Chapitre 1

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Chapitre 1 :

— Le système immunitaire inné est un rempart commun à une grande majorité des espèces vertébrées connues. C’est d’ailleurs en partie pour cela qu’on le dénomme « inné ». Il constitue l’ensemble des mesures prises à l’encontre d’un pathogène lorsqu’une infection est détectée dans l’organisme. Est-ce que l’un d’entre vous serait capable de me rappeler les caractéristiques d’une infection ?

Au fond du laboratoire de biologie, qui nous servait de salle de classe, une jeune fille leva la main. Elle était blonde avec certaines mèches de couleur plus châtain, possédait de grands yeux bleus,et son buste, qui arborait un sweatshirt bleu roi, tressaillait au rythme de son souffle rendu effréné par l’excitation de donner la bonne réponse. Un peu plus à sa gauche, un autre élève, un jeune homme cette fois-ci, leva son bras avec nonchalance, un regard plus froid et presque hautain dans les yeux. Le professeur interrogea la jeune fille :

— Une infection c’est lorsqu’un pathogène pénètre l’organisme, et parvient à s’y multiplier, dit-elle avec un air, bien qu’assuré, un peu hésitant.

— Bien, c’est cela, et qui pourrait donner le nom que l’on donne aux cellules qui sont capables de détecter ces infections ?

Le jeune homme, qui n’avait pas baissé le bras, regardait maintenant l’enseignant d’une manière insistante et presque insolente. Ce fut alors son tour d’être interrogé :

— Des cellules patrouillent en permanence dans nos tissus, notre sang, elles possèdent des récepteurs de surface qui sont complémentaires des antigènes présents sur les pathogènes. On les appelle les cellules sentinelles, et il y en a plusieurs types.

La réponse était exacte, et l’enseignant ne fît aucun commentaire. Juste un sourire satisfait anima le visage du garçon, un sourire qui occasionnait une fossette sur la joue droite. Peut-être l’aurez-vous compris, ce jeune homme n’est nul autre que moi. Un adolescent de dix-sept ans à l’époque, assistant à un cours de biologie dans son lycée. J’étais doué, tout le monde le savait, et moi aussi. L’immaturité de mon comportement à cette époque se ressentait au travers de mes habitudes. Ce sourire carnassier, teinté d’une supériorité si facilement présumée… Mais comment aurais-je pu me douter des répercussions de cet orgueil ? En cet instant, tout ce qui m’importait, résidait sur un grand tableau blanc, par endroits balafré de marques bleues et noires qui avaient été mal effacées, et dans lequel un schéma, représentant des cellules, était esquissé.

Un rapide coup d’œil à ma montre m’indiqua qu’il ne restait qu’une quarantaine de secondes avant la fin du cours. Je les dénombrais dans ma tête, tandis que je fixais le ciel depuis une fenêtre, juste à côté de moi. Je sentais le contact froid de sa bordure en aluminium, sur laquelle j’appuyais mon crâne. Le ciel n’était pas clair, au contraire, des nuages défilaient au-dessus du bâtiment scolaire, se détachant les uns des autres. Plus ou moins sombres, ils présentaient au moins autant de nuances de gris qu’il y avait de couleurs dans un arc-en-ciel. Il menaçait de pleuvoir, l’atmosphère se trouvait humidifiée, alourdie par la température estivale de ce début d’été. L’air qui s’engouffrait par la faible embrasure de la fenêtre laissée ouverte, était chargé de cette odeur qui mêle habilement les saveurs goudronnées de nos routes, qui durant toute une journée avaient chauffées, et l’arôme acide de l’herbe coupée. Une douce brise agitait les arbres aux feuillages luxuriant des alentours, produisant une mélodie sans rythme, et sans thème particulier mais reposante à l’oreille.

Bien plus reposante, du moins, que celle de la sonnerie du lycée. Elle retentit dans la salle de classe, faisant sursauter certains des élèves qui éprouvaient des difficultés à comprendre le cours. C’était un son strident, lancé sur une suite de trois notes, graduellement croissantes dans leurs fréquences, qui étaient suivies par la même suite mais en miroir. Les valeurs de fréquences étaient alors décroissantes. Si les notes n’étaient pas particulièrement hautes, leur niveau sonore l’était, si bien que le haut-parleur qui diffusait ce son, ne se trouvant que quelques mètres en dehors de la salle, produisait une sonnerie que l’on ne pouvait ignorer même en dehors de l’établissement.

Le fracas qui s’ensuivit, résultait peut-être de la violence de ce signal d’alerte, ou bien d’une exaspération provoquée par une impatience qui s’accumulait depuis toute une journée passée à écouter des adultes en pleine euphorie intellectuelle. Dans tous les cas, le cours était fini, excepté pour l’enseignant qui s’évertuait à récupérer un peu de silence pour donner les devoirs à ses élèves. Mais tous, moi y compris étions en train de rentrer nos chaises sous les tables, ne veillant pas à les soulever, mais préférant laisser les quatre pieds au sol, créant un frottement assez désagréable lorsqu’il était produit par une trentaine d’élèves. Nos sacs sur le dos nous sortîmes donc de la salle qui devint bientôt bien plus silencieuse, et seule la voix rauque de notre professeur se faisait entendre lorsque je quittais la salle. Il discutait avec Eiv, l’élève aux cheveux blonds qui avait participé un peu plus tôt.

En général discrète, je ne m’étais retrouvé à parler avec elle que pour un travail de groupe dans une autre matière. C’était en réalité une élève intelligente et sérieuse, trop sans doute pour moi qui à l’époque ne songeait qu’aux notes, et nullement à la finalité des études, lui préférant cette vision de la réussite à court terme. Mais cela je ne m’en rendais pas compte, il semblait qu’un élément me rattachait sans cesse à cet état d’esprit pourtant néfaste.

Tandis que j’avançais dans le couloir, me rapprochant des casiers cubiques, rouges et blancs selon la rangée, je reçus une tape amicale sur l’épaule droite. Me retournant, l’auteur du geste se présenta avec un large sourire, qui illuminait son visage pâle, malgré les cheveux noirs mi- longs qui pendaient de part et d’autre de sa tête. Assez grand, le jeune homme s’adressa à moi d’un ton mielleux et entendu :

— Dis-moi, tu sembles être bien calé en bio non ? Tu ne pourrais pas me filer tes devoirs de la semaine prochaine ?

Cette question m’agaçait terriblement, car elle était si récurrente et ennuyante. Comment lui répondre non, Alban avait toujours eu des difficultés et cela me peinait, d’autant plus que lui fournir les devoirs et éventuellement lui en expliquer le contenu me permettrait de m’entraîner.

— Oui Alban, je te ferai ça une fois rentré chez moi, d’accord ?

— Pas de problème ! Merci beaucoup Caleb, et d’ailleurs, tu feras attention, je crois qu’il y en a une qui en pince pour toi…

Il indiqua alors, d’un signe du menton, la jeune fille qui sortait du laboratoire de biologie. Un air satisfait animait son visage.

— Mais… Alban, qui…

Il était déjà parti, ses grandes jambes, enveloppées dans un pantalon aussi noir que ses cheveux, se soulevant à un rythme lent, mais il faisait de si grandes enjambées qu’il dépassa tout le monde assez rapidement. Je ne pus alors connaître l’origine de cette information. Mais peu importait, je ne m’intéressais guère à l’amour, bien plus porté par la connaissance scientifique, la capacité de comprendre les enjeux de la vie et d’être capable d’analyser le monde autour de moi.

J’atteignis enfin les casiers, et composai le code sur les roulettes de mon cadenas. Dans un cliquetis métallique, la porte du casier s’ouvrit, j’y déposai ma blouse blanche de laboratoire, que j’avais pliée au carré, et j’y récupérai mon livre, Sapiens, un essai historique, qui argumentait l’évolution de l’être humain et expliquait la manière dont notre société actuelle s’était développée. Il était en anglais, cela me permettait de pratiquer une autre langue tout en m’instruisant. Je l’engouffrai dans mon sac, en y prenant grand soin, le logeant entre mon agenda et le cahier de biologie, à la couverture plastique verte. Aucun de ces éléments n’était écorné, ou même un peu entaché.

Alors je me frayai un passage dans la foule d’élèves qui discutaient avec entrain. Si heureux de se trouver enfin en week-end après une si longue semaine de cours. Certes, pas plus que d’habitude, mais riche en émotion pour sûr. Après tout, la mort d’un élève dans un établissement aussi petit que le nôtre était tout à fait inhabituelle.

L’évènement s’était produit en début de semaine, le jeune homme, élève de terminale, était décédé d’une cause inconnue. Nous n’avions pas eu plus de détails lors de la cérémonie qui avait été organisée en l’honneur de sa mémoire. Il semblait un garçon brillant. « Intéressé par l’actualité, et bien renseigné sur les enjeux de notre monde contemporain. » avait souligné le professeur d’Histoire-Géographie. « Un élève sensible et profond dans sa compréhension de la philosophie. » en avait avancé un autre. Je ne l’avais pas connu, tout juste croisé dans les couloirs. Et je n’aurai probablement pas remarqué l’absence de ce visage, si la direction n’avait pas affiché une photo portrait du jeune homme avec leur projecteur sur les murs blancs de la salle polyvalente dans laquelle nous nous rassemblions lors des évènements scolaires. Mais pourtant, son visage, son nom, Léo, m’obsédaient tous deux, me questionnaient et faisaient bouillir ma curiosité.

Ce n’était pas tant pour l’être lui-même, mais sinon pour les causes mystérieuses de sa mort. Nul ne cacherait la cause du décès de quelqu’un si celle-ci n’avait pas quelque chose de scandaleux ou choquant. S’était-il suicidé ? A en juger par le nombre d’élèves de tous niveaux qui s’étaient levés pendant la minute de silence afin de se tenir devant la scène, pleurant toutes les larmes de leur corps, et brandissant des pancartes « Il était mon ami », et une indiquant « Il était l’amour de ma vie », cette hypothèse n’avait apparemment pas lieu d’être. Cependant, il se pourrait qu’il y ait un lien avec d’autres morts. Pas dans ce lycée, mais on signalait partout dans le monde un taux accru de la mortalité. Assez important à vrai dire, celui-ci avait au moins augmenté au quart supérieur pour la moyenne mondiale.

L’été était chaud cette année, il est vrai, mais cela ne concernait que la France et le reste de l’Europe occidentale. Et encore, plus on se rapprochait du nord, plus elle diminuait. Si l’été était caniculaire et qu’il pouvait effectivement accroître le risque de mortalité chez les personnes fragiles, cette canicule ne s’étendait pas sur toute la surface de la planète. En outre, cette vague de mortalité touchait des personnes de manière indifférée, que cela soit par leur âge, ou leur santé. Mais ces morts, elles s’étendaient partout. Frappant sans discontinuer, personne ne semblait réellement s’en soucier.

Des politiques, qui ne cessaient de s’acharner les uns sur les autres, défendant leurs valeurs, sans s’ouvrir à celles de ceux qu’ils considéraient comme leurs adversaires, et restant aveugle à cet état mondial, qui pourtant pourrait s’avérer majeur. Aux journalistes, qui annonçaient ce chiffre, un sourire plastique aux lèvres, ne le considérant que pour une suite de nombre sans y attribuer le sens qu’il méritait. Nul, en vérité, n’accordait de crédit à cette information qui me semblait pourtant alarmante.

Mais comment leur reprocher lorsque l’actualité était emplie d’horreurs bien plus tangibles. Les conflits territoriaux, se transformant parfois en guerre et qui se multipliaient ainsi que les discours sur la situation environnementale, qui prenaient tout leur sens cet été, donnaient toutes les raisons légitimes pour s’en préoccuper. Malgré tout, la société nous paraissait à chacun établit, résistante, depuis longtemps assez stable pour se remettre de chaque épreuves.

Ceci-dit, cette situation restait particulière, et un frisson parcouru le haut de ma nuque. Quelque chose allait se produire, c’était certain. Cette certitude abreuvait ma conscience, plongeait au plus profond de mon être, ce n’était pas un don, c’était une déduction, basée sur les informations qui me parvenaient tout autour de moi. Pourtant, cela restait enfouit, à peine formulé dans mon esprit, se satisfaisant de la fugacité d’une impression.

J’étais parvenu à sortir du lycée, à passer l’amoncellement d’étudiants au portail à peine ouvert par lequel nous devions nous extirper si nous espérions un jour retrouver nos confortables maisons, au lieu de rester dans ces lieux froids et exigus. Le changement d’environnement lorsque je passai du lycée à la cacophonie de la rue de centre-ville, m’ôta de ma réflexion présente ces noires pensées auxquelles j’attribuai sans-doutes trop d’importance.

Je me dirigeai alors au centre commercial du coin de la rue, mes parents m’avaient chargé de récupérer un colis dans ce magasin, avec la consigne ferme de ne pas l’ouvrir. Je l’atteignis, son enseigne était familière à mes yeux comme à ceux de la société qui était victime de la publicité à outrance que cette marque, comme beaucoup d’autre, nous infligeait. La double porte automatique coulissante s’ouvrit tout en détectant ma présence. J’entrai dans le magasin, et cette odeur, mélange d’aliments frais, de neuf et de plastique mélangés parvint à mes narines, titillant mes récepteurs olfactifs. Elle n’était pas forcément désagréable, juste chargée de souvenirs. Emplit de la vie passée. Il est étrange de constater à quel point des évènements répétés peuvent nous marquer, même s’ils paraissent insignifiants. Quand bien même un centre commercial n’était pas l’endroit le plus attractif de cette ville, le rituel d’y passer chaque semaines de ma vie en avait fait une part entière de cette dernière.

Je pris la direction du comptoir spécifiquement prévu pour le retrait de commandes. Le vendeur, un jeune homme d’air maussade, une barbe noir lui mordant le moindre recoin de ses joues comme de son menton, m’invita à m’approcher plus prêt et à montrer mon justificatif de commande. Je déverrouillai mon téléphone portable à l’aide de mon empreinte digitale, et lui présentai le justificatif au préalable préparé. Il vérifia d’un air suspicieux puis partit dans l’arrière-boutique avec empressement. Aussitôt suivie d’une femme plus âgée, rousse et un peu corpulente, un air affairé pendu à ses yeux.

En l’attendant, j’entendis un bruit de verre brisé, suivit d’un son sourd et étouffé. Le caissier revint un temps après, mais sans mon colis, à la place, la terreur se lisait sur son visage, il avait le haut des pommettes rouges et respirait très fort, essoufflé. Il s’adressa alors à moi, d’une voix d’où perlait la panique :

— Il faut… Il faut…, il éprouvait des difficultés à retrouver son souffle. Venez m’aider !

Je le suivis alors, interloqué par son comportement, Je sentais mon cœur dont les battements s’accéléraient à mesure que l’on avançait. Le jeune homme s’adressa à nouveau à moi, sa voix légèrement calmée par les longues respirations qu’il tentait de prendre :

— C’est ma collègue… Je ne sais pas ce qui se passe… Elle… Elle s’est évanouie.

— Elle s’est évanouie ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Justement ! Absolument rien, je… je récupérais votre colis et… j’ai entendu un bruit Je me suis retourné… Elle était par terre… mais il y a quelque chose de bizarre !

Nous avons alors atteint l’arrière-boutique. C’était apparemment un espace de détente pour le personnel du magasin. On pouvait apercevoir, sur une table circulaire en bois clair, placée au centre de la pièce, des tasses de café depuis longtemps vide, de nombreuses chaises disposées tout autour. Juste derrière cela, en face de nous, une porte avait été laissée entrebâillée, une boîte en carton, que je devinai être mon colis, gisait en son travers, lâchée dans la précipitation. A la gauche de cette porte, un meuble était équipé d’un petit frigidaire, d’une cafetière et d’un évier. Des verres séchaient à côté de l’évier. Mais ce scintillement qu’ils avaient au soleil se retrouvait également au sol, démultiplié car l’on pouvait apercevoir nombre de fragments de verre brisé, dispersés tout autour de la femme qui s’était engouffrée dans l’arrière- boutique peu auparavant.

Elle était dans une position allongée, sur le dos, les bras de part et d’autre de son corps, la tête vers le meuble, les jambes l’une sur l’autre et repliées, les genoux orientés également vers le meuble. Ses cheveux roux bouclés, tirés en arrière, laissaient entrevoir sa joue gauche, d’une grande pâleur, mais pas le reste de son visage. D’instinct je courus vers elle et m'accroupis près de son corps allongé. Un morceau de verre était enfoncé dans son bras gauche et du sang s’étalait autour. Assez profondément fiché dans son bras, elle avait dû s’écrouler dessus de tout son poids. Pourtant le flot semblait s’être rapidement arrêté, la tache au sol n’était pas très étendue. Je m’adressai alors d’un ton cinglant à l’homme qui me regardait, un air vide, paralysé :

— Allons ! Ne restez pas planté là ! Appelez une ambulance !

— Oui…, tout d’un coup sa tête se mit à se mouvoir. Oui ! Bien sûr !

Mon réflexe fut alors de vérifier la respiration de la femme. J’approchai ma main de son nez, seul endroit où elle pouvait respirer, sa bouche étant fermée, ne laissant apparaitre que ses lèvres roses pâles et plissées. Mais je ne sentis aucun souffle sur ma main. Puis je m’aperçus que ses yeux, dirigés vers le meuble face à moi, étaient ouverts, mais révulsés, on n’apercevait pas la couleur de ses iris, mais seulement le blanc du globe oculaire, veiné de toutes parts. Cette vision était tout simplement atroce, son âme paraissait avoir été arrachée de son enveloppe charnelle. Cette femme semblait avoir été la victime d’un voleur insidieux, avide qui lui avait pris sa vie. L’évidence ne se formulait pourtant pas dans mon esprit, peut-être à cause de sa brutalité, ou de sa soudaineté. Il me fallait un dernier contrôle pour m’en assurer.

Je pris alors son pouls en comprimant de mon majeur et de mon index son poignet gauche, qui gisait prêt de mes genoux posés au sol. Mais là encore, aucun signe de vie. Derrière moi, Le jeune homme avait enfin pu décrocher un appel avec les urgences et leur donnait la localisation du centre commercial.

De nombreuses personnes avaient faites irruption dans l’arrière-boutique sans que je ne m’en rende compte. Ils formaient une véritable troupe, parfaitement silencieuse, tous ces spectateurs étaient misérablement intéressés par une scène qui visiblement réjouissait leur ennuyant quotidien de nouveauté. Les gérants et salariés du magasin les tenaient à distance, les bras écartés. Alors, je prononçai ces trois mots de manière morne et insensible, bien que je ne ressentisse que de la peur en moi :

— Elle est… morte.

La réaction de la foule ne fut pas immédiate, préférant d’abord garder le silence, trop choquée pour exprimer quoi que ce soit. Mais bientôt, des cris aigues et féminin fusèrent parmi elle, suivit de pleurs, d’exclamations de surprise, d’horreur. Je me levai, et m’écartai du corps, il me semblait que la faible parcelle de peau que j’avais touchée était déjà froide, froide de l’immobilité inextricable de la mort. Je passais alors dans la foule qui cette fois-ci s’écarta sur mon passage, leurs yeux horrifiés me fixant avec insistance et détachement à la fois. Un homme éleva la voix, grave et préoccupée :

— Mais vous ne lui avez même pas prodigué de massages cardiaques !

— Allez-y alors, lui répondis-je sombrement. Allez-y et vous comprendrez.

L’homme se détacha de la foule, et s’avança avec empressement vers le cadavre. Il tenta d’abord de caler le corps sur le dos à plat. Il plaça ses main de chaque côté des épaules, et fit basculer la femme. Les muscles, je ne m’en été pas aperçu lors de mon inspection, étaient contractés et rigidifiés, si bien que c’est la totalité du corps qui bascula. L’équilibre s’en trouvant inversé, le cadavre repris sa position, mais cette fois-ci en miroir, dévoilant ses yeux blancs laiteux et révulsés à tous. L’ensemble des spectateurs, y compris l’homme venu vérifier le corps eurent un mouvement de recul, accompagné d’un cri de surprise pour certains.

A ce moment précis, on entendit les sirènes des véhicules d’urgence des ambulances qui approchaient, leur cri lancinant gagnant en force d’une seconde à l’autre. Ce bruit, désagréable à mes oreilles, obnubila mes pensées, faisant germer au fur et à mesure une bulle de colère dans ma poitrine. Je la réprimai cependant, les conditions n’étaient absolument pas adaptées à une crise de nerfs, d’autant plus que le personnel soignant de l’ambulance avait fait irruption dans l’arrière-boutique. Ils étaient deux, habillés d’une tenue bleu marine, de bas en haut cernée de bandes argentées réfléchissantes. Il y avait une femme et un homme, et la soignante se retourna vers la foule tandis que l’homme s’approchait de la femme étendue au sol :

— Allez ! Messieurs dames, reculez-vous, laissez de l’espace. Allez !

Son ton était sec et brutal, un air excédé et épuisé faisait ressortir ses cernes, creusées tels de profonds sillons bleutés. La semaine semblait avoir été dure. Ses cheveux blonds étaient noués en queue de cheval à l’arrière de son crâne, mais ils avaient un aspect gras, et paraissaient ne pas avoir étés brossés depuis longtemps. Tout son comportement dénotait de sa fatigue, jusqu’à ses pas qui se faisaient lourds à mesure qu’elle accourait vers son partenaire pour l’aider à tenter de réanimer le corps à l’aide d’un défibrillateur. Le secouriste en avait placé les électrodes sur la poitrine gauche et sous le sein droit de la femme, son buste était dénudé pour les besoins de l’opération. Les mouvements des soignants étaient méthodiques, précis, soignés par l’habitude.

Au moment d’envoyer la première décharge, tous deux se regardèrent droits dans les yeux, longuement, sans se quitter du regard, l’homme appuya sur le bouton et le choc électrique fut délivré. Le buste de la femme se souleva, brièvement, puis retomba. Aucune réaction. Les ambulanciers réitérèrent alors la procédure, sans que la femme ne redonne signe de vie. Pendant tout ce temps, ils ne se lâchèrent pas du regard, se fixant intensément, et seuls le désespoir et la résignation pouvaient se lire dans leurs yeux. Ma première impression était donc la bonne, cette femme n’était plus qu’un cadavre, et aucune lumière, témoin de vie ne s’échapperait de son corps qui resterait immobile, immergé dans l’infinité froide et sombre de la mort.

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