Chap 5 partie 1 - Le psy du sommeil
Quand mon réveil se met à sonner, un violent mal de crâne me frappe. J'ouvre un œil et le referme aussitôt à cause de la lumière du matin qui filtre par ma fenêtre. J'ai oublié de fermer mes rideaux et de couper mon réveil hier soir. Nous sommes tous rentrés complètement ivres et, puisque ma maison était la plus proche, nous sommes tous venus y dormir. Je revois encore le visage endormi de mon père dans l’entrebâillement de sa porte. Mon petit sourire désolé le fait rire, puis il retourne se coucher avec un regard entendu.
Je me retrouve donc coincée entre Antoine et Emma de chaque côté de moi, et sur mon fauteuil, Alex ronfle comme une locomotive. Je me redresse en essayant de faire le moins de bruit possible et sans faire tomber l’un de mes deux amis du lit. Une fois debout, je m’étire en me rendant compte que j'ai encore dormi avec mes vêtements. Ça devient une habitude, comme les soirées trop arrosées et les réveils chaotiques. Pourtant, ce n’est pas pour me déplaire : ce rythme me permet de faire le point sur plusieurs choses mais aussi de me sentir mieux dans mon corps et ma tête.
Lançant un bref regard à mes amis, j'enlève mon short et mon t-shirt tout en me dirigeant vers la salle de bain. Je me débarrasse de mes sous-vêtements d’un geste et me glisse dans la douche, laissant un filet d'eau fraîche couler sur mon corps. L’eau me réveille complètement et, une fois finie, je sors, enveloppée dans une grande serviette, la tête plus claire.
Je me dirige de nouveau vers ma chambre et constate avec joie que tout le monde dort encore. Je jette un coup d’œil à Alex et prends une couverture chaude pour la poser doucement sur lui, la remontant jusque sous sa gorge. Sa poitrine se soulève doucement au rythme de sa respiration et je me mets à le regarder, laissant quelques gouttes d'eau tomber de mes cheveux sur mon parquet vernis. Il remue légèrement et je me dépêche de m'habiller, enfilant un t-shirt ample noir sur un jean bleu clair slim. Je brosse mes cheveux avec vigueur et les agite pour les faire sécher plus vite.
Je me regarde un instant dans le miroir et souris, j’ai vraiment l’air d’aller mieux, ils me font aller mieux. Il est vrai que j’étais encore sujette à la déprime et à la morosité, mais à présent il y avait des moments où j’étais vraiment heureuse, tout simplement et pleinement heureuse.
Je pousse un soupir silencieux en me tournant vers notre petite bande encore profondément endormie et ferme mes rideaux. L'obscurité enveloppe la pièce. J’entends Emma remuer, elle se glisse un peu plus sous mes couettes, Antoine pousse un petit soupir de satisfaction et se tourne de l'autre côté. Alex, lui, n’a pas bougé d’un pouce.
Je me dirige de nouveau vers lui et me penche au-dessus de lui, regardant de plus près son visage. Son souffle caresse mon nez, je souris encore, il est craquant endormi ainsi, il ressemble à un petit garçon. Je me détourne et descends dans ma cuisine, le ventre dans les talons.
Je mets la radio et, c’est en commençant à faire griller du pain et à faire chauffer de l'eau pour le café que je me mets à me trémousser et fredonner. Je fais une tartine en fixant l'horloge... 7h57.
J’embarque tout mon petit déjeuner et m’installe confortablement sur le rebord de la fenêtre dans mon salon. Assise sur ce petit renfoncement, je pose mon dos contre le mur, ma tasse à la main et ma tartine déjà engloutie, le regard perdu dans le vert du jardin, apaisée. J’ai toujours aimé cette fenêtre avec son bord qui ressemble à une petite cabane ouverte. Elle donne sur notre jardin, et je peux à tout moment profiter des plantations que mon père met tant d’énergie à entretenir. La pelouse parfaitement tondue, notre grande haie qui nous coupe de nos voisins. Cette verdure que j’aime tant et que je ne cesse de dessiner par le passé.
La maison est si calme que c'en est terrifiant. Je peux m'entendre respirer, penser, sentir mon cœur battre dans ma poitrine, j'ai presque l'impression d'entendre pousser mes cheveux. Je regarde autour de moi, la solitude me fait du bien, elle me permet de réfléchir. Je respire un bon coup et bois une gorgée qui me brûle la gorge et la bouche. Je pousse un soupir d'aise, car cette brûlure me fait du bien, elle réchauffe mon ventre.
Je pose la tasse à côté de moi et profite du lever de soleil et de la belle couleur que les quelques rayons projettent dans le salon. Je pourrais presque m’endormir si le sommeil ne me fuyait pas, et inévitablement, les mauvaises pensées me gagnent. Je ne peux m’empêcher de penser à ma mère. Elle serait venue s’asseoir avec moi, m’aurait prise dans ses bras et nous aurait enveloppées d’une épaisse couverture. Je l’imagine très bien déambuler dans cette maison qu’elle aurait aimée, cette maison qui n’a jamais rien connu d’elle.
Je repense alors à cette autre maison, celle où je suis née, et celle où elle est morte. Mon père et moi ne pouvions plus vivre dans cet endroit qui nous rappelait douloureusement son existence et sa fin.
Un bruit dans l'escalier me fait sursauter, et je tourne aussitôt la tête vers l’origine du son. Alex se tient debout en bas de mon escalier, la mine fatiguée et les cheveux en bataille. Il se frotte les yeux comme un petit enfant qui vient de se réveiller et qui cherche sa mère. Et comme dans le fauteuil tout à l’heure, je le trouve plus adorable que jamais. Il s’avance en silence, vacillant encore entre le sommeil et l’éveil, se penche vers moi et m’observe un moment, l’air complètement perdu. Puis, sans un mot, il s’installe à mes côtés, pose sa tête contre la vitre… et se remet à ronfler, comme si tout cela était parfaitement normal.
J'ouvre de grands yeux, complètement hallucinée. Il est vraiment étrange, le terme serait presque lunatique : à un moment il peut être infect, et l’instant d’après on dirait presque un petit garçon cherchant les bras de sa mère.
Il est vrai qu’Antoine était entouré d'un nuage de mystère, mais étrangement chez lui, ça ne paraissait pas anormal. Comme si dès qu’on le voyait, on comprenait que cela venait de son caractère. Alex, lui, c'était tout le contraire. C'était le mec qui aimait ouvrir sa gueule, qu'on remarquait directement quand il entrait dans une pièce, connu de tous. Mais finalement, il cachait lui aussi des choses, comme moi, comme Emma, et sans doute comme tout le monde sur cette planète.
Je me cale un peu plus contre le mur en décalant ma tasse de café sur la table à côté, tout en prenant un carnet — un des nombreux qui traînent un peu partout dans la maison — et un crayon pour me mettre à dessiner. J'esquisse dans un premier temps sa silhouette et sa position : ses larges épaules pressées contre la vitre, ses jambes repliées près de son torse plié en deux, un bras le long de la vitre et l'autre posé sur son genou, la tête de travers, à moitié posée sur son épaule et calée contre la vitre.
Ses cheveux lui tombent doucement devant les yeux, sa bouche légèrement entrouverte, la respiration qui s’en échappe forme un petit nuage de buée sur la vitre. Ses doigts tombent mollement, frôlant son jean qu'il n'a pas enlevé d’hier, ses bagues aux pouces brillent sous les premiers rayons du soleil qui commencent enfin à sortir de derrière la haie, caressant par la même occasion son visage, faisant ressortir sa pommette et sa mâchoire carrée.
Dans cette demi-obscurité, je le trouve encore plus beau, la moitié de son visage éclairée, l’autre dans l’ombre.
Un clair-obscur superbe : l’ombre de ses mains se projette sur son jean, et celle de ses jambes sur le rebord est parfaitement délimitée. Son torse est complètement sombre, seules ses mains et ses jambes forment un mélange d’ombre et de lumière.
Je jette un œil à l’horloge : 9h11. Le temps a filé : cela fait déjà près de deux heures que je suis debout.
Je regarde mon dessin et, satisfaite, le pose sur la table avant de me lever, en essayant de ne pas réveiller la Belle au bois dormant… ou peut-être ici, le Beau au bois dormant.
Je m’étire à m’en faire craquer les os et saisis une couverture que je dépose sur Alex. Il gigote un peu et ouvre un œil ; je fige mon geste en l’air, coupable de l’avoir réveillé.
Il me regarde un instant, semble se souvenir de l’endroit où il se trouve, puis étire soudain un sourire carnassier. Le rouge me monte aux joues et je me détourne, lui lançant la couverture sur la tête avant de traverser à toute allure le salon pour me poster dans la cuisine.
Je me sers une tasse en grimaçant : le café est carrément froid. Je la repose et la remets à chauffer. Jetant un coup d’œil vers le salon, je constate qu’Alex s’est levé et s’approche de moi. Je m’assois alors sur un tabouret et me plonge dans la contemplation d’un livre qui traîne sur la table.
Il s’assoit à côté de moi. Le silence emplit la pièce et je me sens horriblement gênée sans savoir vraiment pourquoi.
Il fait glisser mon carnet jusqu’à moi et mon sang ne fait qu’un tour : il l’a vu, ce croquis volé dont j’étais si fière. Il l’a vu, et il va sûrement se moquer de moi pour cacher sa propre gêne.
— Alors, fillette, on dessine les gens dans leur sommeil ?
Complètement pétrifiée, je n’ouvre pas la bouche, me contentant de baisser davantage la tête. Je le sens s’approcher de moi.
— Ben alors, réponds. Je vais pas te manger… Surtout que tu dessines quand même vachement bien.
Je relève la tête vers lui, complètement désorientée. Je ne sais plus quoi penser. Moi qui croyais qu’il allait m’enfoncer avec ses vacheries, voilà qu’il me surprend en me faisant un compliment. Il semble soudain gêné à son tour devant mon visage béat, et se recule en passant une main dans ses cheveux. J’étire un franc sourire. On se ressemble plus que je ne le pensais.
— Tu peux répéter ? J’ai pas bien compris.
Il repose ses yeux sur moi en étirant à son tour un sourire.
— Je vois pas de quoi tu parles.
Oh, le salaud, pensé-je.
— Vraiment ? Je me lève et m’approche de lui. — Tu es sûr ?
— Plus que sûr !
Il se lève à son tour et vient se poster devant moi, son buste touchant presque ma poitrine. Je lève les yeux vers lui et tends la main, saisissant une mèche de cheveux. J’esquisse un sourire espiègle et lui demande doucement :
— Ils sont noirs à la base ?
Il ouvre de grands yeux et un sourire moqueur apparaît sur ses lèvres. Il se penche un peu vers moi et murmure, encore plus doucement, comme cette autre nuit :
— Oui, mais j’aime le rouge…
— Mmmm… Moi… Je préfère le noir…
Il se redresse, peut-être pour reculer, mais ma main le cueille au vol, se posant contre sa joue. Il sursaute, surpris. Je souris en coin. Cette fois, c’est moi qui prends les devants.
Me hissant sur la pointe des pieds, je relâche lentement la mèche de cheveux entre mes doigts et viens enrouler mon bras autour de son cou. Son regard accroche le mien. J’ai envie de jouer. Il n’aura pas toujours le dernier mot.
— Mais tu sais… murmuré-je en laissant mon souffle lécher ses lèvres.
Il fait non de la tête sans me lâcher des yeux.
— J’aime bien le rouge aussi.
Il sourit et ses yeux se mettent à pétiller. Il franchit les derniers millimètres qui nous séparent et s’empare de mes lèvres.
Ses mains glissent lentement le long de mon dos, puis viennent se loger dans le creux de mes reins. Il exerce une pression légère, comme une invitation silencieuse, et je me laisse aller contre lui, nos corps s’accordant dans une étreinte feutrée.
J’entrouvre la bouche et sa langue cherche avidement la mienne. Nos souffles se mélangent et un frisson délicieux me parcourt le dos. Je glisse mes doigts sous son t-shirt et effleure son dos. Il se cambre légèrement en poussant un petit souffle rauque, fronçant les sourcils.
Il saisit mes jambes et me fait soudain asseoir sur le comptoir, forçant l’accès entre mes cuisses, descendant le long de ma mâchoire et mordillant ma clavicule tout en déposant une multitude de baisers sur mon cou. L’étreinte devient brusquement brûlante et tout mon corps se tord pour lui donner plus de moi.
Mes mains trouvent le chemin jusqu’à son ventre, où elles caressent chaque morceau de peau qui se couvre aussitôt de chair de poule. Il cherche de nouveau mes lèvres, que je lui offre avec plaisir, et notre baiser incendie mon ventre.
Je fourrage ses cheveux de ma main en poussant des soupirs, le sourire aux lèvres. J’enserre ses hanches de mes jambes en me collant plus encore contre lui pour lui signifier à quel point il me rend folle. Il grogne dans notre bouche, ce qui me fait sourire. Enfin. Enfin, nous échangeons cette étreinte et ce second baiser brûlant. Et que c’est bon d’enfin pouvoir laisser libre cours à mes sentiments et à mes envies.
Soudain, un bruit dans les escaliers nous fige. Je tourne un regard écarquillé vers les marches, et quand j’aperçois les longs cheveux d’Emma, je repousse Alex et me jette sur mes pieds une seconde avant de voir ma tornade débouler dans la cuisine.
— Salut vous deux ! nous lance-t-elle d’un ton enjoué en se jetant sur la cafetière fumante. Mon dieu, ce que j’ai besoin de café !
— Euh… et Antoine ? hasardé-je, presque haletante, en lissant nerveusement mon haut et mes cheveux.
— Il prend une douche. Je lui ai dit que ça ne posait pas de problème, j’ai bien fait ?
— Mais oui, ne t’en fais pas…
Elle se tourne vers nous en sirotant sa tasse.
— Vous êtes bizarres, tous les deux.
— Pourquoi tu dis ça ? lance Alex d’un ton cassant en réajustant son haut.
— Sais pas...
— Bon bref !!! Je prends Emma par la main pour attirer son attention. — Tu veux manger quelque chose ?
— Oh oui !!! Je meurs de faim, c’est toujours comme ça les lendemains de soirée.
Elle me sourit et je ris pour masquer les restes de notre échange, Alex et moi.
Antoine nous rejoint quelques minutes plus tard, les cheveux humides et le visage propre. Nous commençons à discuter tout en préparant nos petits-déjeuners.
Nous finissons par nous asseoir tous les quatre à la table de mon salon, discutant joyeusement en écoutant de la musique en fond.
Doucement, mes épaules se décontractent. J’ai comme l’impression qu’un poids a été retiré de mes épaules. Je respire mieux.
Mon père descend une heure plus tard, coiffé et habillé pour le travail. Il lance un bonjour général, me vole un baiser puis sort pour aller travailler.
Une fois la porte fermée, les conversations reprennent de plus belle, comme si cette situation était habituelle, comme si nous nous connaissions depuis des années.
Je lance un regard à Antoine, qui discute avec Alex. Emma, à côté de moi, les écoute et réplique par moments. Je me contente de les regarder, un sourire indélébile collé au visage.
Un pied frôle le mien. Je lève la tête de mon assiette, Alex en face de moi me lance un sourire et mon ventre s’enflamme.
C’est vraiment un crétin… mais bon. J’aime les crétins, après tout. Quelques jours se sont écoulés depuis cette soirée, depuis ce baiser, et pourtant rien n’a changé. Pire encore : Alex est plus froid avec moi que jamais. C’est insupportable, et j’ai beau faire tout mon possible pour garder le contact avec lui, il s’obstine à prendre ses distances.
Ce matin est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Les cours ont commencé depuis déjà deux heures et je n’en peux plus. J’ai mal dormi, plus mal encore qu’avant, ce que je pensais pourtant impossible.
L’heure du déjeuner a sonné et je me suis assise au self avec les filles, n’ayant pas envie de rester seule dehors. Les garçons nous rejoignent rapidement, et bien sûr, Alex s’assoit le plus loin possible de moi, sans même me jeter un regard.
— Dis-moi Sophie, me susurre Emma, il a quoi, Alex ?
— Oh merci mon Dieu ! Toi aussi t’as remarqué cette distance qu’il a mise entre nous ?
— Je crois que personne ici aurait pu louper ça. Vous vous êtes genre… disputés ?
— Mais même pas ! C’est juste que…
Il y a un moment de flottement durant lequel je ne peux m’empêcher de rougir.
— Juste quoi ? insiste Emma, piquée à vif.
— Eh ben… Tu te souviens de la soirée qu’on a faite au bar ?
Elle hoche la tête avec engouement.
— Eh ben, le lendemain, Alex et moi, on était ensemble dans la cuisine et…
— …
— …
— Et ? Sérieux Sophie, c’est horrible ce genre de suspense !
— On s’est embrassés.
Elle retient son souffle en me regardant avec de grands yeux.
— Et pas le genre de petit baiser qu’on fait comme ça… Plutôt le genre où, si t’étais pas arrivée, je l’aurais bien laissé me faire des choses sur la table de la cuisine.
Elle pousse un cri qui fait se retourner toutes les têtes vers nous. Je lui pince si violemment la cuisse qu’elle couine en s’excusant rapidement auprès des autres, qui reprennent leur conversation.
Alex me jette un regard étrange avant de détourner les yeux.
— Oh la vache, meuf, je suis tellement contente pour toi !!!
— Ouais… M’enfin depuis, il me calcule plus. Et encore, si ce n’était que ça… J’ai presque l’impression qu’il redevient infect, comme quand on se connaissait pas.
— Ah ouais… Pas cool… Écoute, je sais vraiment pas quoi te dire, à part de t’accrocher, de lui montrer que tu seras toujours là, que tu tiens à lui, etc.
— Oui mais… j’ai pas non plus envie de laisser la situation comme ça. Ça fait trop mal.
— Mmmm…
Elle passe sa main dans mon dos pour me réconforter, peine perdue.
— Écoute, ça va s’arranger, ça va…
Elle s’interrompt si soudainement que je relève la tête vers elle. Elle ne me regarde plus et elle pâlit de manière inquiétante.
Je me rends alors compte qu’un étrange silence règne autour de la table. Quand je me retourne pour voir ce qu’il se passe, je m’étrangle de surprise.
Sarah vient de s’asseoir sur les genoux d’Alex et a goulûment fondu sur sa bouche.
Emma me saisit par la manche et me tire loin de ce spectacle. Malheureusement, cette image reste à jamais coincée dans mon esprit.
Elle nous fait traverser à toute allure les couloirs, bousculant au passage un nombre incalculable d’élèves qui râlent. Quand enfin nous arrivons dans la cour et que l’air froid de ce mois de décembre gifle mon visage, je me rends compte que j’avais arrêté de respirer. Quand l’air afflue de nouveau dans mes poumons, la tête me tourne et je dois me retenir à Emma pour ne pas tomber. Elle nous fait asseoir sur un des bancs, la mine inquiète.
Je me prends la tête dans les mains en poussant un grognement.
— Merde… Merde, merde, merde !!! Mais je suis vraiment trop conne ! Comment j’ai pu croire qu’il était un tant soit peu sérieux avec moi ? Mais quelle conne j’ai été…
Un sanglot me fait trembler, mais rapidement, c’est la colère qui prend le dessus.
— Sophie, me murmure doucement Emma, laisse couler. Ça n’en vaut pas la peine. Il est vrai qu’il est nouveau et qu’on ne le connaît que depuis deux mois… mais on a bien vu quel genre de mec c’était.
— Em’, c’est pas ça le problème. Le problème, c’est que je l’aime, moi !
— Je sais.
Elle me prend dans ses bras pour calmer ma colère et ma peine. J’ai tellement honte. Tellement honte de m’être fait avoir, d’avoir cru voir des choses, d’avoir espéré.
Elle tapote mes bras, se redresse, esquisse un sourire compatissant, puis retourne à l’intérieur du bâtiment. Comme toujours, elle a compris que j’avais besoin d’être seule un moment. Je reste là à réfléchir, repassant au ralenti tous les moments passés ensemble. Ces échanges, ces confidences, toutes ces fois où je me suis sentie comprise et appréciée ne sont, au final, que des mensonges.
Je suis un autre trophée accroché à son mur, une autre fille dont il s’est joué.
Emma réapparaît devant moi avec mon sac. Je lui en suis reconnaissante, je n’ai pas l’énergie de retourner en cours.
— Emma, je pense que je vais rentrer. Je me sens mal, et je sais que c’est bête de partir pour si peu, mais… j’ai besoin de changer d’air.
Elle acquiesce, et après m’avoir de nouveau serrée dans ses bras, elle repart vers l’école.
Quant à moi, je me mets à flâner dans les rues de la ville, perdue dans mes pensées. Je ne sais pas vraiment où je vais.
Mes vieux démons ont de nouveau envahi mon cœur et mon esprit, et plus encore : je me sens triste.
J’ai l’impression de ne faire que ça : passer de la joie au chagrin en un claquement de doigts. Mes émotions sont sens dessus dessous, je ne me reconnais plus depuis quelque temps. Et, je m’en rends compte, cela dure depuis bien avant la rentrée… mais je ne saurais dire quand exactement.
Mes pas me conduisent soudain jusqu’à une grande façade ternie par le temps.
Un petit café est coincé entre deux grands bâtiments. Il est si petit et si bien caché que je manque de passer devant sans l’apercevoir.
La devanture un peu défraîchie arbore fièrement l’inscription « The Dreams Coffee », peinte dans des tons bleu-gris qui ressortent à merveille sur la façade noire.
Il n’y a rien d’autre à part un petit encart cloué à même le mur de pierre, où l’on peut lire : « Venez découvrir nos cafés et autres boissons chaudes qui, plus que le corps, réchaufferont votre cœur ! »
Un sourire inespéré naît sur mes lèvres et, sans vraiment savoir pourquoi, je pousse la porte. Une petite clochette retentit. L’entrée, un long couloir éclairé de tons rouges, sent bon les épices et le café chaud. Il mène à la salle principale, plutôt grande contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer.
Elle est décorée dans le style des vieux cafés des années 80, avec ses banquettes crème et son parquet sombre et verni.
Des lustres simples tombent du plafond et éclairent la pièce dans des tons de bleu clair, de jaune et de blanc. C’est une ambiance agréable, et je suis heureuse d’avoir trouvé un endroit comme celui-ci.
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