Chap 1 partie 1 - La rencontre

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Dans cette chambre qui a toujours été la mienne, je fixe mon plafond comme s’il allait me révéler un lourd secret. Les vacances sont terminées, les cours reprennent dans quelques heures, et une fois de plus, le sommeil m’a fuie. Pendant ces semaines de liberté, je ne fais que dessiner, jouer de la musique, courir et voir mes amies les plus proches.

Un soupir m’échappe tandis que le soleil chasse lentement les ombres de cette petite pièce où j’ai accumulé toute ma vie. Mon regard se pose sur mon réveil : 5h53. Trop tôt. Beaucoup trop tôt. Je me redresse en soupirant, ma nuque endolorie d’être restée trop longtemps immobile, je m’étire mais la douleur persiste un peu. J’espère ne pas m’être fait mal d’une quelconque façon. Je la masse du bout des doigts avant de la faire craquer, un frisson me parcourt l’échine.

Je me dégage de l’emprise de mes draps et file à la salle de bain pour une toilette rapide. Une fois propre, j’enfile un grand t-shirt blanc sur un jean slim bleu, attrape ma veste bordeaux fétiche et descends pour un café, la seule chose capable de m’empêcher de sombrer dès les premières heures de cours. Encore un soupir. La journée n’a même pas commencé que j’en ai déjà assez.

Je sors mon portable et appelle ma meilleure amie, Emma.

— Salut toi ! s’exclame-t-elle à l’autre bout du fil, la voix encore ensommeillée.

— ’Lut. Prête pour la rentrée ? dis-je d’un ton faussement joyeux.

— J’ai juste envie de brûler ce foutu lycée.

— Et moi donc ! je m’exclame en buvant d’un trait mon café.

Une fois ma tasse terminée, je prends mon sac et sors en claquant la porte derrière moi, le téléphone toujours vissé à mon oreille.

— Ça s’est bien passé, tes vacances ? Tu as pu voir ton mec ? je lui lance en dévalant les escaliers jusqu’à la rue.

— Oui !!! C’était génial, on a passé nos journées au lit à…

— STOP ! Je ne veux pas savoir...

— Roooh, rabat-joie. Et toi, quoi de beau ?

— Pas grand-chose. Dodo quand j’y arrive, dessin, jogging et sorties de temps en temps pour voir des films. Bon, là, je pars, on se retrouve devant le lycée ?

— OK, je suis là dans dix minutes. Bises.

— Ouais, bises.

Je mets mes écouteurs en continuant à marcher. Les rues sont animées, on sent que la fin des vacances sonne, les adultes reprennent le chemin des bureaux tandis que les enfants courent pour ne pas être en retard à l’école. Je lève les yeux et aperçois au loin les grilles du lycée, toujours aussi sombres et tristes. Il ne me faut pas beaucoup de temps pour l’atteindre, c’est pratique d’habiter non loin de ce dernier. Le café de ce matin me réveille bien et chasse la fatigue de cette longue nuit passée à dessiner. Il m’en faudra sans doute un autre à midi, ou bien une sieste pour recharger mes batteries.

Je regarde le flux d’élèves entrer et reconnais certaines personnes. Marie, qui passe en courant, me lance un rapide bonjour, les bras chargés de livres et de feuilles. Vivianne, qui la suit de près, ne semble pas m’avoir vue et tente en vain de la rattraper.

Puis Louis, qui me sourit poliment, aux côtés de Sarah, sa sœur, qui me lance un regard haineux auquel je ne prête pas attention. Elle a toujours été mauvaise langue, mais on finit toujours par s’y habituer. Enfin, j’aperçois Emma qui court vers moi, le sourire aux lèvres et les joues rougies.

— Désolée… Après ton appel… J’ai croisé Maxime… Et tu sais… dit-elle en se tenant les côtes tout en réajustant ses longs cheveux.

— Oui, oui. Allez, viens, on va être en retard.

Nous nous dirigeons vers notre classe en discutant de nos vacances et en pensant déjà aux prochaines. Les couloirs sont bondés, et nous avons du mal à atteindre notre salle, qui se trouve à l’autre bout du bâtiment principal. Il va falloir s’y réhabituer.

Notre première heure est, à ma plus grande joie, de l’histoire. Ma matière préférée après l’art. J’aime étudier le passé, les civilisations, les religions. C’est une immense source d’inspiration pour mes propres histoires et dessins.

La salle se remplit peu à peu, les conversations vont bon train. Comme d’habitude, Emma s’assoit devant et moi derrière. Je ne supporte pas les odeurs de transpiration et les postillons de certains professeurs. Autant se mettre à l’arrière, bien à l’abri.

La journée passe comme toutes ces premières journées : planning, liste de livres et manuels à avoir, longues discussions sur notre avenir et l’importance de cette dernière année. Mais aussi les retrouvailles avec les amies, la découverte des nouveaux, ainsi que les dernières infos sur les couples qui ont survécu ou pas aux vacances.

Les deux jours qui suivent sont les mêmes : cours, avenir, début des devoirs et des préparations pour les examens de fin d’année.

Vendredi arrive vite, et je m’attends à avoir une journée comme les précédentes, mais je ne suis pas au bout de mes surprises.

Une fois la salle au complet, notre professeur reste près de la porte, la main sur la poignée. Je jette un regard à Emma, assise à côté de Marie, deux tables devant moi. Elle non plus ne comprend pas pourquoi il n’a pas encore commencé le cours.

— Silence, s’il vous plaît, demande-t-il. Je tiens à prendre quelques minutes avant de commencer le cours, car aujourd’hui, nous accueillons non pas un, mais deux nouveaux élèves dans notre classe.

Il ouvre la porte d’un geste théâtral, un sourire aux lèvres, laissant entrer deux garçons. Je suis aussitôt amusée par le contraste entre eux.

Le premier, plutôt grand et mince, a des cheveux très clairs, presque blancs, et de magnifiques yeux verts. Il porte une chemise blanche et un jean délavé et troué. Chic, élégant.

Le second, un peu plus petit mais plus costaud, affiche une carrure impressionnante, tout en muscles, avec des bras aussi larges que mes cuisses. Il porte une large veste en cuir usée par le temps et de grosses bottes à clous. Ses cheveux, d’un rouge sanglant, contrastent violemment avec ses yeux gris acier. Son regard me fait frissonner.

— Bien, présentez-vous, je vous prie.

— Je me nomme Antoine, j’ai, comme vous, 18 ans et je suis passionné par la musique, déclare le blond d’une manière distinguée.

— Moi, c’est Alex, et j’aime qu’on me foute la paix, marmonne celui aux cheveux rouges.

Pas très sociable.

— Mmmh… très bien, dit le professeur, l’air gêné. Il reste deux places, l’une à côté de Mademoiselle Sarah.

Elle fait un petit signe de la main à Alex en posant pratiquement sa poitrine sur la table, et l’autre à côté de Mademoiselle Sophie. J’incline la tête en signe de salut et vois Antoine murmurer quelque chose à l’oreille d’Alex, qui sourit en s’approchant de Sarah. Je remarque alors Antoine se diriger vers moi avant de s’asseoir à mes côtés.

— Enchanté, me lance-t-il en me tendant la main.

— De même, répondis-je en serrant la sienne, douce et chaude, mais aussi puissante.

C’est étrange d’avoir des nouveaux en fin de cycle, songeai-je. Notre petit lycée de ville n’a rien de particulier. Nous ne sommes pas les mieux classés en termes d’intelligence, nos professeurs sont banals et aucun cursus spécial n’est au programme.

La matinée passe vite, mais la fatigue se fait de plus en plus pesante. Ma nuque se raidit et des fourmillements envahissent mes doigts, un léger frisson me fait grincer également des dents.

Quand midi sonne enfin, je cours me réfugier près du jardin et m’assois, comme à mon habitude, sous le grand saule pleureur qui m’offre ombre et protection. J’ai trois heures devant moi avant la reprise des cours, largement de quoi récupérer un peu.
Les écouteurs dans les oreilles, mon sandwich englouti, je ferme les yeux et me laisse aller contre l’arbre. Peu à peu, l’ombre cède sa place au soleil qui vient caresser mon visage et m’envelopper d’une douce chaleur. Je savoure ce moment de tranquillité, bercée par la musique, quand une ombre surgit brusquement, me faisant sursauter.
C’est Alex, debout devant moi, immobile comme une statue de cire. Il me fixe intensément et esquisse un sourire carnassier, comme s’il allait bondir sur moi et m’arracher la jugulaire.

— Tu veux quelque chose ? lui lance d’un ton neutre.

Il ne dit rien, se contente de me fixer encore quelques secondes, puis fait volte-face et s’éloigne sans un mot.

Bizarre.

Je regarde mon téléphone : j’ai dormi plus d’une heure. Je me lève, m’étire et me dirige de nouveau vers les salles de classe. Le reste de la journée se déroule comme toutes celles de l’année précédente et de celle d’avant : ennuyeuse et fatigante.
Franchement, je pourrais dormir en cours, ils ne m’apportent rien que je ne puisse apprendre seule. Mais avoir de bonnes appréciations gonfle mon dossier, et mon père a insisté : si je veux intégrer une école d’art, il faut bien que j’obtienne mon diplôme. Mon esprit vagabonde néanmoins, et, comme à mon habitude, j’esquisse de petits gribouillages sur mes feuilles.

Quand enfin la cloche sonne notre libération, je pousse un soupir soulagé. Les cours n’ont jamais été mon truc mais il faut faire avec.

Je salue Antoine d’un simple geste de la main. Il me souhaite une bonne soirée, toujours avec cette élégance naturelle, puis je rejoins Emma à la sortie de la classe.

— Tu fais quoi maintenant ? me demande-t-elle avant même que je n’arrive à sa hauteur, les yeux rivés sur son portable.

— Mmmh… Désolée, je vais voir ma mère.

— Oh, ne t’excuse pas, je comprends, dit-elle en relevant la tête vers moi avec un sourire doux. Passe-lui le bonjour.

— Comme toujours. À demain !

— Salut, à demain.

En me retournant, je croise le regard d’Alex posé sur moi. Il me fixe un instant avant de détourner les yeux, comme plus tôt dans l’après-midi, puis reprend sa conversation avec Antoine. Ils semblent plongés dans une discussion animée, tout en se fondant dans la foule.

Je n’y prête pas attention et me dirige vers la salle de musique pour récupérer ma guitare. Maman voudra sans doute un peu de musique.

En sortant du lycée, je fais un détour par le fleuriste à l’angle et achète du mimosa, puis prends rapidement la route. Le trajet est court, et en moins de quinze minutes, j’arrive devant le portail rouillé du cimetière.

Les cimetières m’ont toujours fait froid dans le dos, plus encore quand le ciel est gris et délavé, triste comme ce soir. Après avoir slalomé entre les sépultures, je m’assois en face de la tombe de ma mère. D’un revers de main, je dépoussière la pierre et arrache quelques brins d’herbe incrustés près d’elle. Puis, avec précaution, je dépose les fleurs tout autour avant de lui parler, comme à mon habitude.

— Bonjour, maman. Tu vas bien ? Moi, ce n’est pas trop la forme… Je dors toujours mal depuis que tu n’es plus là...

Je marque une pause, réajustant les fleurs distraitement avant de reprendre, plus légère :

— Aujourd’hui, c’est la rentrée. J’ai revu tout le monde et j’ai failli m’endormir en cours d’anglais.

Je laisse échapper un petit rire.

— La prof m’a regardée avec de gros yeux, c’était vraiment drôle ! Oh, et il y a eu deux nouveaux… Antoine et Alex. Ils sont un peu bizarres, mais bon, il faut de tout pour faire un monde.

Je souris doucement, comme si elle pouvait me voir.

— Je me suis drôlement améliorée en dessin aussi. Je t’amènerai un de mes croquis pour te montrer !

Un soupir m’échappe.

— J’ai tellement hâte de quitter le lycée et d’entrer à l’université. Ce sera tellement plus intéressant...

Je sers doucement le manche de ma guitare.

— Bon, et si je te chantais une chanson pour changer un peu du silence qui règne ici ? Laquelle veux-tu ?
— …
— Comme d’habitude, je murmure en souriant doucement.

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