Prologue

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 Le ciel s'affaissait sur le paysage, comme toujours, il asphyxiait l'horizon sous son manteau morne. Au pied d'une colline presque avalée par la grisaille, une bâtisse à moitié en ruine. Ses murs de pierre grossièrement taillés se fondaient dans la brume. Non loin, une agitation frénétique trahissait un affrontement. Des silhouettes fusaient, une cavalcade désordonnée et des bruits de fracas résonnaient à travers le brouillard. Un écho sinistre dans l'air vicié. Et comme si la brume ne suffisait pas à les étouffer, une autre marée s'abattait sur ces hommes. Bien qu'armés et organisés, l'ennemi les submergeait. Une vague après l'autre. Des cris saccadés, des râles et des souffles courts ponctuaient la macabre mélodie.

 « Décade ! Serrez les rangs ! » l'ordre fut craché du haut d'une barricade bancale, sur le flanc droit de l'édifice.

 Tel un seul être, neuf guerriers réagirent aussitôt. Leurs mouvements étaient coordonnés. D'une précision mécanique. Pourtant, avant même que les mots s'éteignent, la tête de celui qui les avait prononcés roulait déjà au sol, se mêlant aux cadavres et à la boue. Son corps, sans vie, dégringolait le long de la barricade comme une poupée désarticulée, sous les regards médusés de ses soldats. Mais ils ne restèrent pas figés longtemps. Avec un hurlement qui tenait autant de la rage que du désespoir, ils se jetèrent sur l'ennemi. Leur charge, mal dirigée, promettait l'échec.

 Ceux qui défendaient le flanc gauche observaient la scène d'un héroïsme grotesque. Ils voyaient leurs frères d'armes courir droit vers une mort certaine. La mort, pensèrent-ils, rien de nouveau. La mort, encore et toujours elle, cette ombre dont on ne pouvait se défaire.

 « Décade ! Si notre position cède, tout s'effondre ! » rugit celui qui menait l'unité de gauche, sa voix perçant à travers le chaos. « Tenez bon, ce n'est pas fini ! Écoutez votre Arban et vous survivrez ! »

 Une prière dispersée dans le vent. Un verbiage supposé inspirer le courage, mais dans leurs regards, une autre réalité perçait déjà. L'inévitabilité de l'échec, la certitude que cette fois encore, la mort ne serait pas volée. Ils firent ce qu'ils purent pour ignorer cette idée, se raccrochant à une bravoure fragile, à une détermination dérisoire. Pourtant, au milieu de cet acte désespéré, l'inévitable survint : leur Arban vacilla. Un instant de silence. Puis le sang jaillit. Un flot rouge et dense qui s'échappait d'un trou béant en pleine poitrine. Ses yeux, vidés de toute lumière, se fermèrent une dernière fois alors que son corps s'effondrait. Une pluie de sang. Plus de chef. Plus d'espoir. Seulement la mort. Elle à nouveau. Et l'espoir ? Une illusion, vite balayée par la réalité brutale. Une douche glacée qui vint laver leurs maigres espérances. La révélation les frappa.

 La règle était simple et nul ne l'ignorait : perdez votre Arban, et suivez-le dans l'au-delà. Ils allaient tous périr et leur foi, aussi ténue soit-elle, s'était envolée. Comme feu le flanc droit avant eux, ils étaient désormais condamnés. Leur mission, leur vie, tout cela n'avait plus aucun sens. Du sens, y en avait-il seulement déjà eu ?

 Et tandis que la bataille se poursuivait, une seule pensée résonnait dans leur esprit : pourquoi s'étonner ? C'était au fond si prévisible. N'était-ce pas un jour pareil aux autres dans ce monde où la Faucheuse régnait en maîtresse incontestée ? À l’instar de tant d’hommes avant eux et, sans aucun doute, bien d’autres après, ils suivraient seulement l’ombre fidèle.

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