9 - Doucement, un autre jour…

23 minutes de lecture

Ça fait déjà plusieurs jours que j’habite chez Emma et cette conversation tourne encore dans ma tête. En cours j’essaye de rester courtoise avec lui-même si j’essaye un maximum de l’évité, lui et Sarah mais mes amies voient bien que quelque chose cloche. En parlant de Sarah, malgré la nuit passé avec Alex il garde ces distances avec elle, la rejetant violemment quand elle lui sautait dessus, j’en éprouve un profond plaisir. Par ailleurs elle ne s’approche plus de moi, sans doute par peur que je lui fasse l’autre pommette, car malgré la couche épaisse de fond de teins on aperçoit de ci de là des tache jaune et verte.

Après ma discussion avec lui Antoine est revenu parler avec moi, il m’a patiemment écouté pendant que je lui retranscrivais ma discussion avec Alex. Silencieux et bienveillant il avait décortiqué avec moi pendant tous un déjeuner à la cafétéria les sous-entendus d’Alex et m’avait rassuré sur ma décision qu’il trouvait juste. Souffrir pour quelqu’un qu’on aime pourquoi pas, mais souffrir ne veut pas dire se détruire, une fois qu’on est détruit on ne peut rien construire, seul ou avec une autre personne. Et Alex avait aussi besoin de se frotter à ces propres sentiments, à ces propres démons, vivre dans le passé ce n’est pas une vie, moi-même je commence à peine à m’en rendre compte et à sortir la tête de l’eau.

Je soupire, allonger sur le lit d’Emma à contempler son plafond, triturant ma boite de comprimer et profitant du silence de sa chambre, me contentant d'écouter le bruit calme de l'eau de la douche coulait. Son plafond, beaucoup trop blanc à mon goût me donne rapidement mal à la tête, je me redresse donc au moment où mon amie entre dans sa chambre en pyjama, elle s’assoit à côté de moi, brossant ses longs cheveux roux.

- Je ne t’ai pas demandé mais… elle se tourne vers moi le regard interrogateur. Ça va mieux avec Maxime ?

Elle pousse un long soupire puis pose sa brosse sur sa table de nuit, elle s’étend de tout son long sur son lit, pied dans le vide. Elle fixe un moment son plafond comme moi il y a quelques minutes.

- Je dirais que oui, on fait comme s’il ne c’était rien passé à Noël mais… Il ne m’a toujours pas expliqué ce qui c’était passé.

- Comment ça se fait ? je m’allonge sur le ventre à côté d’elle, callant ma tête dans le pli de mes bras.

- Je sais pas, il est bizarre.

- Bizarre genre… Il a rencontré une autre fille ou genre le boulot est compliquer ?

- Franchement je pense pas qu’il est rencontré quelqu’un d’autre. C’est différent, ça pourrait être son boulot mais dans ce cas pourquoi ne pas m’en parler ? Il me trouve trop bête pour parler de ça avec moi ?

- Mais non ! C’est peut-être… J’en sais rien, tout ce que j’aimerais c’est que ça s’améliore, je n’aime pas vous savoir comme ça.

- Moi aussi, tu sais je l’aime, de tout mon cœur, ça fait longtemps qu’on est ensemble et le fait que je m’entende bien avec toute sa famille c’est vraiment cool, mais, je suis trop jeune pour me briser sur une relation qui ne marche plus et dont l’autre ne veut pas arranger les choses.

- Je comprends. Après ça vous étiez jamais arriver, tu dois lui laisser le bénéfice du doute et lui laisser le temps, le couple c’est ça aussi.

- Je sais que les disputes font partis de la vie de couple mais si on en parle pas comment ça s’arrange ! elle prend un oreiller et le serre contre elle.

- C’est comme ça, tu le connais depuis le temps, parler de sentiments ça ne fait pas partis de lui, regarde sa famille ! elle glousse en y pensant.

- C’est sûr ! Mais y a ne pas parler de ses sentiments et caché des choses.

- Comme je te l’ai dit, il faut lui laisser le bénéfice du doute, et surtout du temps.

- Oui c’est vrai, et ben pour une meuf qui a été en couple il y a mille ans tu sais donner de bon conseil !

- Nan mais oh ! Exagère pas non plus !

Je lui lance mon oreiller à la figure alors évidemment ça se finit en bataille d’oreiller, bien clicher comme truc, mais qu’est-ce qu’on rigole ! Je préfère la voir rire que se morfondre, oui… C’est bien mieux comme ça.

Le lendemain le réveille d’Emmi me sort de mon sommeil, la présence d’elle à côté de moi m’empêche de faire des cauchemars et je ne sais pas si c’est les médicaments que je prends tous les matins ou ma psyché, mais j’ai l’impression de mieux dormir la nuit. Je me tourne sous les draps, cherchant encore le sommeil chaud et sans rêve qui hélas se dissipe aussitôt, il ne faut pas que j’en demande trop à parement. Je me redresse en me frottant les yeux et en baillant à m’en décrocher la mâchoire, je lui jette un coup d’œil et manque de m'étrangler de rire en voyant la tête qu'elle fait. Subtile mélange entre un singe et les fesses d'une vieille dame friper, c’est la belle et la bête version sommeil ! Je me lève en retenant mon rire et fait un rapide tour dans la salle de bain qui croule littéralement de produits de beautés et de maquillage en tous genre. Je m'habille ensuite d'un jean bleu clair et d'un tricot noir à col rouler. J’enfile une paire, hélas, dépareiller de chaussette, putain de machine à laver qui me bouffe mes chaussettes, et sort à pas discret de la chambre de mon amie qui se met à ronfler avec force comme pour me donner du courage. Le son va parfaitement bien avec l’image je pense aussitôt, gloussant doucement. Je descends les escaliers, entre dans la cuisine et suis surprise d'y trouver son père, un grand homme tailler comme un athlète, un costume impeccablement ajuster, les cheveux blancs et les yeux noir, une tasse à café dans une main et un journal dans l'autre. Le stéréotype même de l'homme d'affaire.

Il se tourne vers moi et me lance un sourire de pub pour dentifrice, il est beau à se damné, comme sa femme avec ces incroyable cheveux roux et sa peau couverte de tache de rousseur, la génétique ça fait vraiment des merveilles dans certaines famille. Je m'approche de lui et lui dit poliment bonjour, il me sert une tasse de café fumant que je bois tranquillement en écoutant le silence de la maison, uniquement briser par le froissement du journal. Je dois avouer que je n’aime pas beaucoup leur maison, toute en marbre et en métal polis, elle dégage cette impression froide des maisons des magazines de mode, presque impersonnelle. Quand on s’est rencontré à l’époque avec Emma elle m’avait expliqué que ces parents étaient ainsi, aimant mais froid, leur maison ne pouvait être qu’ainsi. Je suis bien contente qu’Emma ne soit pas comme ça.

Je me lève en finissant ma tasse, la pose dans l'évier puis sort de la cuisine en lançant une bonne journée au paternel d’Emma, j’enfile mon blouson et mon écharpe ainsi que mes ranger noir et sort. J'ouvre de grands yeux émerveiller et pousse un petit cri de joie devant ce spectacle qui ravive des souvenirs d'enfance. Pendant la nuit la neige est tombée et maintenant il y en a presque 10 centimètres sur le sol, la dernière fois qu’il avait neigé ici remonte à si loin que les souvenirs sont, soit heureux, mais surtout très flou. Je me penche et en prend une petite poignée qui glace aussitôt la paume de ma main, je frissonne en formant une petite boule tout en continuant mon chemin vers le parc, prenant garde à ne pas glisser sur une plaque de verglas. Ma petite boule de neige finit je la pose sur le bord d'un muret et reprend ma route. J’expire et souris en voyant de petits nuages blancs sortir de ma bouche, je continus ce jeu un moment jusqu'à ce que mes pieds glissent et que je manque de m'étaler par terre comme une gourde. Je me stabilise avec mes bras et soupir de soulagement, je franchis le portail du parc et m’assoit sur un banc à l’écart, j’en sort mon carnet et j’esquisse quelque dessin, les paysages blancs sont délicats à dessiner, tout en ombre et lumière. Il n’y a pas grand monde à cette heure-ci, quelque maitre et leur chien, des promeneurs comme moi. Un frisson me parcourt l’échine et je décide de rentré, le médecin a conseillé de ne pas prendre froid, déjà que mon corps y est beaucoup plus sensible. Mais j’avais besoin de prendre l’air, de sentir mon corps de nouveau en mouvement, et surtout de me sentir plus libre. Le fait d’être malade à vie n’est vraiment pas enviable mais je peux enfin mettre des mots sur ce que je ressentais et que je ne comprenais pas. Rien n’est encore acquis mais c’est un pas en avant qui chasse les idées noires qui ne me lâchaient plus.

Ma promenade fut rapide mais quand je passe le seuil de la porte Emma est réveiller et habiller, quant à son père il a dû aller au travail car il a disparu de la cuisine.

- Ah tu es rentré, me lance Emma en enfilant sa veste. Les filles nous attentent chez Diana's, tu t’en souviens ?

Je m’immobilise dans l’entrer, coupable.

- Rooh sérieux ! Je sais qu’avec ce que tu vie tu penses pas à tout mais les copines c’est important !

- Oui, oui tu as raison désolée ! je remonte vite la fermeture éclair et mon blouson le sourire aux lèvres. De toute manière j’avais rien de prévue donc t’inquiète pas !

Elle me lance un regard en coin avant de prendre ces clés et de m’entrainer dehors. Elle clapit de plaisir face à la neige mais ne s’attarde pas devant, tirant vivement sur mon bras elle me conduit à sa voiture, puis, dans le gloussement de nos conversations rythmé sur la musique nous rejoignit rapidement les filles.

Déjà installer et en pleine discussion Vivianne et Marie étaient au fond de la salle deux grandes bière devant elle, totalement normal à, à peine 10h du matin. Je m’assis à côté de Marie, Emma en face de moi à côté de Vivianne.

- Salut les filles ! lance Emma en regardant vers le bar.

- Salut, réplique Vivianne les joues un peu rouge les mains enveloppant son verre.

- Yo, on vous a pas attendus, renchérit Marie en apportant son verre à sa bouche un sourire roublard lui dévorant le visage.

J’esquisse un sourire en enlevant écharpe et blouson, il n’y avait pas beaucoup de monde à cette heure, normal, en général il y a plus de monde le soir ou à la rigueur à midi pour manger. Mais même si l’ambiance du Diana's est super, que les groupes sont géniaux et que leur alcool est abordable, leur nourriture mériterait un procès car elle est contre nature. Je me souviens encore de la fois où mon père et moi avons manger ici, on avait été malade pendant presque une semaine et il avait perdu cinq bons kilos. Mieux qu’un régime ! Emma se tarda pas à vite se relever pour aller chercher des verres, impatiente qu’elle est, et elle revint presque aussitôt avec deux bières, semble-t-il que je n’ai pas mon mot à dire. J’esquisse un sourire et nous trinquons tous les quatre avant de lancer notre discussion de la journée.

- Bon et sinon vous avez reçus le mail de la directrice ? marmonne Vivianne.

- Yep, sur notre fiche d’avenir ? Je savais même pas qu’on faisait encore ça, se moque Marie.

- Perso je sais pas du tout quoi faire, pleurniche Emma.

- Tu voulais pas peut-être aller bosser dans la mode ? je réplique.

- Si mais bon faudrait aller à l’étranger et je sais pas si je suis prête pour moi, surtout que mon anglais est catastrophique.

- Pas autant que le miens, balance Marie en faisant craqué ces mains.

- Moi j’ai fini mon dossier pour mon école d’art, la professeure d’art la validé, je suis tellement reconnaissante qu’elle est pris le temps de le faire, nous lance Vivianne.

- Moi tout ce dont je suis reconnaissant c’est la directrice qui a finis par ne pas me virer suite à l’histoire avec Sarah.

- Oh c’est vrai !!! s’écrie Marie. Comme on t’a vue revenir après être passé chez la dirlo j’ai complétement zappé c’t’histoire.

- Avec tout ce qui s’est passé et l’intervention de mon père, elle a fini par changer d’avis.

- En même temps cette garce l’avait grave mérité, renchéris Marie.

- Totalement d’accord avec toi miss, complète Emma.

- Ouais mais par contre je me retrouve avec un gros point rouge dans mon dossier, j’espère que ça m’empêchera pas d’aller là où je veux.

- C’est l’école en Australie c’est ça ? me demande Vivianne les yeux pétillant en trempant ses lèvres dans son verre.

- Oui, j’ai toujours rêvé d’y aller, ça fait quatre ans que je bosse comme une malade, j’ai fait des peintures, des aquarelles, du fusain, crayon, mais j’ai aussi fait des photos et j’ai écrit des poèmes.

- Ah ouais on voit que t’es à fond, Marie me donne un gentil coup dans les côtes qui me fait crincer des dents, elle a une force de malade vue son gabarit de crevette.

- Et toi d’ailleurs ?

- Moi ? sursaute Marie. Bof, je sais pas trop, j’avoue que j’ai plus envie de me faire un tour du monde à pied et d’écrire des carnets de voyage, profiter de la liberté ! J’ai jamais trop kiffé être enfermer dans la société.

- C’est pas mal, tu verrais pleins d’endroit et rencontrerais des tonnes de gens, Vivianne lève les yeux aux ciels, admiratif.

Je bois une longue gorgé de ma bière fraiche et lèche mes lèvres.

- Je pourrais pas perso, trop peur de rencontré des tarer ! renchérie Emma.

- Dis surtout que c’est ton confort qui te manquerait trop ! rigolais-je en posant mon verre.

- Ça c’est clair ! hurle presque Marie.

- Faut avoue que tu es une princesse dans t’on genre, achève Vivianne.

Nous explosons tous les trois de rires sous le regard outré mais amuser de notre amie, il est vrai qu’Emma est la plus prude de nous quatre, Vivianne la plus timide, Marie la plus forte et moi la plus extrême, on se complète bien. Emma finit théâtralement son verre avant de recommander une tournée, vivement applaudit par nous.

- Et sinon comment tu te sens Sophie ? Les médocs et tout.

C’est Vivianne qui lance le sujet, du bout des lèvres et en posant une main bienveillante sur ma main, Emma boit une gorgée de sa bière et me regarde, elle sait déjà tout ce qu’il y a à savoir, après mon altercation avec Alex et ma discussion avec Antoine je suis rentré chez elle où nous avons eu une longue discussion qui a duré jusque tard dans la nuit. Marie et Vivianne le mérite aussi, se sont de précieuses amies après tout.

- Franchement ? Je me sens soulagé de savoir que j’ai une maladie que je peux gérer, avant tout mes symptômes me donner plus l’impression que c’était mon cerveau qui était atteint, et ça me faisait horriblement peur, je finis mon verre en posant ma main sur celle de Marie, souriante. Je vais mieux, je peux pas dire que je vais bien parce qu’il y a encore des parts d’ombre mais… On ne peut jamais être bien à 100%, le mieux qui est en train d’arriver me fait du bien, et d’ailleurs… Je voulais vous remerciez.

Elles me regardèrent troubler, ne sachant pas trop quoi dire, je m’empressai de poursuivre pour ne pas leur laisser le temps de réfléchir.

- Depuis la seconde où on s’est rencontré, Marie et toi Vivianne, vous êtes devenus aussi importante qu’Emma, vous m’avez soutenu, compris mes moments de faiblesse et apporter votre amour et bienveillance quand j’en avais besoin, un sanglot fit trembler ma voix. Je vous aime les filles et merci d’être mes amies.

Toute s’exclamèrent avec amour, des bras et des mains vinrent m’enlacer et me tirer dans tous les sens, Vivianne et Emma s’avancèrent au-dessus de la table et nos quatre têtes se touchèrent, un silence vibrant nous envahit, les yeux humides et le sourire aux lèvres.

- Trinquons !

Hurla presque Emma en se dégageant de notre étreinte. Nous nous levons à notre tour , verre à la main.

- A nous ! hurlâmes-nous en cœur !

Je jette un coin d’œil dans le fond déjà vide de mon verre et une vague de chaleur déferla dans mon ventre, cet instant, je pense l’avoir attendus toute ma vie depuis le décès de ma mère. Un moment de bonheur et de partage, avec des gens que j’aime et qui m’aime. Un moment sans la moindre tache sombre, juste elles et moi, parfaitement en accords et là où on veut être. Enfin je me sens à ma place !

Quand j’émerge de ma nuit, je me sens reposée, et je suis heureuse de constater que cela arrive de plus en plus souvent. Je m’étire sous mes draps, profitant des derniers vestiges de chaleur laissés par mon sommeil. À côté de moi, Emma dort paisiblement. Son lit est si grand que, même en m’étendant de tout mon long, je ne la touche pas. Heureusement, car elle a un sommeil agité, non pas à cause de cauchemars, mais parce que madame aime se tourner et se retourner, emmêlant draps et oreillers dans un désordre organisé. Je me lève doucement, l’enjambant avec précaution pour ne pas la réveiller. Le soleil pointe à peine son museau derrière les lourds rideaux de la fenêtre. Dans la salle de bain, je me débarbouille rapidement avant d’enfiler ma tenue de sport. J’ai l’impression que cela fait une éternité que je n’ai pas couru, et l’envie commence à me titiller. Dans l’entrée, je prends le temps de m’étirer longuement, puis j’enfile mes chaussures et ma veste avant de franchir la porte et de m’engouffrer dans le froid matinal. Nous sommes en plein mois de février, et l’hiver refuse obstinément de céder du terrain.

Je commence à courir tranquillement, laissant le froid du matin s’infiltrer sous ma veste tandis que mes muscles s’éveillent peu à peu. L’air glacial pique mes joues, et mes doigts, encore engourdis, fouette l’air au rythme de mes jambes. Les rues désertes s’offrent à moi, silencieuses, comme figées dans l’attente du réveil de la ville. Les réverbères, encore allumés, projettent une lumière pâle sur le bitume humide, où quelques flaques gelées miroitent sous mes pas. Seul le bruit rythmé de mes baskets frappant l’asphalte vient troubler cette quiétude matinale. Je slalome entre les trottoirs, évitant distraitement une poubelle renversée et quelques feuilles mortes que le vent n’a pas encore emportées. Mon souffle s’accorde à mon allure, profond et régulier, formant de petites volutes de vapeur qui s’élèvent et se dissipent aussitôt dans l’air glacé.

Petit à petit, mon corps s’habitue à l’effort. Mes jambes trouvent leur cadence, mon cœur bat plus fort, et une chaleur diffuse commence à se répandre en moi. Un frisson me parcourt, non pas de froid cette fois, mais d’exaltation. Cette sensation de liberté, le simple plaisir de sentir mes muscles fonctionner à nouveau, me donne envie d’accélérer. Alors, je pousse un peu plus sur mes appuis et me fonds dans le silence de la ville endormie. Quand le froid mord trop fort ma peau, je fais demi-tour et rentre. La douche que je prends est délicieuse : elle réchauffe mon corps et soulage mes muscles endoloris par la course. Emma est réveillée. Ses longs cheveux, normalement soyeux, forment une sorte de nid d’oiseau sur sa tête, en bataille comme si une tornade était passée par là pendant son sommeil. Ce spectacle m’arrache un rire spontané, rapidement suivi par celui de mon amie, encore ensommeillée.

- Tu as l’air d’avoir mis ta tête dans une machine à laver puissance max !

Elle grogne en étirant ses bras au-dessus de sa tête, les paupières à moitié closes.

- Rooh, ça va ! Seules les roses sont belles dès le matin !

- Mais c’est que la demoiselle s’essaye à la poésie.

Je l’observe avec amusement tandis qu’elle passe rageusement ses doigts dans ses cheveux, tentant de dompter le chaos capillaire. Peine perdue. Elle finit par soupirer et abandonne la bataille.

- Tant pis, j’ai besoin d’une douche, décrète-t-elle en se levant avec une nonchalance exagérée.

Elle disparaît dans la salle de bain, et quelques instants plus tard, j’entends l’eau couler. Un léger sourire flotte sur mes lèvres en imaginant la scène. Emma doit être là, sous la douche brûlante, chantonnant une chanson qu’elle a en tête depuis des jours, ou peut-être simplement perdue dans ses pensées. Elle a cette capacité à s’évader n’importe où, à refaire mentalement le monde en observant les gouttes d’eau glisser sur la paroi vitrée. Pendant ce temps, je me suis installée dans le salon, m’enfonçant dans le canapé moelleux, les jambes repliées sous moi. Devant moi, sur la table basse, ma tasse de café encore fumante diffuse une odeur réconfortante. J’en prends une gorgée, savourant la chaleur du liquide qui glisse dans ma gorge. Puis, je repose la tasse et ouvre mon carnet, laissant mes doigts tracer des lignes instinctivement, sans vraiment réfléchir. Le reste de la matinée se déroule ainsi, paisible, rythmé par mes coups de crayon et nos discussions animées. Lorsque Emma me rejoint enfin, vêtue d’un large pull et les cheveux encore humides, elle s’installe en tailleur sur le fauteuil d’en face et attrape sa propre tasse. On parle comme toujours de tout et de rien : mode, soirées, garçons. Elle me raconte, avec ce sourire malicieux qui lui est propre, une anecdote sur un type qu’elle a croisé la veille. Je l’écoute d’une oreille, hochant la tête par moments, mais mon esprit reste ailleurs, absorbé par mes esquisses. Et puis, inévitablement, le sujet Alex finit par être mis sur la table. Je sens immédiatement un nœud se former dans mon estomac. Je garde les yeux baissés sur mon carnet, comme si mes dessins allaient soudainement me fournir une échappatoire. Emma, elle, ne lâche jamais le morceau.

- Tu devrais discuter avec lui, me dit-elle en jouant avec la cuillère de son café. Lui laisser la chance de s’excuser encore.

Je lève les yeux vers elle, serrant mon crayon entre mes doigts.

- À quoi bon ? Il ne comprend rien.

Emma pose sa tasse avec un bruit sec et me fixe, l’air plus sérieux cette fois.

- Mais lui as-tu au moins expliqué ce que tu ressens ?

Je reste silencieuse. Mon regard se perd sur mon carnet, mais mes pensées, elles, sont ailleurs.

J’ai essayé. J’ai voulu. Mais mettre des mots sur ce que je ressens me semble toujours plus compliqué qu’il n’y paraît. J’ai peur de dire quelque chose de travers, peur de blesser, peur d’être blessée en retour.

Et si, au fond, je ne savais pas vraiment comment lui parler ?

Je ne dis rien. J’ai essayé d’expliquer, mais je ne suis pas douée avec les mots. J’ai peur de me tromper, de blesser et d’être blessée. Je pose mon carnet et sors mon portable de ma poche. Je devrais le voir, j’en ai envie. Mais est-ce que je vais réussir à lui faire comprendre ? A garder mon calme ? Alors je décide de lui envoyer un message.

Et finalement, nous avons décidé de nous voir le soir même. Je m’appuie contre le mur froid de l’entrée du bar, hésitant à entrer. Mon souffle forme de légers nuages dans l’air nocturne. Mon téléphone vibre dans ma poche – un message d’Emma : Ça va ? Je réponds rapidement avant de le ranger. Non, ça ne va pas vraiment, mais je suis là, prête à affronter la soirée. Je pousse la porte du Diana’s. Aussitôt, la chaleur du bar me saisit, tranchant avec le froid extérieur. L’odeur familière du café et de l’alcool flotte dans l’air, mêlée aux éclats de voix des habitués. Mon regard balaie la pièce jusqu’à ce que je le repère. Alex est là, assis dans un coin, la main autour d’un verre. Il relève la tête en me voyant et esquisse un sourire hésitant.

Je m’avance, chaque pas résonnant comme une hésitation.

- Salut, lâché-je en m’asseyant face à lui.

- Salut, répond-il en jouant avec son verre.

Un silence s’installe, étouffé par le bruit ambiant. Nous commandons deux verres, puis trinquons, une habitude que nous avons gardée. Il prend une gorgée avant de lever les yeux vers moi.

- Ça va mieux ? demande-t-il, en référence à ma maladie.

- Ouais. Le traitement fonctionne, doucement mais sûrement.

Je garde les yeux baissés sur mon verre, passant mon doigt sur la condensation qui perle sur le verre. Il hoche la tête lentement, comme s’il hésitait avant de poser la question suivante.

- Tant mieux… Antoine m’a un peu expliqué. C’est un problème de… Thyroïde, c’est ça ?

Je relève à peine les yeux vers lui, surprise qu’il en parle. Un léger malaise me serre la poitrine. Je ne sais pas si je suis gênée par le sujet ou par le fait qu’il ait demandé des informations à Antoine plutôt qu’à moi.

- Grossièrement, oui, dis-je en haussant les épaules. Je serais malade toute ma vie mais si je prends soin de ma santé et que j’écoute mes médecins, que je prends bien mes médicaments je vivrais longtemps, alors ne t’en fais pas.

J’essaie d’adopter un ton léger, comme si tout cela n’avait pas d’importance. Pourtant, un nouveau silence s’installe. Il semble vouloir ajouter quelque chose, peut-être une autre question, mais il se ravise. Je prends une gorgée de ma bière, espérant détourner la conversation avant que cette sensation d’inconfort ne s’installe pour de bon. Il sourit timidement avant de se replonger dans son verre. J’aimerais que cette conversation soit plus facile, plus naturelle. Avant, on pouvait parler des heures sans s’arrêter. Aujourd’hui, chaque mot semble pesé, chaque phrase une tentative maladroite de recoller quelque chose de brisé.

- Et avec ton père ? reprend-il.

- On a parlé. Un peu. Ça s’arrange, je crois.

J’aimerais en dire plus, expliquer la tension, la douleur, mais je n’y parviens pas, j’étais pourtant venus pour ça, expliquer, lui faire comprendre, mais comme toujours les mots se retrouve bloquer dans ma gorge. Je regarde les bulles remonter lentement à la surface de ma bière, tandis qu’Alex fixe la table, l’air perdu.

- Je suis désolé, finit-il par souffler.

Je relève les yeux.

- Pour quoi exactement ?

Il baisse la tête. Il sait très bien. Moi aussi. Mais il n’y a pas encore de pardon, pas encore d’apaisement. Juste cette tension suspendue entre nous, comme un fil prêt à se rompre. Alors, au lieu d’affronter ce qu’il faudrait régler, on fait semblant. On parle de tout et de rien, on évite soigneusement le vrai sujet. Quelques rires forcés, quelques anecdotes sans importance. Mais sous la table, mes mains restent crispées sur mon verre. Le Diana’s est toujours aussi animé. Des rires fusent d’une table à l’autre, et le brouhaha ambiant contraste avec le silence qui c’est de nouveau installer entre nous. Je joue distraitement avec une serviette en papier, la déchirant en petits morceaux du bout des doigts, tandis qu’Alex trace des cercles sur le rebord de son verre, comme perdu dans ses pensées.

- Tu dors toujours chez Emma ? demande-t-il après un moment.

- Ouais. Pour l’instant.

- Elle doit être contente de t’avoir avec elle.

Je hausse légèrement les épaules et bois une gorgée de ma bière.

- Mmmh.

Mon ton est neutre, presque distant. Il le sent, et un voile de frustration passe dans son regard. Il sait qu’il marche sur un fil, qu’un mot de travers peut tout faire basculer. Pourtant, il continue, tentant de combler le vide entre nous.

- Tu comptes rentrer chez ton père ?

Je prends une longue inspiration, laissant mon regard errer sur la table avant de répondre :

- Je sais pas encore.

C’est faux. Je sais très bien que je vais devoir y retourner un jour. Mais pas tout de suite. Pas encore. Pas après notre dispute, pas après ces mots échangés qui résonnent encore dans mon esprit. Je n’ai pas la force d’affronter mon père maintenant. Alex acquiesce lentement, comme s’il cherche quoi dire d’autre. Mais rien ne vient. Il boit une dernière gorgée avant de se lever.

- J’vais prendre un autre verre. T’en veux un ?

- Non, ça va.

Je le regarde s’éloigner vers le comptoir. Son pas est un peu traînant, comme s’il portait un poids invisible. J’aurais voulu que cette soirée se passe autrement. Qu’on retrouve cette complicité qui nous manque tant. Mais la douleur est encore là, tapie sous la surface, prête à ressurgir au moindre faux pas. Quand il revient, il s’appuie contre le dossier de sa chaise et croise les bras. Il reste silencieux quelques secondes, puis souffle :

- J’ai merdé.

Je relève lentement les yeux vers lui.

- Je sais.

Il grimace légèrement, baisse la tête.

- Je voulais pas te blesser. Je sais que j’ai déconné…

Je serre les lèvres. J’aimerais lui répondre quelque chose, lui dire que je comprends, que je lui pardonne.

- Tu m’en veux toujours ? demande-t-il, la voix plus hésitante.

Je fais tourner mon verre entre mes doigts, fixant le liquide qui danse sous la lumière tamisée du bar.

- Qu’est-ce que tu veux que je dise, Alex ? Que tout va bien ? Que j’ai oublié ?

Mon ton est calme, mais mon regard parle pour moi. Je n’ai pas oublié. Il passe une main nerveuse dans ses cheveux, cherchant une issue, une phrase qui réparerait l’irréparable.

- Non… mais j’aimerais que ça s’arrange.

- Moi aussi.

Et pourtant, on est là, face à face, incapables de franchir cette frontière invisible qui nous sépare. Les secondes s’étirent, pleines de non-dits. Je sais que je pourrais rester là encore longtemps, à attendre qu’il dise quelque chose d’important, quelque chose qui changerait tout. J’inspire profondément, puis je me lève.

- Je vais y aller.

Alex hoche lentement la tête, comme s’il s’y attendait.

- D’accord.

J’attrape mon manteau, hésite une seconde avant de plonger mon regard dans le sien.

- Bonne nuit, murmuré-je.

Il entrouvre les lèvres, prêt à répondre, mais aucun son ne sort. Finalement, il baisse les yeux. Je tourne les talons et quitte le Diana’s. Dehors, l’air est froid, piquant contre ma peau. J’enfonce mes mains dans mes poches et avance d’un pas rapide dans la rue presque déserte. Je n’ai fait que quelques pas quand j’entends des bruits précipités derrière moi. Avant même de me retourner, une main chaude attrape mon poignet, me forçant à m’arrêter.

- Sophie, attends…

Alex.

Je ferme les yeux une fraction de seconde, luttant contre cette vague d’émotions contradictoires qui me submerge. Puis je me retourne lentement. Il est là, face à moi, les joues rougies par le froid, le regard brûlant d’une intensité que je ne lui ai pas vue depuis longtemps. Et avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, il me prend dans ses bras. D’abord, mon corps se raidit sous la surprise. Mais son étreinte est forte, sincère, et malgré moi, je sens quelque chose en moi se fissurer. Son souffle tremblant se perd dans mes cheveux alors qu’il murmure :

- Je t’aime, Sophie. Plus que tout.

Mon cœur rate un battement.

- Je sais que j’ai tout gâché, que j’ai fait des erreurs impardonnables, mais je t’aime. Et je veux que tu le saches, quoi qu’il arrive.

Ses bras se resserrent autour de moi comme s’il avait peur que je ne disparaisse. Et moi ? Moi, j’ai envie de lui en vouloir encore, de lui dire qu’il est trop tard. Mais ce serait un mensonge. Parce qu’au fond, malgré tout ce qui nous a éloignés, je l’aime aussi, et j’aimerais gouter au bonheur d’être avec lui. Alors je chuchote, ma voix à peine audible :

- Moi aussi, Alex.

Il se fige, comme s’il n’osait pas y croire.

- Mais… je ne t’ai pas encore pardonné, ajouté-je doucement.

Je sens son souffle s’accélérer contre ma peau.

- Je comprends, dit-il.

Je recule légèrement pour croiser son regard.

- Mais j’essaierai.

Une lueur d’espoir traverse ses yeux. Il hoche la tête, incapable de parler, alors je prends une inspiration tremblante avant de poser une main sur sa joue. Il ferme les yeux sous mon contact, et à cet instant, tout ce qui nous entoure disparaît. Puis, lentement, il approche son visage du mien. Et cette fois, je ne recule pas. Nos lèvres se rencontrent dans la fraîcheur de la nuit, mêlant nos doutes, nos regrets et cet amour que nous n’avons jamais vraiment perdu. Il y a dans ce baiser la promesse fragile d’un recommencement, d’une chance que nous seuls pouvons décider de saisir.

Le froid de la ruelle n’a plus d’importance. Parce qu’en cet instant, dans ses bras, je me sens enfin réchauffée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Awdur-Pennaf ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0