Les souvenirs en suspens
Marin avait quitté la maison familiale peu après le départ de Marie-Louise. Il avait dit qu’il avait besoin d’air, de recul — mais la vérité, c’est qu’il ne supportait plus le vide qu’elle avait laissé derrière elle.
Ce soir-là, il était rentré plus tôt que d’habitude, un sac de provisions à la main, mais sans véritable appétit. Il s’était installé sur le vieux canapé, et sans y penser, avait rallumé cette chanson qu’ils écoutaient souvent ensemble, un morceau lent, presque fragile.
Il ferma les yeux. L’image de Marie-Louise s’imposa à lui : ses gestes lents, sa voix douce, la manière dont elle touchait ses cheveux quand elle était perdue dans ses pensées.
Il se demanda si elle pensait encore à lui, si elle regrettait parfois leurs silences maladroits, ou les mots qu’ils n’avaient jamais trouvés.
« Peut-être qu’elle va revenir, » pensa-t-il, le cœur serré. « Ou peut-être qu’elle ne reviendra pas. »
Il se leva brusquement, tourna en rond dans la pièce, comme s’il pouvait marcher jusqu’à elle. Mais elle était ailleurs. Hors d’atteinte.
Côme, lui, avait choisi de rester. Il s’occupait de la maison, du jardin, comme si continuer les gestes du quotidien pouvait l’aider à tenir. Mais chaque jour sans Marie-Louise rendait le silence plus profond.
Il passait de longs moments dans la bibliothèque, là où elle aimait s’asseoir, un livre à la main, les jambes repliées sous elle. Il effleurait parfois la couverture d’un roman qu’elle n’avait jamais terminé. Il se rappelait leurs conversations, souvent interrompues par le silence ou par un regard trop chargé.
« Elle voulait de l’espace, » murmura-t-il en regardant par la fenêtre. Le jardin était en fleurs, mais rien ne semblait aussi vivant qu’avant.
Il prit un carnet — pas le sien, un vieux cahier de croquis — et écrivit quelques lignes :
“Elle est partie avec une part de lumière. Je ne sais pas si je dois attendre, ou apprendre à ne plus attendre du tout.”
Il s’arrêta. Ratura. Puis regarda le ciel. Trois semaines. C’était long. Et pourtant, il avait l’étrange sensation qu’elle était toujours là, quelque part, en train de se transformer, comme eux tous.
Deux hommes. Deux silences.
Et au cœur de chacun, un espace laissé vide par Marie-Louise.
Un vide qu’ils n’osaient ni combler, ni ignorer.
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