Le retour
Le ciel s’était teinté d’un gris tendre ce matin-là, comme si l’aube elle-même hésitait entre lumière et brume. Marie-Louise se tenait sur le seuil de la cabane, son sac en bandoulière, le cœur silencieux. Pas calme. Juste silencieux.
Elle fit un dernier tour à l’intérieur. Elle passa les doigts sur les montants de la porte, sur la table en bois qu’elle avait utilisée pour écrire, sur la fenêtre par laquelle elle observait les ciels changeants. Chaque objet semblait avoir enregistré un fragment d’elle — ses doutes, ses insomnies, ses minuscules victoires.
Rien n’était vraiment résolu en elle, et pourtant quelque chose avait changé. Elle ne fuyait plus.
Elle partit à pied, sans se retourner.
Le chemin de terre qu’elle connaissait par cœur lui parut étrangement nouveau. Les arbres lui semblaient plus hauts, les feuilles plus denses, comme si le monde avait grandi pendant son absence. En vérité, c’était elle qui avait rétréci, puis s’était lentement redéployée.
Quand elle arriva à l’arrêt de bus, un vieil homme lui fit un signe de tête. Elle le reconnut à peine. Il la regarda comme on regarde un fantôme familier — avec surprise et un soupçon de respect.
Le bus mit du temps à arriver. Elle s’assit sur le banc, sortit son carnet. Une page blanche. Elle écrivit :
“Revenir, ce n’est pas revenir en arrière. C’est entrer autrement dans ce qui reste.”
Quand elle descendit au village, tout lui sembla un peu flou. Les odeurs, les couleurs, les visages… tout avait une texture d’étrangeté douce, comme après un long rêve.
Elle marcha lentement dans les rues. Certaines vitrines n’avaient pas changé. D’autres avaient disparu. Un fleuriste à la place de l’ancien café. Une pancarte "à vendre" sur la maison verte au coin.
Elle n’alla pas tout de suite vers la maison de Côme. Elle se rendit d’abord au bord du lac.
Le vent soufflait à peine, mais elle frissonna. Le silence ici était différent de celui de la cabane : plus chargé, plus épais. Comme un livre qu’on a refermé trop vite.
Elle s’assit sur le vieux banc de pierre, celui où tous trois avaient ri autrefois. Elle pensa à Marin. À ses silences pleins de feu. À ses regards qui cherchaient toujours plus loin qu’elle ne voulait aller.
Elle pensa à Côme, à sa patience inquiète, à ses gestes retenus, à la façon dont il attendait sans exiger.
Elle ne savait pas encore ce qu’elle voulait. Mais elle savait ce qu’elle ne voulait plus : vivre dans l’ombre des attentes des autres, ni dans le flou de ses propres hésitations.
Ce soir-là, dans le petit studio qu’on lui avait prêté, elle alluma pour la première fois son téléphone. Elle vit les noms apparaître — Côme, Marin — et son cœur se serra, sans douleur, mais avec cette tension douce qui précède les grandes décisions.
Elle inspira profondément.
Puis, lentement, elle rédigea le message.
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