Chapitre 5- Seuls au monde.

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Vers midi, le soleil avait percé les nuages, et Harry et Kate en avaient profité pour déjeuner en ville. Ils ne s’étaient pas quittés de la journée. Tels deux amoureux transis, ils avaient échangé davantage de regards que de mots; la présence de l’un suffisant à l’autre, il semblait que même le silence leur fût raison de se réjouir…
Après s’être promenés le long de la Sun river durant l’après-midi, Kate lui avait proposé qu’ils dînent chez elle. Et Harry avait accepté.

Catherine vivait dans le vieux centre, elle aussi; plus au Sud, à cinq minutes de l’appartement d’Harry, non loin de la cathédrale.
L’appartement, au troisième étage, était petit mais bien agencé. Dans le salon, un canapé faisait face à la télévision; et à droite, dans la même pièce, sinon qu’un carrelage blanc en délimitait la zone, se trouvait la cuisine avec le plan de travail…

« Hmm, c’est bon! Comment appelles-tu ça?…
– Des « tourtons »!
– J’adore. Comment dis-tu… Des tourtans, c’est ça? »
Ils s’étaient installés à même la table basse qui se trouvait devant le canapé. Kate dut se pencher en avant sur son assiette en réprimant un rire.
Finissant de mâcher, elle répondit:
« Des « tour-tons »!
– Ah, les français…! » répliqua Harry, en guise de contre-moquerie.
Kate prit un air fier de circonstance.
« C’est une spécialité française alors?
-… Même en France, c’est une spécialité… C’est une recette des Alpes.
-… Vraiment très bon. Et c’est parfait avec l’agneau.
– Oui, il s’agit du plat que ma grand-mère nous faisait lorsqu’on allait la voir… C’est aussi ce que je cuisine pour mon père, à l’occasion, d’ailleurs… »
Elle but une gorgée de vin.
« Parle-moi de ta famille… Pourquoi es-tu venu vivre ici, au juste? »
Son regard s’assombrit un instant, songeur. Mais elle répondit:
" J’ai déménagé ici après la mort de ma mère, quand j’avais cinq ans… Mon père est diplomate, et on lui avait offert un poste important…
– Je suis désolé. Tu ne voulais peut-être pas en parler…
– Non, non, ça va. Pour tout dire, je n’avais pas bien pris conscience de sa mort… De ma mère. C’est plus tard, que j’ai réalisé… A cette époque, je me souviens surtout d’avoir été attristée par le changement et parce que ça signifiait que je n’allais plus voir mes amis…
– D’accord… »
Buvant, Harry attendit la suite.
« … Nous avons d’abord vécu en campagne, à Pernham… Ce n’est pas très loin d’ici, tu connais peut-être… »
Harry tourna vers elle des yeux ronds: « Vraiment?
– Quoi?…
– J’ai vécu à Pernham, moi aussi.
– C’est vrai? » Elle se tourna vers la table, attrapant son verre. « Waou… » fit-elle, méditative.
« Alors, c’est peut-être pour ça. On s’est peut-être connus là-bas…
– Mais je suis plus âgé que toi. J’avais… neuf ans quand je suis parti.
– Moi pareil. Au même âge. Donc ça correspond!…
– Peut-être…
– Sûrement, Harry! Pernham, c’est une bourgade avec une seule école, on s’est forcément déjà vus! » Peut-être…
« … C’est fou, c’est drôle !… » continua-t-elle, en riant. Il vint la couper pour déposer un baiser sur ses lèvres. Elle lui répondit. Ils s’embrassèrent un moment…
Puis Harry ajouta, ses yeux dans les siens:
« ...Ce qui est fou, c’est à quel point je t’adore… »
Les yeux brillants de Kate, et le ravissement de son sourire provoquèrent en lui un déferlement d’allégresse.
« Moi aussi. » répondit-elle… Ils laissèrent passer un silence, comme un nuage flottant doucement. Puis la jeune femme s’exclama: « Hé! Ça va refroidir! »
Ils se remirent à table. « Heureusement que tu y penses!… » fit-il d’un sous-entendu d’amoureux béat qu’il incarnait bel et bien.
« … Pour finir, nous sommes donc partis à mes neuf ans pour habiter Palimburgh…
– Et ton père vit toujours ici?
– Oui… Enfin, quand il n’est pas en voyage. En fait, il est presque toujours en voyage…
– D’accord…
– Assez parlé de moi. Tu travailles?
-… Disons que je cherche. » Il fit la moue. Kate comprit.
« … Tu ne cherches pas vraiment en fait. C’est ça?
– Oui… J’ai une formation de peintre, mais je touche un peu à tout ce qui concerne le bâtiment, à la base… Je touche mon allocation « chômage », en ce moment… Je n’ai pas du tout hâte de m’y remettre…
– Tu es du genre dépressif?… » Harry fit mine de rire sous cape, quelque peu amer…
« C’est ce que te dirons mes amis… Moi, je ne vois simplement rien d’intéressant dans la vie que je mène…
– Oui, je vois. C’est ce qu’on appelle être dépressif… Moi je suis comme toi… Enfin… »
Harry parût amusé.
« Et toi, que fais-tu, quand tu ne squattes pas mon banc?
– Hé! -… Je sais, la vie ne vaut rien sans moi… » la taquina-t-il, affectant la compassion.
« Chut.
– D’accord.
-… Je travaille à l’orphelinat du centre…
– Oh…
– Oui, j’adore ça!… Et parfois je fais un peu de baby-sitting le week-end, aussi.
– Donc en fait, tu vis entourée d’enfants…
– J’adore les enfants. »
Harry lui sourit.
« Je dors ici?
– Évidemment. »

***********

L’homme était seul. Sous son imperméable, il marchait à pas lents au long des pavés humides de la rue… Il détestait ces rendez-vous.

Après s’être assuré que personne ne puisse le voir, il frappa à la porte de tôle habituelle. On le fit rapidement entrer. A l’intérieur, le visiteur suivit l’homme le long d’un couloir éclairé par la lumière cuivrée d’une vieille ampoule simplement accrochée au plafond. Parvenant au bureau du fond, il fut prié de s’asseoir. L’homme en costume sombre lui tendit une boîte de cigares, mais le visiteur refusa poliment. La petite pièce était déjà remplie de fumée, et il sentait déjà que ses yeux piquaient…

« Alors, commença son hôte, vous avez du nouveau?
– Une occasion s’est présentée… »
Le visiteur sortit une photographie polaroïd de son manteau et la posa sur le bureau en face de son interlocuteur. Celui-ci la saisit et fit mine de la contempler quelques instants.
« Bien, reprit-il. Tout est prêt?
– Oui, c’est même déjà lancé, pour ce soir…
– Parfait. Personne n’est au courant?
– Personne.
– Vous savez ce qu’il se passera si vous échouez ou êtes découvert?… »
L’homme en imperméable déglutit, avant de répondre:
« Bien sûr. Tout se passera comme prévu.
– Bien. Allez-y, alors. »
L’homme en costume le congédia d’un mouvement de la main. Le visiteur ne se fit pas prier.

A l’extérieur, la rue était restée déserte. L’homme prit un instant pour lever les yeux au ciel… Pas d’étoile…
De la pluie.
La noirceur d’un ciel de plomb, et la lumière jaune diffuse des lampadaires sur la pierre…
Il se mit en route. Il tombait dru, et les clapotis incessants camouflaient la plupart des sons alentours. La folle danse des gouttes de pluie, telles des fourmis affairées, était seule à troubler le décor figé des alentours…
Bientôt, il parvint à la cabine téléphonique. Encore un moment d’hésitation.
Il entra. C’était l’heure.
Composant le numéro, tremblant, l’homme se rendit compte qu’il haletait quelque peu.
La tonalité se fit entendre dans le combiné, et il s’efforça de caler sa respiration dessus.
Il prit une nouvelle inspiration… On décrocha. « Allô, Miss Pomelle?… »

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