Chap 2 partie 2 - Le zénith
Je me demande encore comment il a fait pour entendre la sonnette avec ce vacarme.
Nous arrivons dans un grand salon où chaque meuble a été poussé contre les murs, transformant la pièce en une immense piste de danse.
La chaleur étouffante des gens m’enserre la gorge, tout comme l’odeur âcre de la transpiration et de l’alcool. Sous mes pieds, le sol colle à mes semelles, et des cadavres de bouteilles encombrent le passage.
Je me tourne vers Emma, qui a déjà un verre à la main. Elle m’en tend un autre que je porte à mes lèvres. D’où sort-elle ces verres ?!
Après un rapide tour des lieux, quelques embrassades avec ses amis, quelques signes de la main à des connaissances à moi, nous finissons par nous retrouver près d’un bar improvisé.
Une fille est allongée, ventre nu, un petit verre à shooter posé sur son nombril.
Je jette un coup d’œil à Emma, qui me regarde avec des yeux interrogateurs.
— Ça fait très série américaine, tu ne trouves pas ? me lance Emma.
J’acquiesce en souriant.
— Vous voulez essayer, les filles ? nous lance le mec derrière le bar.
— Essayer quoi ? répond Emma.
— Le but, c’est de boire le shooter posé sur le ventre de la demoiselle ici présente !
Il lance un sourire charmeur à la brune allongée, qui lui rend son sourire en se dandinant doucement. Elle semble beaucoup s’amuser, malgré son regard un peu éteint par l’alcool et ses joues rougies par la chaleur.
— Alors ? dit-il en se tournant vers Emma avec un sourire.
— Je... Je ne sais pas trop... T’en penses quoi, Sophie ?
— Heu... Sois je suis trop sobre pour ce genre de truc, soit je suis vraiment nulle pour tout ce qui est fêtes...
— Ne vous en faites pas, les filles, je vous sers d’abord un verre et après, vous voyez.
Je regarde une nouvelle fois Emma, qui acquiesce. Nous nous retrouvons donc à discuter, nos vodka-coca à la main. La soirée s’écoule doucement tandis qu’Emma et moi faisons des commentaires sur les garçons que nous trouvons mignons.
Quelques-uns me plaisent, mais c’est surtout elle qui parle... et surtout de son copain, Maxime, encore et toujours.
— Il me manque... J’aurais dû venir avec lui...
— Sympa pour moi.
— Non !!! Ce n’est pas ce que je voulais dire...
— Je sais, je te taquine !
Je lui souris en caressant sa joue pendant que je termine mon verre. Je le pose sur le bar et me tourne vers elle, qui a aussi fini le sien.
— Bon... On le fait ?
— De quoi ?
— Ben ça...
Elle désigne de la tête la fille qui se trémousse toujours sur le bar, un verre vide sur le ventre. Elle luit légèrement sous les lumières tamisées de la pièce. Elle doit avoir chaud.
— Hein ?! Oh heu... Non, pas moi, désolée.
— Ben moi, je veux bien !
Elle se tourne vers le barman et pose sa main sur son bras pour attirer son attention.
— Je voudrais un heu... shooter.
— D’accord ! Alors, un shoot pour la jolie jeune fille !
Je lance un regard incrédule à Emma, qui hausse les épaules. Le mec remplit le petit verre posé sur le ventre de la fille. Emma se penche au-dessus d’elle en rigolant tellement que je ne peux m’en empêcher moi-même, puis saisit le verre entre ses lèvres roses. Elle redresse la tête et vide le verre cul sec. Elle fait une grimace et repose brutalement le verre sur la table.
— Beurk ! C’est vraiment dégueulasse...
Je me mets à rire de plus belle et demande un autre verre. Le barman me sert quelque chose de fort, rouge et fruité, dont l’odeur me pique un peu le nez. La première gorgée titille ma langue et brûle ma gorge. J’écarquille les yeux, me tourne vers Emma, qui a saisi un autre shoot-ventre. Je lui souris, et elle me sourit en retour, un sourire déjà un peu flou. Ses yeux pétillent, et son regard devient charmeur. Oh, et puis zut ! Autant s’amuser à fond !
Je me tourne vers le barman et lui lance en souriant :
— Finalement, moi aussi j’en veux un !
Il sourit encore plus et remplit le verre une nouvelle fois. Craquant…
Le liquide a une couleur légèrement ambrée. Je me penche au-dessus, ouvre la bouche. Mes lèvres touchent la peau de la fille. Elle est fraîche et douce malgré la chaleur ambiante. Je saisis le verre et le bois cul sec. Le liquide est chaud dans ma gorge, le goût un peu amer me plaît.
Je me tourne vers le barman en humectant mes lèvres, lui tends le verre tout en souriant.
— C’est quoi ? C’est super bon...
— C’est du rhum arrangé. T’en veux un autre ?
— Oui, je veux bien...
Il me sourit encore. Il a les dents du bonheur, un léger trou entre ses deux incisives, deux fossettes adorables et des cheveux bruns humides qui tombent devant ses yeux bleu-vert.
Il pose le verre sur le ventre de la fille, puis me lance un regard.
— Tu veux essayer un truc drôle ?
— Tant que ça reste dans mes capacités...
— Alors ça marche. Tu bois le shoot sur son ventre et... celui qu’elle tiendra dans sa bouche.
— Hein ?! Dans... sa bouche ?
— Oh, allez !
Je ne lui réponds pas, mais il verse quand même les deux verres. Je bois le premier, celui posé sur le ventre, et regarde avec envie celui entre les lèvres de la fille.
Le liquide vibre légèrement au rythme de sa respiration. J’hésite, puis j’approche, encouragée par les autres autour de moi et par le rire d’Emma, qui m’indique qu’elle est toujours près de moi. Mon regard croise celui de la fille. Elle a de beaux yeux bleus qui pétillent en me voyant.
La peur et l’inquiétude me quittent.
Je saisis le verre. Je sens à peine les lèvres de la fille et engloutis avec avidité le rhum.
Je me tourne vers le barman, qui me sourit toujours, puis repose le verre sur le bar et cherche Emma du regard. Elle est en train de parler avec un beau blond. Je lui tapote l’épaule et l’invite à danser en faisant une révérence devant elle.
Elle rit et prend ma main pour m’emmener sur la piste de danse.
Je me déhanche de haut en bas, ondulant toutes les parties de mon corps.
Au milieu de la pièce, la chaleur des corps me pousse à bouger plus vite.
Emma me prend les mains et nous nous mettons à danser comme des folles, tournant, chantant en même temps que la musique, emportant nos cheveux et nos robes.
L’alcool embrouille un peu ma tête, mais je n’ai ni vertiges ni envie de vomir.
Je me sens juste bien, portée par cette chaleur un peu étouffante, avec Emma face à moi. Le temps passe, et mes pieds commencent à me faire mal. Je quitte la piste pour aller m’asseoir sur un canapé qui m’accueille avec tendresse.
Je regarde Emma danser de plus belle, me faisant des petits coucous de temps en temps. Je me détends, laissant l’alcool redescendre un peu.
Mes derniers shooters m’ont laissé un goût sucré dans la bouche.
Soudain, mon ventre gargouille si fort qu’il couvre presque la musique une fraction de seconde.
— Tu veux manger un truc ?
La question m’étonne légèrement et me fait sursauter.
Je tourne la tête vers la personne qui vient de me la poser.
C’est le beau barman de tout à l’heure, celui qui m’avait incitée à boire le verre entre les lèvres de la fille.
Je lui souris.
— Oui, j’ai faim !
— Alors suis-moi ! Oh, d’ailleurs, je m’appelle Thomas.
— Sophie.
Il me regarde un moment, des paillettes dans les yeux.
Je le suis dans un couloir qui débouche sur une cuisine remplie de monde.
Il ouvre un placard et en sort un paquet de chips.
— Miam ! m’exclamé-je en m’approchant de lui.
— Ah !
— Quoi ?
Je relève la tête vers lui. Il a un sourire carnassier aux lèvres tandis qu’il agite le paquet sous mon nez.
— Si tu veux le paquet, je veux un baiser en échange !
— Pardon ?
— Un baiser, un tout petit !
— Heu… Non, désolée, ce n’est pas mon genre...
— Oh, allez !
Il glisse une main dans mon dos et m’attire contre lui.
Je tente de le repousser, mais il est plus fort que moi, et la foule autour de nous nous comprime l’un contre l’autre.
— Mais... Lâche-moi !
— Oh, c’est bon, arrête de faire ta sainte-nitouche.
Il lâche le paquet et fait glisser son autre main sur ma cuisse. Je la saisis pour l’empêcher d’aller plus loin.
— Arrête...
Ma respiration se bloque dans ma gorge. Autour de moi, j’ai l’impression que le monde devient plus sombre. J’essaie tant bien que mal de le repousser, mais il me retourne soudainement et me plaque contre le mur, enfouissant son visage dans mon cou.
Son haleine chaude effleure mon oreille. J’en frissonne de dégoût. Je me débats de toutes mes forces et commence à pousser des gémissements, espérant que quelqu’un m’entende. J’enfonce mes doigts dans ses bras, mais l’alcool a dû l’engourdir, car il ne réagit pas. Des larmes brûlantes emplissent mes yeux, et un sanglot incontrôlable fait vibrer ma gorge. Soudain, une main s’abat sur l’épaule de Thomas et le projette en arrière. Il me lâche enfin, me permettant de respirer, et je m’écarte précipitamment.
Je lève les yeux et aperçois un poing s’écraser sur le nez de Thomas, qui pousse un cri étouffé.
Des exclamations indignées fusent autour de nous tandis que mon sauveur martèle le visage de Thomas, qui tente de se protéger de ses poings.
Je me jette sur lui, le tirant de toutes mes forces en lui hurlant presque d’arrêter, que j’allais bien. Il finit par lâcher Thomas.
Je saisis son bras et tire plus fort encore pour l’entraîner dehors. Traversant la foule, les yeux brouillés, je cherche une sortie, n’importe laquelle, pour aller dans le jardin.
Finalement, je m’arrête dans un coin, mon bras emprisonnant fermement celui de mon sauveur, qui tente de reprendre son souffle.
Je l’attire dans un angle pour ne pas qu’il gêne les autres et lève enfin le nez vers lui. Un instant de flottement. Puis je me rends compte qu’il s’agit d’Alex, qui me dévisage gravement de ses yeux gris, les joues légèrement rouges à cause de l’alcool.
Son regard est difficile à déchiffrer, intangible, insaisissable. Je n’arrive pas à savoir s’il est amusé, agacé ou simplement ailleurs.
Je me cale un peu plus contre le mur et ne bouge plus.
Je laisse le bruit ambiant me submerger pour calmer mon rythme cardiaque et les frissons de dégoût qui m’ont grimpé dans le dos.
Le corps tendu, je ferme un instant les yeux. Sérieux, c’est pour ça que je suis si réticente à sortir dans ce genre de fête : on ne sait jamais sur quel connard on peut tomber. Heureusement que ça n’arrive pas tous les jours.
Je sens encore sa présence à côté de moi, trop proche. Quand je rouvre les yeux, Alex est là, ancré dans mon espace. Je serre toujours son bras dans ma main, sa chaleur se diffusant jusque dans mon poignet.
Il est proche, si proche que je peux sentir son souffle effleurer ma peau. Légèrement chaud, chargé d’alcool et d’une fragrance boisée, un mélange de notes musquées et puissantes qui flottent entre nous. Ça lui va bien.
Ce soir, il a revêtu une chemise cintrée noire et un jean tout simple.
J’aperçois de nouveau la chaîne à son cou, qui brille faiblement sous les lumières mouvantes. Je me demande ce que ça peut être. Un bijou familial, un souvenir, ou juste un accessoire sans signification ?
Il est un peu plus grand que moi ; sans mes talons, je lui arrive sans doute au cou. Là, nous sommes presque au même niveau.
J’inspire légèrement et tente de regarder ailleurs, mais mes yeux reviennent vers lui, inévitablement.
Je ne peux m’empêcher de fixer ses lèvres, charnues et rouges. Il n’a pas de barbe, pas même un poil. Sa peau est lisse, presque irréelle sous les lumières tamisées.
Serait-il imberbe ? Ou en a-t-il ailleurs ? Cette pensée me frappe et me fait sursauter intérieurement.
Je secoue vigoureusement la tête pour chasser les images qui me traversent l’esprit et sens aussitôt mes joues se colorer de rouge.
Un cri brusque me sort de mon trouble. Quelqu’un beugle quelque chose, me faisant sursauter.
La foule s’écarte et on traîne une personne vers la sortie.
Je devine qu’il s’agit de Thomas et qu’on l’éjecte de la fête. Une vague de soulagement me traverse.
Heureusement, je n’aurais pas aimé le recroiser dans une autre pièce et qu’il décide d’en découdre avec moi.
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