Chap 1 partie 4 - La rencontre
Je me redresse en criant de plus belle, les yeux grands ouverts, désorientée. J’enfouis mon visage dans mes mains, secouée de spasmes. Je renifle, hoquète, des larmes strient mes joues.
Finalement, je relève la tête et regarde autour de moi, tentant de me calmer.
La maison, inconnue, est petite et poussiéreuse. Les murs blancs sont ornés de nombreux posters colorés ou noir et blanc vieillissants. Les meubles, tous un peu dépareillés, s’harmonisent pourtant étrangement entre eux. Je suis allongée sur un grand canapé marron, dont le cuir est craquelé par endroits. À côté de moi, une petite table basse dont le vernis s’écaille, une tasse de café encore fumante, à en juger par l’odeur, y est posée.
Un bruit attire mon attention, je tourne la tête et soudain, mes yeux rencontrent de magnifiques yeux verts.
— Tu es enfin réveillée ! Tu nous as fait peur, tu sais ?
Je réalise alors qu’il s’agit d’Antoine, un des nouveaux élèves de ma classe. Il semble inquiet et pose prudemment sa main sur mon épaule, comme pour me rassurer.
— Heu… Je… Où, où suis-je ? lui demandé-je, totalement hébétée par la situation.
— Chez moi, lance une voix rauque derrière moi.
Je me retourne brusquement, Alex se tient debout, le regard dur, bras croisés en position défensive. À ses pieds, un gros chien noir dort paisiblement. Mon esprit encore embrouillé, les premiers mots qui sortent de ma bouche sont :
— Je peux avoir un mouchoir ?
— Tiens.
Antoine me tend un paquet de mouchoirs avec un sourire.
— Merci…
Je me mouche bruyamment, et essuie mes yeux encore écarquillés face à la situation.
— Il est quelle heure ?
— 7 h, répond Alex.
— Du soir ?
— Du matin, réplique-t-il en soupirant.
J’en lâche un hoquet de surprise, mon cœur s’emballe sous le choc.
— Ne t’en fais pas, Sophie, enchaîne aussitôt Antoine. Ton père a appelé sur ton portable et je me suis permis d’y répondre.
— Heu…
— Mais tu nous as vraiment fait peur, tu sais ?
— Heu, je… Excuse-moi…
C’est étrange de s’excuser devant quelqu’un qu’on ne connaît pas pour s’être évanouie. Pourtant, je comprends à présent que c’est bien ce qui s’est passé. La fatigue, l’angoisse, toute cette agitation de la rentrée… Mon corps a fini par lâcher.
— Mais bordel, qu’est-ce qui t’est arrivé ? lâche brusquement Alex en se postant devant moi.
Il s’est penché au-dessus de la table basse. Mon regard se pose un instant sur la chaîne en argent pendant à son cou, puis de nouveau sur son visage.
— Je… ce n’est rien, j’ai juste… pas pris de petit-déjeuner ce matin, donc… j’ai eu un coup de chaud. Ne vous en faites pas.
Antoine me fixe toujours avec des yeux inquiets. Il faut que je parte. Mon père doit être mort d’inquiétude… Je pâlis en me rendant compte que je me suis probablement évanouie devant eux. J’espère ne pas m’être mise à baver…
Je me lève brusquement, manquant de renverser la table basse et la tasse de café par la même occasion. Mon regard balaye rapidement la pièce, mais il n’y a qu’Antoine et Alex. Aucun adulte à l’horizon. C’est sans doute mieux comme ça.
— Je… je dois partir. Mon père doit être mort d’inquiétude. Je… je vous remercie de m’avoir aidée, mais je dois absolument y aller.
— Tu es sûre que ça va aller ?
Demande Antoine après s’être redressé vers moi, comme s’il avait peur que je ne tombe encore.
— Oui, tout va bien, ne t’en fais pas. Tu peux juste me montrer la sortie ?
— Ouais, je vais t’y conduire, lance Alex. Antoine, attends-moi ici, j’reviens.
Je fais un signe à Antoine et suis Alex à travers un petit couloir menant à l’entrée. Il ouvre la porte, me laissant passer. Je réalise alors qu’il ne s’agit pas d’une maison, mais d’un petit appartement, dont l’entrée donne sur une minuscule cour arrière. Je ne savais pas que cette maison avait été réaménagée en plusieurs petits appartements…
Je me tourne vers lui et le regarde un instant avant de murmurer d’une petite voix :
— Je te remercie de m’avoir hébergée…
— Me remercie pas. Ce n’est pas moi qui ai voulu t’héberger, c’est Antoine. Il a débarqué devant ma porte avec toi dans les bras, en disant que tu t’étais évanouie devant lui ou je sais pas quoi. Qu’est-ce que tu voulais que je fasse ? C’est mon meilleur ami, j’allais pas lui dire non.
Puis, il me claque la porte au nez, le sourire aux lèvres. Le rouge me monte aux joues. Mais pas de honte. De colère. J’ai une furieuse envie de lui balancer ma main dans la figure pour lui faire ravaler son sourire narquois. Je me tourne vers les escaliers, les descends à la hâte et me mets en marche d’un pas rapide et déterminé. Mais en arrivant devant chez moi, toute ma conviction s’évapore.
Qu’est-ce que je vais dire à mon père ?
J’ouvre doucement la porte et entre sans bruit. Mais mon père, qui m’attendait probablement caché quelque part, me saute dessus.
— Mais où étais-tu ?! s’exclame-t-il, visiblement paniqué. Quand je t’ai appelée, c’est un jeune homme qui m’a répondu en disant que tu t’étais évanouie et que tu étais chez lui. C’est quoi cette histoire ?!
— Excuse-moi, papa… Je n’ai pas pris de petit-déjeuner ce matin et… je me suis sentie faible. Avec la pluie et tout ça, j’ai fini par tomber. Mais ne t’en fais pas, je connaissais les garçons, alors tout s’est bien passé, ne t’inquiète pas.
— Tout s’est bien passé ?! Tu trouves que tout va bien ?! Mais mon dieu, tu ne te rends pas compte à quel point j’ai eu peur ! Je ne savais pas où tu étais ! Comment veux-tu que ça aille bien ?!
— Je… Je suis désolée…
— Tu ne sais dire que ça ?! Et après, c’est moi qui me fais des cheveux blancs parce que ma fille de 19 ans a découché et que j’apprends qu’elle s’est évanouie devant un garçon !
— Je… Je sais… Je ne sais pas quoi dire…
Je baisse la tête, écrasée par le poids de la culpabilité. Je déteste faire de la peine à mon père, et encore moins lui donner, comme il le dit, des cheveux blancs. Son visage crispé par l’inquiétude me rappelle douloureusement l’enterrement de maman. Il soupire en posant ses mains sur mes épaules, m’incitant à relever les yeux vers lui. Son expression s’est un peu détendue, mais son teint reste livide.
— Ma chérie… Je ne supporterais pas de te perdre comme j’ai perdu ta mère…
Il me serre alors dans ses bras et se met à pleurer. À mon tour, je l’étreins, tentant maladroitement de le rassurer. Puis, après un moment, je le lâche et monte dans ma chambre. Allongée sur mon lit, je ressens encore les tremblements de ses sanglots contre moi. Je jette un regard à mon réveil. 8 h passées. Heureusement pour moi, nous sommes samedi. C’est pratique, ces rentrées en milieu de semaine… On se croirait presque encore en vacances. Je ferme les yeux, mais le sommeil ne vient pas. J’ai quand même réussi à dormir plus de huit heures cette nuit… Ça me fait sourire. Cela faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé. Même si je me suis endormie de façon peu conventionnelle, je me sens reposée. Il faut que je me change les idées. Je me lève, enfile un jogging, mes baskets, prends mes écouteurs et me dirige vers la porte d’entrée.
— Où tu vas ? lance mon père depuis le salon.
— Courir. Je peux ?
— Tu as mangé ?
— Non…
— Alors, d’abord tu manges, et après tu cours.
Je lève les yeux au ciel mais obéis, me dirigeant vers la cuisine. Comme si ces simples mots avaient suffi, je sens mon ventre gargouiller.
— C’est une conversation bizarre…
— Peut-être, mais ça reste une conversation père-fille, répond-il en me rejoignant à table.
— Tu veux quelque chose ?
— Des œufs et des tartines de miel…
— Comme faisait maman…
— Oui…
Un silence gêné s’installe. Puis, sans un mot, je me mets aux fourneaux. Je n’ai jamais été douée en cuisine, comme mon père d’ailleurs, mais cette fois, je m’en sors plutôt bien. Rien n’est brûlé, tout semble appétissant. Je prends le miel dans le placard et en tartine le pain grillé avant de déposer le tout sur la table à côté des œufs encore chauds.
— Bon appétit !
— Bon appétit, répond-il.
Je croque dans ma tartine… et recrache aussitôt le tout.
— Oh mon Dieu !!! s’exclame mon père. Mais qu’est-ce que tu as mis dedans ???
— Je… Je sais pas…
Je me lève précipitamment et inspecte les pots d’ingrédients.
— Merde… J’ai mis du sucre dans les œufs et du sel dans le miel…
— Tu plaisantes ?! dit-il en vidant un verre d’eau d’un trait.
— Je suis désolée !!!
Nous nous regardons un long moment. Moi, avec le pot de sucre dans une main et celui de sel dans l’autre. Lui, encore sous le choc, un filet d’eau au coin des lèvres. Puis, un soupir m’échappe, suivi d’un ricanement… qui finit en éclats de rire partagés.
C’est donc pliés en deux que nos rires emplissent la maison.
— Ce n’est pas possible… Ahahah, tu ne touches plus jamais à une casserole !
— Promis !!!
— Bon… Je vais juste prendre du pain grillé, ça ira ?
— Oui, vas-y, je vais tout ranger.
— Merci !
Je lui souris et file dehors après avoir saisi deux tranches de pain. Claquant la porte derrière moi, je mets mes écouteurs, m’étire et commence à courir doucement. Je passe par le parc derrière le lycée, fais plusieurs tours du lac avant de m’octroyer une pause sur un banc. Le temps se couvre, et quelques gouttes d’eau tombent. Plus une bruine qu’une vraie pluie, c’est une semaine à ça faut-il croire. Mais je ne bouge pas. J’aime la pluie. Surtout quand je suis seule, loin du bruit des autres, loin de l’agitation. J’enlève mes écouteurs et les range dans la poche de ma veste pour mieux profiter du moment. Tout est calme. La nature se tait, laissant place à une douce mélodie pluvieuse. Le monde semble retenir son souffle. Seule la pluie vit, expire, respire, en parfaite harmonie avec le lieu où elle se déverse. Je ferme les yeux, offrant mon visage au ciel. Un bruit attire mon attention, j’ouvre les yeux, mais avant que je ne comprenne ce qui se passe, un énorme chien me fonce dessus et me renverse sur le banc.
— Oula, doucement, toi !!!
Je caresse sa tête en riant tout en essayant de le repousser.
Mais il pèse son poids, ce monstre ! Il me lèche le visage en poussant de petits jappements heureux.
— Démon, viens ici !
La voix familière me fait tourner la tête.
— Alex ?
— Sophie ? Il arque un sourcil. Mais c’est pas vrai, qu’est-ce que tu fous ici ?
— Je m’étais arrêtée pour me reposer. Tu pourrais dire à ton chien de se calmer ? J’adore les animaux, mais là, je suis en train de suffoquer…
— Mmmh… Je devrais peut-être le laisser t’écraser, dit-il en souriant de toutes ses dents.
Voyant le regard apeuré que je lui lance, il saisit finalement le collier de son chien et le tire en arrière, me permettant de me relever. J’incline légèrement la tête pour le remercier en époussetant mes vêtements, puis tourne les talons pour reprendre ma course. Le temps s’est assombri, la luminosité a baissé. Il vaut mieux que je rentre. Surtout que je commence à avoir froid… Et je n’ai pas envie de discuter avec lui. Je n’aime pas cette sensation de me sentir toute petite sous son regard. Alors je me remets à courir. Mais soudain, des pas pressés résonnent derrière moi. Une main se pose sur mon épaule et me tire brutalement en arrière.
— Attends… C’était toi, la nuit dernière, devant chez moi ?
Merde…
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