Chapitre 0 : La main divine d’Arav

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« Par la glorieuse providence et la main divine d'Arav, vous, ainsi que vingt-cinq pour cent de votre village, avez été choisis pour rejoindre la Cohorte, au sein des rangs du Secteur Mercur.

C'est un honneur, un appel sacré.

Dès cet instant, votre existence s'élève. Vous servez le régent de toutes les terres d'Asion, l'Empereur Thàrss, protecteur de notre peuple et fléau de nos ennemis. Soyez reconnaissants et louez votre destin, car votre vie prend un nouveau sens : marcher aux côtés des milliers d'autres comme vous, combattre avec vaillance, mourir avec bravoure si Arav l'ordonne.

Pour la grandeur de notre empire.

Par la bataille, vous vivrez à jamais.

Par la mort, vous atteindrez l'éternité. »

 C’est par les cheveux que le soldat m’avait traîné hors de ma cachette. Mes mèches sombres et hirsutes étaient une prise facile pour ses doigts, et la douleur me brûlait le crâne. Il m’avait regardé avec dégoût et craché à la gueule quand il m’avait trouvé :

 « Toi ça fait longtemps que tu te caches, sale enfoiré. »

 Évidemment, il faisait allusion à mon âge : vingt-huit ans. Je représentais une honte, une insulte pour ce guerrier. J’avais échappé à la Cohorte jusque-là.

 Pas sans mal.

 Pas aujourd’hui.

 Mon corps maigre et sec, marqué par des années de faim, de fuite et de débrouillardise, ne pesait rien pour cet homme corpulent.

 Tôt ou tard, la Cohorte vous mettait la main dessus, et cette main, elle vous passait la corde au cou.

 Le soldat m’avait jeté là, sur la place où étaient réunis bourreaux et victimes, à genoux dans la neige. On m’avait alors servi cette soupe immonde. Ce discours… Une tromperie à laquelle personne ne pouvait se soustraire, un flot de mensonges aussi épais que le sang que je crachais. Je le sentais couler, brûlant sur ma peau gercée par l’hiver. Il gouttait sur mes mains osseuses enfoncées dans la poudreuse glacée, et dessinait une constellation de petites taches écarlates sur fond blanc.

 Je restais là, forcé d’écouter un homme se proclamer prophète d’un dieu qui n’avait jamais rien fait pour moi, émissaire d’un Empereur qui prélevait sa dîme de sang.

 J’ai senti la corde se resserrer.

 L’honneur.

 Le mot avait un goût amer, comme de la rouille sur ma langue. Être enrôlé de force pour mourir loin de chez moi, un honneur ?

 Je relevai la tête, mon regard glissant vers les villageois autour de moi.

 Ce « chez-moi » ne m’avait-il pas apporté autre chose que la misère ?

 Ces gens n’avaient jamais levé le petit doigt pour moi. Leurs expressions me dégoûtaient, ils avaient l’air satisfaits de me voir là.

 À mes côtés, les autres conscrits, les « vingt-cinq pour cent ». Je sentais leur peur, bien qu’elle soit cachée sous leur étrange résignation. Je sentis mes lèvres se retrousser. Des visages déformés par la faim, des yeux hagards, des bouches tordues qui attendaient ce moment comme un enfant attend un nouveau jouet.

 Ils me donnaient tous la nausée.

 Et je les maudissais de tout mon être alors qu’une main puissante m’attrapait par le col et me redressait violemment.

 « En marche, les bouseux ! »

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