précipité, et le visage en larmes.
« Miss Pomelle?… » l’aborda-t-il quand elle passa en courant devant lui, tandis que Mr Stuart criait derrière elle.
« Vous ne vous en sortirez pas comme ça, je vous le garantis! » Il marqua une pause. « Vous êtes toujours là, vous?! » Pete lui jeta un regard atterré.
« Plus pour longtemps. » Sans rien ajouter, il s’en fut aussi sec.

Elle était dehors, accroupie contre le mur qui ruisselait, et trempait son manteau…
« Miss? Vous allez bien?… », demanda le journaliste d’un air soucieux.
« Sarah…
– Pardon?
– Je m’appelle Sarah, Peter.
– Est-ce que… Je peux faire quelque chose, Sarah?… Vous voulez parler? »
Elle s’essuya les joues. Et se levant, se résolut à lui faire face.
« Ça ira, Peter… Merci. Je dois aller en cours, maintenant. »
Pete, un peu gêné, ajouta:
« Voudriez-vous prendre un verre, ce midi? »
Elle renifla, et rit, à moitié reconnaissante, à moitié sarcastique:
« Le temps est minable, aujourd’hui.
– Eh bien, disons qu’un ciel gris offre davantage de sourires à relever…
– D’accord…
– D’accord?
– Oui, mais voyons-nous ce soir. Vous avez de quoi noter?
– Euh… J’ai la carte de la jardinerie. Elle ne me servira pas, de toute façon! » Elle rit. Et sortit un stylo de son sac.
« Tenez, appelez-moi à partir de huit heure, si ça vous dit…
– Parfait! Bien sûr. A ce soir, alors!
– A ce soir! » dit-elle d’un petit sourire. Il la regarda s’éloigner un instant.

Bon. Il était temps d’aller s’occuper du cadeau…

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