Chapitre 5 : Les places vacantes (Partie 2)

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 Je les lorgnais sans grand intérêt. Le premier, un brun aux yeux noirs et à la silhouette musculeuse et trapue, semblait déterminé, presque agressif dans sa manière de marcher. Comme s’il était prêt à foncer tête baissée dans n’importe quelle situation. Encore un qui se pense invincible. Le genre de type qui crèvera d’audace avant la fin du mois. Derrière lui, se comportant comme son garde du corps, une jeune femme, grande et solide, le suivait de près, le regard méfiant et en alerte. Enfin, le dernier : il avait l’air… ailleurs. Ses traits exprimaient une sorte de naïveté presque absurde, comme s’il ne comprenait pas tout à fait la gravité de ce qui l’entourait.

 — Lui, c’est un chanceux. Complètement à l’ouest, mais toujours en vie ! s’écria celui qui les avait amenés alors qu’il rebroussait chemin, nous laissant dans un nuage de poussière.

 Valdek haussa les épaules, désintéressé. Comme moi. Ils allaient devenir nos camarades, certes, mais ici-bas, être dix ou sept ne changeait pas grand-chose.

 — Je reviens, faites connaissance.

 Valdek nous laissa en compagnie des trois nouveaux. Le silence retomba comme une chape de plomb sur le groupe. Je jetai un coup d’œil rapide vers eux. Mes lèvres se retroussèrent en une grimace presque imperceptible. Des cadavres qui marchaient, voilà tout ce que je voyais.

 — Alors c’est vous les « prometteurs » ? lança le brun, son regard de feu nous balayant comme s’il cherchait à défier la terre entière. Moins impressionnant que ce que j’imaginais.

 Je pouffai intérieurement. Prometteurs, nous ? Dans quel monde ?

 — Je sais pas qui t’as dit ça, mais ça me plaît qu’on reconnaisse mon talent, s’enorgueillit Isadora.

 — On dit que c’est votre groupe qui a eu le moins de pertes pendant l’Inkilada. Moi, je dis que vous êtes une belle bande de veinards.

 Il baissa les yeux, songeur.

 — Nous… Eh bien, c’était pas beau à voir !

 — Veinards ou pas, ça prouve juste qu’on a été meilleurs que vous.

 Le jeune homme releva la tête, son visage carré arborant une expression pleine d’assurance, puis il frotta le dos de sa main contre son petit menton.

 — Peut-être, on verra bien. On dit aussi que vous avez attrapé un véritable monstre. Alors, il est où ? demanda le jeune fougueux en inspectant les animaux de l’enclos.

 Il s’arrêta net, et sa mâchoire anguleuse tomba. Son regard s’était figé sur l’Aöroch de Micky.

 — Ouah, alors c’est vrai… Celui qui l’a capturé est AS-SU-RE-MÉNT talentueux. C’est toi ? demanda-t-il à Isadora.

 — Lui, euh non… c’est le crâne rasé derrière, répondit-elle en désignant Micky.

 L’inflexion dans sa voix laissait deviner l’amertume qu’elle tentait durement d’avaler.

 — Oh, tu paies pas de mine, mais chapeau. Moi, c’est Théo, s’exclama-t-il en s’approchant de Micky pour le saluer.

 Celui-ci ignora la main tendue et se contenta d’un demi-sourire tout en le couvrant d’un œil vide.

 — Elle, c’est Mira, cria-t-il en désignant celle qui le suivait comme son ombre.

 — Tu parles trop fort, ferme-là, tu nous les brises… finis-je par lâcher machinalement, agacé par ce trop-plein d’énergie matinale.

 Ladite Mira me lança un regard glacial, son long nez busqué pointé sur moi. Je reculai d’un pas. Déjà imposante, elle paraissait soudain plus grande. Je déglutis. Elle n’avait pas encore dit un mot, mais elle n’en avait pas besoin. Son attitude parlait pour elle. On aurait dit une lame prête à frapper quand on s’y attendait le moins. Ils faisaient une drôle de paire, ces deux-là.

 Élise s’interposa pour détendre l’atmosphère. Un sourire aux lèvres, elle s’approcha de Mira.

 — Faites pas attention à lui, c’est un grincheux, mais il n’est pas méchant. Je suis Élise, bienvenue. Comment s’appelle votre ami ?

 Grincheux, moi ? Je lui en foutrai du grincheux.

 — Le bienheureux ? C’est Falgrim. Aucune foutue idée de ce qu’il fait ici ! Et lui non plus, apparemment ! lança Théo de vive voix.

 Falgrim, ce type large au corps flasque, lui, continuait de fixer l’un des Aörochs, l’air béat. Je me demandais comment il était encore en vie. Il semblait invulnérable dans sa naïveté. Un sourire idiot se dessinait sur sa large mâchoire, comme s’il voyait quelque chose que nous ne pouvions percevoir. Ce qui était certain, c’est qu’il ne voyait pas ce que je voyais.

 — Impressionnant, pas vrai ? fit-il d’un ton émerveillé.

Il tapota son nez rond et proéminent du bout d’un doigt.

 — Ces créatures sont magnifiques. Je me demande ce qu’elles pensent, songea-t-il à haute voix.

 — Elles pensent à te piétiner, crétin, répondis-je en levant les yeux au ciel.

 Skjaldor laissa échapper un rire qui nous surprit tous tant il sortit aigu, aux antipodes de son apparence. Kyel scrutait la scène avec un intérêt feint. Elle semblait ailleurs, mais faisait mine d’être là. Elle observait, plongée dans des pensées dont je doutais qu’elle partage jamais la teneur.

 Aiden leva la main et tenta de s’exprimer entre deux bâillements :

 — ‘Lut.

 Je ne pus masquer mon sourire. Une salutation à rebours, ça lui ressemblait bien.

 Un brouhaha soudain interrompit le moment, et Valdek réapparut. Il tirait un Aöroch chargé d’un attirail ; des selles et un ensemble de harnais.

 — Allez, assez traîné les p’tits ! On passe aux choses sérieuses. Si vous ne savez pas les équiper, c’est la fin assurée.

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