Vendredi 8 Mars - j-5 Avant l'apocalypse
Vendredi 8 mars - J-5 avant l'apocalypse personnelle.
Haaaa, mon crâne, quel champ de bataille. HAAAAAAA !
Ce réveil, c'est comme être frappé par un camion de douleur, le souvenir d'une nuit passée à s'hydrater exclusivement au houblon et à la distillation douteuse. Mon compte en banque pleure les dépenses fantômes d'hier soir, et ma mémoire est une toile vierge. Charmant.
Je tâte l'espace à côté de moi, vérifiant que je n'ai pas importé un souvenir vivant de ma soirée. Déception ou soulagement ? Peu importe, dans l'état où je suis, je n'aurais même pas été capable de me rappeler son prénom, sans parler de tolérer une séance de bisous post-vignoble.
Les révélations de mes relevés bancaires sont à deux doigts de me faire rendre mon petit-déjeuner pas encore avalé.. Avec ce que j'ai dépensé, j'aurais au moins pu négocier une compagnie pour la nuit, même sans critères de sélection.
Direction la douche, avec l'ambition folle de ne pas arriver en retard au travail.
Il est 9h10, et j'ai exactement 20 minutes pour éviter la honte du patron toujours en retard.
Peut-être devrais-je prendre le temps de me présenter ? Alors, chers lecteurs invisibles, je m'appelle Greg, 35 ans, fièrement célibataire. Sans enfants (merci le ciel), sans conjointe (désolé maman), et sans crédit. Une liberté qui frise l'anarchie personnelle. Mon humble demeure ? Un deux-pièces avec vue imprenable sur la place de la Nation, décoré avec l'enthousiasme d'un catalogue Ikea et équipé par les bonnes affaires Amazon. Un manque flagrant de personnalité, certes, mais au moins, c'est propre et ça ne se plaint pas.
Mon petit royaume aérien, une oasis de 30 mètres carrés perchée au sommet de Paris, se distingue par sa terrasse titanesque de 70 mètres carrés. Un véritable champ de bataille pour les grillades estivales, où mes amis viennent célébrer le culte du barbecue sous les étoiles parisiennes.
Là, debout devant la baie vitrée en tenue d'Adam modernisée d'une serviette, je savoure mon café façon George Clooney, contemplant le ballet mécanique des voitures qui dansent sur la place de la Nation. Un spectacle urbain, agrémenté d'une touche de caféine.
C'est alors que mon téléphone décide de rompre ce moment de quiétude. 9h30. À l'autre bout, un stagiaire, Samuel, semble perdu dans la jungle urbaine.
· Oui, Samuel ?
· Bonjour Monsieur, je suis à votre porte, mais l'interphone semble faire la grève.
· Je descends, je t'ai presque dans mon champ de vision, lui répondis-je tout en me glissant dans mon caleçon avec l'agilité d'un ninja. Donne-moi moins de dix minutes.
Mon antre professionnelle n'est qu'à un saut de puce à coté de la place de la Bastille. Dix minutes, c'est ma moyenne, mais avec l'obstacle de l'habillage, c'est une expédition de vingt minutes qui m'attend.
Après avoir revêtu mon armure de costume, j'attends l'ascenseur avec une patience d'ermite, refusant de me transformer en athlète et d'arriver au bureau avec le parfum « Eau de Transpiration » pour clôturer ma carrière.
Tout en frôlant le sol du rez-de-chaussée, une pensée me traverse l'esprit : « Ai-je eu l'audace de rentrer en scooter hier soir ? » En théorie, la sagesse aurait préconisé un taxi, mais ma vie n'est pas écrite par un sage. Après une brève inspection, je trouve mon scooter, garé avec l'élégance d'un éléphant dans un magasin de porcelaine, orné d'une amende - mon cadeau matinal pour bien démarrer la journée.
Mon fidèle destrier, un scooter à trois roues acquis sous le prétexte noble de contourner les embouteillages et les aléas olfactifs du métro parisien, s'est révélé être mon meilleur allié dans l'art délicat de rapatrier les jeunes demoiselles avec une efficacité accrue sous le voile de la nuit.
Je fais mon entrée, tel un seigneur de la mode en retard, à 10h tapantes. Un comité d'accueil composé de stagiaires, tout sourires, m'attend devant le portail. Leur regard complice face à mon air hagard trahit leur compréhension immédiate des festivités nocturnes ayant précédé mon apparition.
À la tête d'une entreprise spécialisée dans le dénichage de bons plans, fondée il y a trois ans avec Ben, un complice de toujours, je navigue dans les eaux tumultueuses du commerce, tandis que Ben, le capitaine de la gestion, est actuellement en congé, me laissant seul maître à bord.
Avec Ben parti chercher du soleil, je prends sous mon aile nos apprentis aventuriers du business :
Samuel, 22 ans, apprenti commercial de son état, armé de son éducation en école de commerce, se lance dans la quête des nouveaux partenaires. De temps à autre, il m'assiste dans la danse délicate de la négociation avec nos prestataires.
Julia, également 22 ans, notre secrétaire et pilier administratif, est avec nous depuis la fin de son bac pro. Actuellement en dernière année de BTS en alternance, elle est promise à un avenir au sein de notre équipage. Grâce à une récente levée de fonds, l'entreprise navigue vers des horizons financiers prometteurs, bien que mes investissements personnels tendent plus vers les distilleries de vodka et de tequila, au grand dam de Ben qui ne manque pas de me le rappeler avec une pointe d'humour sarcastique.
Sandra, 20 ans et notre muse de la communication, orchestre avec brio la confection de notre catalogue et la fraîcheur de notre site web. Elle joue les équilibristes entre ses études et le travail, en quête de la validation ultime de son BTS en un an.
Post-briefing, je me réfugie dans mon sanctuaire – alias mon bureau – pour concocter une stratégie de préparation avant mon rendez-vous de l'après-midi. Mon secret ? Une technique éprouvée : consulter l'itinéraire sur Waze suivi d'une sieste réparatrice. Après tout, mon pitch de vente est en mode pilote automatique ; l'essentiel est de ne pas oublier le nom de mon interlocuteur.
La présence des stagiaires m'a révélé une vérité un peu gênante : ma paresse a atteint des sommets inexplorés, tandis que leur salaire flirte avec le plancher. Parfois, je me remémore l'époque où je trimais 12 heures par jour. Aujourd'hui, ma contribution se limite à griffonner ma signature sur les contrats, armé d'un sourire mi-enjôleur mi-contraint.
Samuel, notre tacticien des rendez-vous, pilote l'acquisition et le suivi de nos partenariats, épaulé par Julia dans cette noble quête.
Sandra, quant à elle, veille au grain sur la mise en ligne de nos offres.
Le clou du spectacle ? La phase de test. Être rémunéré pour s'abandonner aux délices des massages, des séjours hôteliers, ou des festins gastronomiques, je sens le burn-out du plaisir me guetter à l'horizon.
J'ai toujours prôné que la clef de la richesse réside dans l'art de faire travailler autrui ; et à ce petit jeu, les stagiaires sont des champions incontestés.
11h23 : Une douleur lancinante me frappe à l'arrière du crâne, cortège probable de mes excès nocturnes avec la vodka, la tequila, ou d'autres élixirs de l'oubli.
- Julia, pourrais-tu venir dans mon bureau, s'il te plaît ?
Je porte une certaine affection pour Julia. Au-delà de notre relation professionnelle qui dure depuis plusieurs années, je dois admettre qu'elle ne me laisse pas indifférent. Cependant, elle est plus jeune et surtout, elle est mon employée. Notre complicité est parsemée d'échanges flirtatifs, une danse verbale à la limite du professionnel. Mais l'idée d'outrepasser cette limite reste pour moi une ligne à ne pas franchir.
- Laisse la porte ouverte, lui dis-je à son arrivée, en rappelant notre règle d'or : ici, les promotions se gagnent au mérite. Tu occupes déjà la position la plus élevée après Ben et moi.
- Peut-être pourrions-nous discuter d'une prime, alors ? suggère-t-elle avec un sourire.
- On examinera la question en fin d'année. En attendant, pourrais-tu me faire le plaisir d'aller à la pharmacie chercher quelque chose pour cette migraine ?
- À vos ordres, capitaine, répond-elle en exécutant une révérence espiègle.
Elle revient 20 minutes plus tard, tandis que ma tête semble sur le point d'imploser. Mais je sais qu'avec son aide, le soulagement est proche. Pour la énième fois, elle me recommande de consulter un médecin, à quoi je réponds, comme toujours, "la semaine prochaine, promis."
Plongé dans l'obscurité de mon bureau, je cherche refuge contre la douleur lancinante. Une stratégie d'évasion momentanée, en attendant que le tumulte interne s'apaise.
Après avoir englouti un déjeuner en quatrième vitesse, je m'octroie une pause réparatrice sous forme de sieste, avant de m'élancer vers mon rendez-vous de 14h30. Dans un élan de générosité – ou peut-être pour éviter d'avoir à faire semblant de travailler –, je donne leur après-midi aux stagiaires. Travailler un vendredi après-midi ? L'idée même me semble barbare.
À 14h, je me faufile à travers Paris sur mon scooter, en direction du 16ème. Paris, avec ses surprises au détour de chaque rue, ses ponts romantiques, ses bistrots intimes, et ses nuits lumineuses, ne cesse de m'émerveiller.
Mon enthousiasme est à son comble alors que je me dirige vers un institut de beauté, antre de magnificence féminine où chaque employée semble échappée d'un rêve.
Mon rendez-vous est avec Claudie, une vision de grâce et de sportivité, maquillée et manucurée à la perfection. Sa voix, caressée par un accent du sud, m'avait déjà conquis. Originaire d'Aix-les-Bains, elle s'est installée à Paris il y a dix ans, suivant un mari fortuné qui lui a offert cet éden de soins. Notre conversation, bien que centrée sur le business, me donne l'occasion d'exprimer mon admiration pour sa beauté intemporelle.
La conclusion du partenariat se fête par un soin relaxant. Ma déception initiale de ne pas être pris en charge par Claudie s'évapore rapidement à la vue de Sandra. Jeune métisse franco-sénégalaise, son sourire innocent et sa stature élancée m'accueillent dans un univers de détente et de charme discret.
Le soin se poursuit par un massage et un soin du visage, où les mains de Sandra sur ma peau me font rapidement oublier son jeune âge. Charmeur dans l'âme, je ne manque pas de la complimenter sur sa finesse et sa beauté. Je n'ai certes pas l'allure d'Apollon et arbore quelques kilos superflus, mais j'ai appris à valoriser mes atouts : entrepreneur à succès, sens de l'humour, aisance financière, passion pour la cuisine, talents de masseur, et une certaine expertise dans l'appréciation du corps féminin. La séduction est un art que je maîtrise avec patience et délectation, surtout quand une femme éveille mon intérêt.
Le massage, hélas trop bref à mon goût, prend fin, et il est l'heure de reprendre le cours de ma journée. Je réussis à arracher à Sandra la promesse d'un verre et à Claudie celle d'un dîner pour célébrer notre partenariat.
Pour marquer l'occasion et ces rencontres mémorables, je me dirige vers Oberkampf, pour une soirée dans le bar tenu par mon frère.
Je ne vais pas jouer les hypocrites, avec moi-même ou avec vous : n'importe quel prétexte est bon pour lever le coude et célébrer le weekend. Certains pourraient penser que je frise l'alcoolisme. Erreur : je ne touche pas à une goutte d'alcool chez moi. Mais, je l'avoue, ma volonté flanche dès que je mets un pied dehors, ce qui, avouons-le, arrive bien plus souvent que l'inverse.
Daniel, mon cadet, est le pilier d'un établissement branché d'Oberkampf, le Melting-Potes. À 28 ans, il jongle entre la gestion de ce bar et les joies de la paternité avec un fils de deux ans. Ambitieux, il rêve de se porter acquéreur du lieu dans les deux à trois années à venir.
Mon passé de barman résonne avec les souvenirs d'une jeunesse tumultueuse : les excès, les expérimentations douteuses et les aventures éphémères. Ces années furent marquées par l'isolement et un manque criant de stabilité, la nuit me tenant éloigné des miens et me privant de relations durables. Pourtant, ce furent des moments riches d'enseignements et de rencontres inoubliables au détour du comptoir. Aujourd'hui, je me contente d'apporter mon aide à Daniel, gardant un pied dans cet univers fait de cocktails et de flirts.
À peine le seuil du bar franchi, une bière se matérialise devant moi, comme par magie.
- T'exagères, lui lancé-je, faussement outré. Mais bon, puisqu'elle est là, autant ne pas la laisser perdre.
Alors que je m'apprête à la saisir, le verre manque de m'échapper, trahissant ma fatigue et l'effet persistant du soin relaxant plus tôt.
Nous évoquons ma semaine plutôt banale et les dernières nouvelles de son fils. La fatigue me gagne, et ma bière peine à disparaître. Les douleurs au crâne, tels de sombres nuages, refont surface, ébranlant ma résolution. L'heure est venue, semble-t-il, d'admettre que ni l'alcool ni le doliprane ne suffisent plus. Cette gêne croissante menace désormais ma passion pour les pintes bien fraîches. Il est temps, de toute évidence, de consulter.
Alors que mon frère s'affaire autour de ses clients, je sens que la soirée touche à sa fin pour moi. L'état dans lequel je me trouve ne prête guère à la fête ; le repos appelle. Demain est un autre jour, et le samedi mérite que je sois au meilleur de ma forme.
Je m'octroie une escale chez l'un de mes fournisseurs gastronomiques de choix : le grand, l'unique Ronald McDonald. Un festin modeste, mais réconfortant, suivi d'un bain chaud, devient mon rituel de fin de soirée. Puis, je joue au pharmacien amateur, ingérant un duo de comprimés : un contre la douleur, l'autre pour m'inviter dans les bras de Morphée sans délai. L'automédication est devenue un art dans lequel j'excelle avec une aisance déconcertante.
Face au dilemme télévisuel entre une télé-réalité sans saveur, une série allemande captivante, et une énième rediffusion de la série "H", je choisis la retraite la plus douce : celle du silence et de l'obscurité. Toutes lumières éteintes, je laisse la journée se dissoudre dans l'oubli, m'abandonnant aux rêves que seule la nuit sait tisser.
Ainsi s'achève ma journée, non pas avec un éclat retentissant, mais avec la promesse d'un lendemain regénéré, prêt à affronter avec panache les aventures que la vie se prépare à dérouler sous mes pas.
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