Radiations

Pripyat, Ukraine, 24 février 2022, 17 h 15
Les véhicules de transport de troupe russes précédés des chars T-72B3 entrèrent lentement dans Pripyat, leurs chenilles raclant l’asphalte fendu par la végétation et les canons pointant vers les avenues désertes. La chaussée, crevée de nids-de-poule et fissurée par les racines, vibrait sous le passage des blindés, soulevant des nuages de poussière grisâtre.
De chaque côté, la nature avait repris possession de la ville. Des arbres jaillissaient des trottoirs éclatés, leurs branches fouettant les bâches des camions comme pour repousser des intrus. Les façades des immeubles construits dans les années 1970 pour loger les travailleurs de la centrale de Tchernobyl, s’alignaient, éventrés. Les fenêtres avaient les vitres explosées, les balcons étaient écroulés et des rideaux effilochés flottaient comme des linceuls dans le vent.
Les soldats dans leurs tenues de camouflage, tassés à l’arrière des camions, ne parlaient pas. Leur souffle se condensait dans l’air glacé, mais aucun n’avait de masque ni de protection. Chacun savait où ils se trouvaient mais aucun n’osait exprimer l’angoisse qu’il ressentait. Aucun n’osait dire cette sensation sur la langue, ce goût métallique, mélange d’iode et de fer rouillé, ce picotement au fond de la gorge, et cette chaleur sourde sur la peau exposée aux radiations.
Les ordres étaient clairs et il était inutile de discuter, bien évidemment. Cela devait être une invasion éclair, Kiev devait être prise dans les quarante-huit heures. Il fallait aller très vite sur les objectifs : prendre d’assaut l’aéroport d’Hostomel pour créer un pont aérien, prendre le pont sur la Teteriv avant que les Ukrainiens ne le fassent sauter, prendre la zone de résidence des scientifiques en relation avec l’AIEA* pour éviter tout contact avec les puissances étrangères, occuper le terrain et fondre sur la capitale ukrainienne.
Rien n’allait se passer comme prévu.
A l’arrière du véhicule numéroté 362, vingt-quatre soldats russes étaient entassés, serrés comme des sardines et ballotés au rythme des crevasses de la route. A l’extrémité d’un des deux bancs, le Lieutenant Sergueï Ivanovitch restait debout, une main agrippée à l’armature métallique, l’autre serrant un carnet plastifié couvert des ordres de mission griffonnés à la hâte. Les soldats baissaient la tête lorsqu’il passait son regard sur eux.
Sa casquette kaki était enfoncée si bas qu’on distinguait à peine ses yeux bleu métal, juste deux fentes que les soldats estimaient pouvoir faire autant de dégât que l’AKS-74U qu’il portait en bandoulière.
Pour eux, la mission était très précise : repérer et prendre possession du bâtiment médico-sanitaire MSCh-126, puis y déployer sur le toit des systèmes anti missiles Igla à courte portée. L’équipement était mis dans des caisses métalliques entre les deux rangées de soldats, que ces derniers devraient porter jusqu’à destination ;
Le convoi stoppa brusquement. Dans son oreillette, le lieutenant entendit la voix du chauffeur grésiller :
— L’objectif est à 15 h 00, allez-y… maintenant.
Le lieutenant se tourna vers ses hommes :
— Allez, prenez le matériel, on y va. Skoréï !
Vingt hommes sautèrent de l’Ural, quatre restèrent dans le véhicule pour porter et tendre les caisses, récupérées par les hommes au sol. Il y avait trois caisses, chacune portée par quatre soldats. Un râle s’échappa de leurs gorges quand ils les soulevèrent.
Ils traversèrent une vaste esplanade déserte, ancien parking d’ambulances envahi par les herbes. Le silence écrasait tout, perturbé seulement par le claquement sec des bottes.
Le lieutenant Ivanovitch marchait en tête, il rangea son carnet dans sa poche. Son visage ne trahissait rien, mais ses yeux d’acier se plissèrent quand l’esplanade céda la place aux quelques marches précédant l’entrée de l’hôpital.
Les lourdes portes vitrées, couvertes de graffitis, bâillaient sur un hall délabré. Un détail figea le lieutenant : une lumière blanche filtrait depuis l’intérieur.
Un néon clignotait au plafond.
Les hommes s’arrêtèrent net. Personne ne bougea. Un frisson parcourut les rangs.
— … l’électricité ? bredouilla un soldat.
Ivanovitch fronça les sourcils. Le réseau électrique de Pripyat avait été sectionné depuis 1986. Rien, absolument rien, n’était censé fonctionner ici. Pour lui, cela posait deux problèmes
Si la lumière était là, c’est que quelqu’un occupait encore les lieux.
Et surtout, d’où venait la source d’énergie ?
Le lieutenant prit son arme en main, et se retourna vers ses troupes.
— Sergent Petrovich, prenez 12 hommes et vous montez l’équipement sur le toit, je viens avec vous.
— A vos ordres mon lieutenant ! Reprenez vos caisses les gars, on monte !
— Sergent Volkof, avec les autres vous me fouillez tout le bâtiment, s’il y a de la résistance, vous avez les mains libres. Et vous me trouvez d’où vient l’électricité puis vous coupez cette fichue installation. Vous commencez par le rez-de-chaussée, après, les sous-sols. Et vous contrôlez les étages en remontant, vous nous retrouvez sur le toit.
Volkof hocha la tête, tira la culasse de son AK-74M et fit signe à ses neuf hommes d’ouvrir la marche.
A intervalles irréguliers, d’autres néons éclairaient par intermittence les couloirs. Les murs, certainement peints en blanc à l’origine, étaient écaillés, noircis de moisissures et de poussières sous l’effet du temps et des radiations. Des affiches soviétiques délavées y étaient collées : « Hygiène = Santé ! » — « Lavez-vous les mains régulièrement » — slogans jaunis, à moitié arrachés, les visages souriants d’infirmières, de médecins, des portraits du premier secrétaire du parti communiste de l’époque : Mikhaïl Gorbatchev.
Au rez-de-chaussée, l’équipe de Volkof ne rencontra que des salles dévastées avec des brancards et des lits désossés et renversés, des bocaux de formol éclatés au sol, des seringues et des cathéters brisés, des armoires et des placards aux portes et aux tiroirs éventrés… Mais aucune trace de vie.
Ils trouvèrent l’escalier menant au sous-sol, un trou noir béant s’enfonçant dans les profondeurs.
— Allumez vos frontales, leur intima Volkof. Alexeï et Ivan, vous restez ici et vous surveillez l’accès.
Dans la pénombre, à la lueur de leurs lampes, les soldats descendirent l’escalier pour arriver devant une lourde porte blindée à moitié ouverte. Le panneau indiquait « Radiologie et services techniques »
Le couloir s’enfonçait comme un tunnel noir. Les faisceaux des frontales découpaient des murs moisis, où des champignons verdâtres gonflaient entre les carreaux. Plus ils avançaient, plus l’air devenait lourd, saturé d’odeurs rances.
Au bout du couloir, une pièce baignait dans une lueur pâle, stable, presque irréelle. Des bruits d’objets métalliques s’entrechoquaient à l’intérieur.
Les soldats avançaient lentement, ouvrant, le plus silencieusement possible les pièces qu’ils croisaient afin de s’assurer qu’elles étaient vides et qu’ils ne seraient pas surpris par l’arrière.
Soudain, un bruit sec éclata sur leur droite derrière une porte fermée. Ils sursautèrent.
— Bordel… murmura un soldat.
Le premier de la colonne, un grand gaillard nerveux, leva son AK et s’avança pour vérifier. Il ouvrit lentement la porte puis passa le seuil, la lumière de sa lampe balaya un pan de mur… Puis tout bascula.
Un cri de stupeur et de frayeur jaillit, bestial.
Le soldat disparut dans la pièce, happé d’un coup sec, comme aspiré. Ses hurlements de douleur se répercutèrent dans le couloir, des craquements. Puis plus rien.
Les hommes braquèrent leurs frontales, tremblants. Une traînée rouge épaisse coulait sur le seuil de la porte, s’infiltrant entre les carreaux cassés. L’odeur d’iode et de métal se fit plus prenante, mélangée à l’odeur du sang.
Volkof pénétra dans la pièce le premier, suivi de deux soldats.
La pièce s’illumina sous les faisceaux des frontales. Le spectacle les pétrifia.
Le soldat n’était plus qu’une carcasse ouverte, démembrée avec une sauvagerie inhumaine. Ses bras pendaient, arrachés à moitié, ses viscères luisants éclaboussaient le carrelage. Des éclats de chair collaient aux murs, dégoulinant en larmes rouges.
Son torse gisait sur le dos au centre de la pièce, la tête manquante, baignant dans une mare de sang.
Volkof resta immobile, le souffle court. Ses hommes, pétrifiés, pointaient leurs armes vers les coins de la pièce. Mais tout était désert. Pas un mouvement. Pas une présence.
***
L’escalier menant aux étages supérieurs était juste assez large pour faire passer les caisses et les hommes qui les portaient. Il était dix-huit heures, le ciel s’assombrissait et le faisceau de leurs frontales révélait des pans de murs suintants et moisis.
Arrivés sur le palier du quatrième étage, un bruit les figea. Sec, irrégulier, à peine perceptible… mais familier, des bruits de pas traînants. Puis ils entendirent un crépitement, identique à celui qu’un compteur Geiger que l’on secoue.
Ivanovitch leva la main, exigeant le silence. Le crépitement s’interrompit net. Dans le couloir, derrière la porte du palier quelque chose racla le sol.
Ivanovitch fit signe à ses hommes de poser les caisses, pointa le sergent du doigt et fit le signe « trois ». Le sergent désigna trois hommes qui prirent leurs armes en main pour le rejoindre.
Le sergent Petrovich se positionna devant la porte du palier et l’ouvrit brutalement. Les soldats pointèrent le couloir avec leurs armes.
Au milieu, un homme de dos en blouse blanche se figea sur place.
— Ne bougez plus ! Hurla le sergent. Montrez vos mains et tournez-vous !
L’homme écarta les bras de son corps, il tenait dans la main un compteur Geiger, grésillant, l’aiguille tremblant dans la zone rouge. Puis il se retourna lentement. C’était un vieil homme, sa blouse blanche était usée, maculée de taches noires et trouée par endroit. Son visage était émacié, un crâne parsemé de quelques cheveux et de taches de vieillesse. Des lunettes épaisses pendaient de travers sur son nez.
— Je… je suis le docteur Anton Yevchenko, médecin de la centrale… Vous n’avez rien à craindre de moi.
— Que faites vous ici lui demanda le lieutenant en conservant son arme pointée sur lui.
— Je poursuis mes travaux, camarade ! répondit-il en se raidissant comme pour faire un salut militaire.
Il fit un pas en avant. Ses chaussures écrasèrent du verre brisé qui craqua comme des os. Les soldats reculèrent d’un pas.
— Ne bougez pas ! De quels travaux parlez-vous ?
— J’ai trouvé… , continua-t-il. Les radiations ne font pas que détruire ! Elles peuvent transformer ! J’ai cherché à créer l’homme qui survivrait à tout, même à la mort invisible… et j’ai trouvé !
Un bruit sourd retentit derrière lui, provenant d’une pièce entrouverte. Comme un grognement étouffé, suivi d’un choc contre le métal. Les soldats braquèrent aussitôt leurs armes.
— Mais, mes pensionnaires ne sont pas toujours très sages, dit-il avec un sourire usé. Je passe beaucoup de temps à les chercher ces derniers temps.
Au même moment, les soldats entendirent les échos d’une fusillade nourrie, semblant provenir de l’immeuble, mais de très loin. Sans quitter l’homme des yeux, il appuya sur le boitier du système de communication :
— Volkof, où en êtes-vous ?
Seul un grésillement répondit à la question d’Ivanovitch.
— Volkof, répondez, où êtes-vous ?
Dans son oreillette, entre les crépitements de la radio, il perçut la voix de Volkof :
— crrrrrr… besoin de renfort….. crrrrr….. vite….!
Une nouvelle fusillade se fit entendre dans la radio. Puis le silence.
Le sergent Petrovich se tourna vers Ivanovitch :
— Mon lieutenant, on descend ?
Après un bref moment de réflexion, Ivanovitch se tourna vers lui :
— Non, vous ligotez cet individu et vous l’attachez à ce radiateur. Vous, vous prenez quatre hommes et vous terminez de monter le matériel, il ne reste que deux étages pour accéder au toit. Le reste avec moi, il y a du monde dans la pièce du fond, il faut sécuriser la zone.
Le sergent et les quatre hommes disparurent dans l’escalier, emportant une première des lourdes caisses vers le toit.
Restés en arrière, deux soldats maintenaient le vieil homme à genoux, les poignets attachés dans son dos et l’attachèrent au radiateur.
Yevchenko ne résista pas. Mais en regardant avancer les soldats dans le couloir, il interpella Ivanovitch :
— Ne faites pas ça… murmura-t-il. Vous ne savez pas… Ils ne vous veulent pas de mal. Ils ne m’écoutent que moi. Si vous les dérangez, vous serez… consommés.
Ivanovitch le fixa un instant mais ne répondit pas. Il avança prudemment vers le fond du couloir, ses huit hommes suivaient, armes en joue. L’air se chargeait d’une odeur d’ozone, piquante.
Ivanovitch, qui avait gardé en main le compteur Geiger du médecin, voyait son aiguille atteindre l’extrémité de la zone rouge au fur et à mesure qu’ils avançaient. Les soldats s’échangeaient des regards nerveux.
Enfin, ils arrivèrent devant la porte entrouverte. C’était une énorme porte blindée, donnant sur une pièce entièrement recouverte d’un carrelage vert pâle. Derrière, un souffle lourd, irrégulier, montait et descendait comme une respiration monstrueuse.
Ivanovitch fit signe : deux hommes prirent position de chaque côté. D’un geste sec, il envoya le premier ouvrir la porte.
Elle s’ouvrit dans un grincement insoutenable.
Les lampes jaillirent dans la pièce.
Et ils le virent.
Une forme humaine, à genoux au centre de la salle, dos tourné. La peau était grise, parcheminée, collée sur des muscles hyper développés. Des pustules sombres parsemaient son dos, palpitant comme des organes vivants. L’air vibrait autour de lui, saturé de radiations.
— Mon dieu… murmura un soldat.
La créature tourna lentement la tête. Des yeux blancs, sans pupilles, vitreux, fixèrent la lumière des torches. La gueule de la créature s’ouvrit, et émit un cri rauque.
— Tirez ! hurla Ivanovitch.
Les fusils crépitèrent, les balles frappèrent la chose de plein fouet. Mais au lieu de s’écrouler, le corps se convulsa, projetant des gerbes de sang noirâtre et une vapeur chaude à l’endroit des impacts, comme si les balles fondaient à son contact.
Puis la créature bondit.
Un soldat fut happé, soulevé comme une marionnette. Son cri s’étouffa dans un craquement atroce quand il percuta le mur.
Le reste de l’escouade se remit à tirer… et à se faire attraper, chacun leur tour, par la chose.
Ivanovitch, voyant ses hommes se faire massacrer, eut un mouvement de recul. La bête se tourna alors vers lui et bondit. Le lieutenant saisit les lourdes portes blindées de la salle et avec la force du désespoir les referma puissamment. Il claqua dans un même mouvement la barre métallique de fermeture.
Il entendit un bruit sourd cogner lourdement, faisant trembler la porte, puis un cri de fureur bestial.
Ivanovitch resta quelques instants les mains appuyées contre le blindage, le cœur battant.
Au bout du couloir, Yevchenko, attaché au radiateur, le regardait d’un air las.
— Je vous l’avais dit… Ce ne sont que des enfants. Et vous leur tirez dessus…
A ce moment-là, Petrovich et ses quatre hommes surgirent du palier. Le sergent rejoint Ivanovich.
— Vous allez bien mon lieutenant ? nous avons entendu des tirs, ou sont les autres ?
Le lieutenant sortit de sa torpeur, regarda Petrovich fixement et serra les dents, dans un silence lourd. Il se dirigea vers le médecin qu’il souleva par les revers de sa blouse.
— Qu’est ce que c’était que ça espèce de fou ! C’est quoi ce monstre !
— Ce ne sont pas des monstres lieutenant, ce sont des survivants, mes survivants… ce sont mes pensionnaires…
— Il y en a d’autres ? Combien ?
— Ils sont trois, camarade. Et il est bientôt l’heure… de leur traitement.
Ivanovitch serra plus fort le col du vieillard, le soulevant presque du sol.
— Trois ? articula-t-il entre ses dents serrées. Trois comme celui-là ?
Yevchenko ne répondit pas tout de suite. Son sourire las s’étira, révélant des dents jaunies.
— Oui, trois frères, mes enfants, je les ai sauvés vous savez ? J’ai trouvé la solution, il faudra prévenir Moscou, je compte sur vous !
Le lieutenant le relâcha brutalement. Le vieil homme s’effondra contre le radiateur, sonné.
— Mon lieutenant… les hommes avec vous… que s’est-il passé ?
— Ils sont morts Petrovich.
— Et le groupe de Volkof ?
— Certainement morts eux aussi.
— Il faut peut-être décrocher tout de suite mon lieutenant. On monte sur le toit, on demande une extraction…
Ivanovitch l’interrompit sèchement.
— Une extraction ? Vous croyez qu’on va nous sortir d’ici ? Vous croyez que dans tout ce merdier l’état-major va nous envoyer des hélicos ? Non. On est seuls.
Il sortit le carnet plastifié de sa poche, le feuilleta rapidement, puis le jeta au sol.
— La mission a changé.
Il se pencha à nouveau sur Yevchenko.
— Tu vas nous dire comment les arrêter. Tout de suite.
Le vieux médecin leva des yeux brillants vers le lieutenant, il semblait être dans un état d’abandon total.
— Les arrêter ? non… ou peut-être oui, en les ramenant là ou tout a commencé, là où ils se régénèrent, là où je les soigne…
— Où ! réponds !
— Au sous-sol, murmura Yevchenko. L’appareil. Là où je les ai créés. S’ils y rentrent, ils s’endorment…
Ivanovitch défit les liens du médecin.
— Alors on y va, tu vas nous montrer ça.
— Mon lieutenant, on ne va quand même pas…
Un bruit résonna soudain dans le couloir, derrière les lourdes portes blindées. Des coups sourds et puissants.
Les hommes se figèrent.
La porte blindée au fond du couloir fût projetée contre le mur d’en face dans un fracas assourdissant.
Ivanovitch encercla le cou du médecin avec son bras et lui posa son arme contre la tempe. La créature fit irruption dans le couloir, les soldats vidèrent leurs chargeurs dans sa direction.
Le lieutenant recula sur le palier et, toujours Yevchenko en otage, descendit l’escalier. Les tirs fusaient encore dans le couloir, mais rapidement ils entendirent des hurlements, le bruit de corps fracassés contre les murs puis le silence…
Ivanovitch descendit les escaliers, tenant Yevchenko par le col. Arrivé au palier du premier étage, il sentit à nouveau fortement cette odeur d’ozone et le métal brûlé. Il regarda derrière lui et vit la créature. Elle suivait sans oser s’approcher.
Il continua la descente a reculons, tenant le médecin devant lui comme bouclier vivant. Ils arrivèrent au rez-de-chaussée.
— L’accès au sous-sol, vieillard dis-moi, vite !
— Au fond du couloir de droite, là-bas répondit-il en hochant la tête dans la direction indiquée.
Ils reprient leur chemin, toujours talonnés par la créature, descendirent l’escalier menant au sous-sol, et s’engagèrent dans le couloir.
Les corps démembrés de Volkof et de ses hommes parsemaient le sol, réduits en charpie...
Yevchenko, suffoquant sous la poigne du soldat, indiqua d’un geste tremblant une lourde porte métallique.
— Là… c’est là.
La salle qui s’ouvrit devant eux ressemblait à la nef d’une église souterraine. Au centre, un amas de cuves et de câblages bricolés formait une structure monstrueuse. Les murs vibraient d’une lueur verdâtre, pulsant comme des veines irradiées.
Un grondement monta dans le couloir. La créature qui les suivait apparut, rejointe par ses deux « frères ». Elles avançaient d’un pas traînant. Leurs yeux vitreux ne quittaient pas Yevchenko.
Ivanovitch serra plus fort son arme contre la tempe du médecin.
— Tu les fais rentrer maintenant.
Le vieil homme leva les mains et murmura quelques mots rassurants. Les créatures, dociles, rampèrent vers la machine, attirées comme par instinct, par habitude. Elles franchirent l’ouverture béante de la cuve centrale et s’y entassèrent. Ivanovitch se précipita pour fermer une sorte de hublot doté d’un verre particulièrement épais et tourna un volant de manœuvre pour le verrouiller.
Il poussa brutalement Yevchenko contre un panneau de commande.
— Active ça. Fais-les disparaître.
Le médecin hésita, ses doigts tremblant au-dessus des boutons et des leviers.
— Mais si j’inverse le flux… tout va s’effondrer. Tout…
— Fais-le ! hurla Ivanovitch.
La main du vieillard bascula la manette. La machine rugit. Des arcs électriques éclatèrent, inondant la salle d’une lumière verte. Les créatures hurlèrent en se convulsant. L’air devint brûlant, saturé d’ondes gamma.
Le visage de Yevchenko commença à cloquer, ses lèvres à saigner. Ivanovitch le lâcha de dégout.
— Vous voyez ? Ils retournent à la Source… mes enfants…
Le médecin s’effondra au sol, des spasmes secouèrent son corps et s’immobilisa.
Dans la matrice les créatures tentèrent de briser la porte mais leurs forcent diminuaient.
Ivanovitch regarda ses mains, sa chair partait en lambeau. Il reprit le chemin pour remonter dans le hall.
Arrivé sur le perron de l’hôpital, il s’effondra à genoux. Le ciel nocturne se couvrait de nuages lourds. Il leva les yeux une dernière fois, ses prunelles brûlées se voilant, puis s’écroula sur les marches.
À cet instant, une explosion retentit dans les sous-sols de l’unité médical, et un souffle chaud parcourut toute la zone, invisible.
***
À 20 h 40, le 24 février 2022, l’AIEA enregistra un pic de radioactivité et un sursaut d’ondes gamma sur le site de Tchernobyl. À ce jour, aucune explication satisfaisante n’a été donnée.
*Agence Internationale de l'Energie Atomique.
Table des matières
En réponse au défi
Un mois = une histoire
Pour le mois d'octobre, je vous propose d’écrire une histoire d’horreur ancrée dans la réalité historique.
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