Chap 1 partie 2 - La rencontre

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Je me mets alors doucement à jouer. Mes doigts volent sur les cordes et je me mets à fredonner, en fixant le ciel qui se couvre peu à peu. Mon chant, la douce berceuse qu’elle me chantait pour m’endormir quand j’étais petite, emplit le cimetière et semble illuminer les lieux. Ma chanson est douce et se faufile entre les pierres, se répercute par-ci par-là, créant un écho mélodieux. Pinçant les cordes en rythme, je tangue légèrement avec la chanson.

Une douleur monte progressivement dans mon ventre, noue ma gorge et casse ma voix. Je ferme les yeux, crispée. Ma voix baisse peu à peu jusqu’à s’éteindre dans un presque sanglot. Fixant son nom gravé dans la pierre, je me décide enfin à me lever, essuie machinalement la terre sur mon jean avant d’empoigner ma guitare pour la ranger dans son étui.

— Je t’aime… susurrai-je en m’éloignant.

En sortant du cimetière, le ciel s’est encore assombri. Le vent souffle plus fort et la pluie commence à tomber, créant une légère brume qui envahit les allées, rendant l’endroit encore plus sinistre qu’auparavant.

Regarde… Même le ciel s’autorise à te pleurer, maman…

Je cours rapidement vers chez moi, la pluie trempe mes vêtements, traverse ma peau et s’infiltre jusque dans mes os glacés. Je sers ma guitare contre ma poitrine pour la protéger de l’humidité. Je glisse presque en arrivant devant chez moi, mais je réussis à me stabiliser de justesse. Sous le porche, j’essuie mon visage trempé et ouvre la porte.

Un bruit dans l’escalier me fait lever les yeux, juste à temps pour sentir une serviette atterrir sur ma tête. Mon père, le sourire aux lèvres, se moque gentiment de moi et de ma mine trempée. Je ne lui dis pas que je suis allée voir maman. Il aime m’y accompagner, mais je préfère y aller seule.

Je pose ma guitare délicatement à côté de moi, vérifie qu'elle n’est pas mouillée, puis me traîne vers la salle de bain en retirant mes chaussures trempées. Douche, chaleur… Ces mots tournent en boucle dans ma tête comme une comptine entêtante.

Me débarrassant de mes vêtements collés à ma peau, je me glisse sous l’eau chaude et laisse la chaleur m’envelopper lentement, apaisant mon corps engourdi par le froid. L’eau coule abondamment sur mon visage, glisse le long de mes épaules, ramène un peu de réconfort à ma carcasse.

Mon esprit vagabonde vers cette journée, vers ces deux garçons. Je ne sais pas pourquoi, mais ils m’intriguent. Des nouveaux élèves en terminale, c’est assez rare. Et plus étrange encore, ils semblent se connaître depuis longtemps.

Je fini par sortir et me sèche rapidement avant d’enfiler mon pyjama. Je descends au salon en secouant mes cheveux encore humides.

Une bonne odeur de pizza emplit mes narines et mon ventre crie famine. Pizza party et télé ce soir !

— J’ai pris une pizza fromage avec supplément olive, ça te va ? me demande mon père une fois que je me suis assise à côté de lui sur le canapé.

— Tant que ça se mange, tout me va !

Il rit doucement, amusé, avant de me tendre une assiette avec une pizza si couverte d'olives que je ne vois plus le fromage. J’engouffre un morceau, me brûlant délicieusement la bouche. La chaleur me fait du bien et apaise mon estomac. J’en prends une autre en tournant la tête vers mon père.

La télé nous sert de bruit de fond tandis que nous parlons de tout et de rien : la rentrée, mes copines, les cours, les professeurs et, évidemment, les deux nouveaux.

— Dis-moi, comment ils sont ? me supplie mon père avec un regard de chien battu.

Toujours avide de potins et de sujets de conversation, il faut dire qu’il doit s’ennuyer dans sa société, coincé derrière un ordinateur toute la journée à entrer des chiffres de compta.

— Mmmh… Ils ont l’air sympas, mais on dirait qu’ils se connaissent, c’est bizarre.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Eh bien, pendant le premier cours, Antoine s’est penché vers Alex et lui a murmuré quelque chose, puis ils se sont installés. Mais on dirait vraiment qu’ils se connaissent. Pourquoi sont-ils venus dans ce lycée ? Pourquoi tous les deux en même temps ? Depuis combien de temps se connaissent-ils ? murmuré-je plus pour moi-même que pour lui.

— Et ils ressemblent à quoi ?

— Le premier, Antoine, a l’air plus sympa que l’autre. Il est plutôt grand et blond… gloussai-je en me rappelant sa manière de parler. Il s’exprime vraiment bien, comme s’il faisait partie de l’aristocratie, tu vois le genre ?

Mon père acquiesce en riant à son tour.

— Et l’autre ?

— Alex. Il a les cheveux rouges et une veste en cuir. Il semble plus… mystérieux, dis-je d’un ton détaché.

— Mmmh…

— Quoi "Mmmh" ?

— Mmmh rien, j’ai le droit de faire “Mmmh” quand même !

— Roooh, tu sais très bien ce que je veux dire.

— Non, je ne sais pas. Et vu l’heure qu’il est, le "Mmmh" restera en suspens. Va au lit, jeune fille !

— Raaah, je déteste quand tu fais ça !!!

— Je sais. Bonne nuit !

— Ouais, bonne nuit.

Je me traîne vers ma chambre, un sourire aux lèvres. Je ferme la porte derrière moi, enlève mes chaussettes et m’allonge sur mon lit en respirant un grand coup, les yeux clos, cherchant à tâtons le sommeil. Il n’est que 22h31, et comme à son habitude, il ne vient pas. Je me tourne et me retourne, faisant grincer le sommier sous mon poids. Comme on me l’a appris, je respire profondément, tentant de faire le vide dans mon esprit, calmant les battements de mon cœur, essayant d’accueillir la chaleur du sommeil. Mais rien n’y fait.

Je me tourne vers mon réveil. Les chiffres dansent devant mes yeux avant de se stabiliser. 0h48.
Putain, ça fait plus de deux heures que je me tourne dans ce foutu lit...

Je me redresse et ouvre la fenêtre. Le vent me chatouille doucement le nez et fait voler mes courts cheveux bruns. J’observe un instant l’obscurité de la nuit, seulement illuminée par la lune, à peine plus grande qu’un sourire de chat. Il fait particulièrement bon, et je me dis que je pourrais aller courir un peu, histoire de fatiguer mon corps et d’inviter le sommeil à venir plus vite.

J’attrape mes chaussures dans mon placard après avoir troqué mon pyjama contre ma tenue de sport. Je prends aussi mes écouteurs avant de descendre au rez-de-chaussée sur la pointe des pieds. Une latte du plancher grince tandis que j’enfile mes baskets. Je me fige, retiens mon souffle et tends l’oreille...
Rien. Mon père dort toujours profondément.

J’ouvre délicatement la porte et la referme tout aussi prudemment avant d’enfoncer mes écouteurs dans mes oreilles. Après quelques étirements, je commence à courir doucement. J’avance sur les routes désertes, appréciant la solitude que me procure l’heure tardive. Le vent souffle dans mon dos, comme pour me pousser encore plus en avant. Je prends mon chemin habituel quand, soudain, quelque chose attire mon attention.

Un camion de déménagement.

Je ralentis, puis m’arrête totalement pour l’observer, comme s’il s’agissait d’un spectacle extraordinaire. Après tout, il ne se passe pas grand-chose dans ce quartier. Je retire mes écouteurs et savoure le silence de la nuit tout en reprenant mon souffle.

La maison devant laquelle est garé le camion est plus petite que les autres, avec une façade fatiguée par le temps. Son jardin, dépourvu de fleurs, me paraît triste. Aucune lumière ne filtre à l’intérieur. Vu l’heure, c’est logique. Je m’approche un peu, intriguée par cet emménagement. Je ne savais même pas que cette maison était à vendre.

Je m’arrête devant le portail, dont la peinture blanche s’écaille, laissant apparaître le bois pourri en dessous. Je me dis que je dirai à mon père de venir les saluer. Après tout, c’est toujours compliqué d’arriver dans une nouvelle maison, un nouveau quartier.

Mais alors que je m’apprête à repartir, une voix brise le silence.
— Hey !

Le son tranche l’air comme une lame et me fait sursauter plus que de raison. Il provient du jardin de la maison en question. Je scrute un instant l’obscurité, ne distinguant qu’une ombre assise au sol, qui se redresse rapidement.
— Tu vas arrêter de mater, ouais ?!

Surprise, je reste immobile un instant, m’assurant que c’est bien à moi qu’on parle.
— Mais merde, il bouge pas ce con !

La voix se fait plus forte, plus menaçante. Mon instinct prend le dessus, et je me mets à courir.

Plus vite.

Mes pieds touchent à peine le sol. J’ai l’impression de voler. Mais quelque chose cloche.

Un bruit.

Des pas rapides derrière moi.

Oh merde, il me course !
— Eh, reviens là, espèce de pervers !

Les mots s’embrouillent dans ma tête. Pourquoi il hurle comme ça ? Pourquoi il me poursuit ?!

Mes jambes me supplient de m’arrêter, mais la voix grave derrière moi me pousse à continuer. Mes poumons en feu réclament de l’air que j’inhale à grandes bouffées, complètement affolée. Plus vite, plus vite… Toutes ces nuits à courir n’ont pas été vaines. Je sens mes muscles s’étirer, mon souffle se stabiliser. Mon corps devient plus léger.

Mais l’ombre derrière moi ne faiblit pas.

Alors, dans un dernier élan, je bifurque brusquement sur la droite et me stoppe net dans une toute petite ruelle, invisible à première vue. Retenant mon souffle, j’observe mon poursuivant passer à toute vitesse devant moi, sans s’arrêter, respirant bruyamment.

J’attends à peine qu’il disparaisse avant de reprendre ma course vers chez moi. Arrivée devant la maison, je m’effondre sur le trottoir, la main sur le cœur.

Putain, la vache, j’ai mal ! Fait chier, j’ai super mal même.

Je me force à me redresser et à respirer profondément. Petit à petit, la brûlure dans mes jambes et mes poumons diminue jusqu’à disparaître. Je ne perds pas une seconde de plus et remonte dans ma chambre aussi silencieusement que possible après cette course folle.

La latte grince encore, mais je ne m’arrête pas. Aucun bruit. Le silence règne de nouveau dans la maison. Je referme la porte de ma chambre et m’effondre sur mon lit. Le cœur encore battant, je ferme les yeux quelques secondes, faisant le point sur cette course-poursuite cauchemardesque. Quelqu’un — un homme rapide et plutôt costaud — m’a prise pour un pervers et a voulu me poursuivre pour… me casser la gueule ?!
Sérieusement ?!

Un sourire nerveux étire mes lèvres, suivi d’un petit rire, mi-amusé, mi-incrédule. On se serait presque crus dans un film policier, avec les courses-poursuites dans les ruelles sombres d’une ville malfamée.

Heureusement que je cours vite…

Mon sourire s’agrandit. Cette course m’a changé les idées. Mais en jetant un coup d’œil à mon réveil, je réalise que la nuit ne fait que commencer. Et malgré la fatigue physique, je n’ai toujours pas sommeil. Seuls mes muscles réclament du repos. Mon esprit, lui, bouillonne plus encore qu’avant.

Les muscles endoloris, c’est avec lassitude que je me lève et pars prendre une douche froide, en espérant que le temps s’égrène un peu plus vite.

Malheureusement pour moi, le temps reste en suspens même après ma longue douche froide. N’arrivant pas à me rendormir, je décide donc de m’installer à mon bureau, crayon en main. Il est 4h01.

Pendant près de trois heures, je dessine encore et encore, laissant ma main naviguer sur le papier. Après un rapide croquis dont je suis plutôt satisfaite, je sors une grande feuille d’un mètre sur cinquante centimètres et me mets à dessiner. Mon crayon glisse sur la surface lisse du papier, le bruit délicat me berce presque, et la texture sous mes doigts me donne des frissons.

Peu à peu, les formes prennent vie : un immense arbre projetant son ombre rassurante sur un garçon assis en dessous, la tête penchée sur un livre, les jambes étendues et l’air pensif.
Je m’arrête un instant. À quoi devrait ressembler ce garçon ? Aucun visage ne me vient en tête. Après un moment d’hésitation, je décide de ne pas lui en dessiner… du moins, pas tout de suite.

Je suis en train de finaliser l’ébauche des branches lorsque mon réveil sonne, me sortant de ma torpeur. Il est 7h05, et enfin, la nuit cède sa place à la journée.

J’observe mon dessin avec un sourire satisfait, puis me lève en m’étirant comme un chat. Mon dos craque, tout comme mes doigts. Quel bonheur de dessiner ainsi ! C’est une vraie source de joie et de paix. Il n’y a pas beaucoup de moments où je me sens vraiment bien : quand je dessine, quand je joue de la musique, quand je cours, ou quand je discute avec Emma.

En me dirigeant vers la salle de bain, ma tête tourne soudainement. Je me rattrape de justesse à ma chaise, le souffle court. Je me penche légèrement en avant, forçant mon corps à inspirer et expirer lentement, mes jambes engourdies. Ma vision se stabilise enfin, et je pousse un long soupir. Toutes ces nuits à mal dormir, ou même à ne pas fermer l’œil, commencent à me peser.

Mieux vaut que je prenne un bon petit-déjeuner et un grand, grand café !

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