Chap 7 partie 1 - Un baiser pour dormir
La fin de notre petite escapade à la montagne est déchirante. Embrassades et rires, chacun repart de son côté. Après ça, Alex et moi parlons beaucoup pendant la fin des vacances, et notre escapade à la montagne renforce encore davantage nos liens. Nous passons presque toutes les nuits à discuter musique, films ; je lui parle beaucoup de mes dessins. Il vient parfois me rendre visite, et je passe aussi quelques soirées chez lui.
C’est lors d’une de ces fameuses soirées qu’il m’embrasse de nouveau. Nous sommes seuls chez lui, et nous pouvons nous dévorer la bouche sans être gênés. C’est la première fois qu’il me dit que je lui plais, et je ris si fort que ça interrompt notre baiser.
Quand je rentre ce soir-là, mon ventre pétille de bonheur, et une forte chaleur m’empêche de dormir. C’est bien plus agréable comme ça, d’ailleurs. Rien que d’y repenser me fait monter une bouffée de chaleur qui m’oblige à serrer les jambes. Ces soirées à se tourner autour commencent à trop me frustrer, je ne vais plus tenir longtemps.
Je passe le Nouvel An avec mon père, comme à notre habitude. Rien d’extraordinaire : chocolat chaud, whisky, chips et téléfilms débiles que lui et moi adorons décortiquer et analyser. La rentrée arrive bien trop vite à mon goût.
Je triture nerveusement les fils de mes écouteurs en regardant la cour se remplir petit à petit d’élèves. La cloche n’a pas encore sonné, et je décide de m’asseoir sur un banc.
Après de longues secondes qui me semblent durer une éternité, j’aperçois enfin Emma avec le reste du groupe. J’étire un sourire soulagé.
Je me jette dans ses bras, et elle ouvre aussitôt de grands yeux.
— Eh ben, qu’est-ce qui t’arrive ?
— Rien, je suis juste heureuse de vous voir !
— Nous aussi, on est contentes de te voir, pas vrai les filles ?
Elles me sourient. En passant, Vivianne me fait la bise, suivie de près par Marie, qui me salue d’une tape sur la main, comme à son habitude.
Garçon manqué jusqu’au bout des ongles, elle porte très court pour ne pas se blesser pendant ses cours de boxe.
Elles s’asseyent toutes à côté de moi sur le banc, nous serrant les unes contre les autres pour nous tenir chaud. Nos souffles se mêlent, créant un immense nuage blanc, comme si nous étions entourées d’une douce brume protectrice.
— J’aimerais bien organiser une soirée pyjama, nous confie Emma.
— Moi, ça m’tente bien ! répond aussitôt Marie.
— Ça... ça me plairait aussi... murmure Vivianne, un demi-sourire aux lèvres.
— Et toi, Sophie ?
— Ouais ! Ce serait vraiment bien. Mais ce serait chez toi, Emma ?
— Oui, je pense que de nous toutes, c’est moi qui ai la plus grande maison.
— C’pas faux, enchaîne Marie. Par contre, j’suis pas trop habituée à c’genre de truc.
— Moi non plus... ajoute Vivianne en se penchant vers nous.
— On va vous y habituer, vous en faites pas ! réplique Emma avec son ton joyeux.
Elles continuent à discuter de cette soirée, mais je ne les écoute déjà plus, fixant l’entrée avec appréhension.
Quand Antoine passe enfin le portail, je me lève d’un bond et fonce vers lui, regardant tout autour de moi.
— Antoine ! Salut, ça va ?
— Bien, et toi ?
— Ça va. T’es pas avec Alex ?
— Oh, il n’a pas dû entendre son réveil ce matin. Il arrivera sans doute un peu plus tard.
— D’accord !
— Sophie, bouge, ou on va être en retard !!! me hurle Emma.
Au même moment, la cloche sonne, comme pour appuyer ses dires. Je presse le pas, suivie de près par Antoine, qui me raconte la fin de ses vacances : repas de famille, échange de cadeaux et tout le tralala.
Une fois dans le bâtiment principal, le groupe se disperse, chacun partant vers ses cours. Je prends le bras de Vivianne, et nous nous dirigeons vers la salle d’art.
Nous nous installons à nos places habituelles, sortons nos feuilles et notre matériel. Une grande feuille s’échappe de son carton ; je la saisis au vol.
Un immense arbre, si majestueux que je lui donnerais bien trois cents ans.
— Il est magnifique, Vi ! Où l’as-tu dessiné ?
— Près de chez moi. Il est dans une plaine entourée d’arbres plus petits. Je le trouve impressionnant...
— Il est magnifique. Tu as bien réussi la texture de l’arbre, et tu lui donnes vraiment un côté grandiose.
Je jette un œil dans son carton et entrevois un portrait.
— Il est beau aussi, celui-là...
Je me penche pour mieux le regarder et ouvre grand les yeux.
Quand je repose mon regard sur Vivianne, elle a les yeux écarquillés et les joues aussi rouges que son chemisier.
Il s’agit d’Antoine. Je reconnaîtrais sa mâchoire carrée et ses beaux cheveux entre mille.
Le dessin est doux, en couleurs pastel. Les ombres délicates soulignent son sourire calme et poétique. Son regard, plus intense que l’original, nous incite à le contempler encore davantage. Quelques mèches de ses cheveux encadrent son visage et tombent devant ses yeux, mystérieux et énigmatiques.
— Ce... ce n’est... pas... pas ce que tu crois !!!!
Elle rougit de plus belle, son bégaiement est si mignon que je souris.
— Tout va bien, Vi, je ne dirai rien. Respire, tu vas nous faire une crise cardiaque, dis-je en riant, lui passant une main rassurante dans le dos.
Elle cache son visage dans ses mains. Tellement adorable. Sa timidité extrême m’a toujours touchée, et je l’adore pour ça. Elle est délicate et sensible, et ça se ressent dans ses dessins.
Le professeur entre alors, nous faisant sursauter. Il nous parle longuement de l’importance de cette année pour ceux qui veulent se spécialiser dans ce domaine, puis annonce un sujet qui me fait sourire :
Il faut dessiner le portrait d’une personne proche de nous : famille, ami, amour. Il faut qu’il y ait de l’émotion. Dans un ton monochrome, on doit donner un aspect fantasque à notre dessin, quelque chose de surnaturel.
Je lance un regard à Vivianne, qui n’ose plus me regarder.
Je souris de plus belle, prends mon crayon et mon carnet pour commencer mes esquisses.
Je réfléchis un instant, mais mon choix se fait rapidement.
Alex est devenu quelqu’un de très spécial et important pour moi.
Depuis que notre relation a commencé, je suis tantôt anxieuse, tantôt euphorique, mais surtout, je trouve la paix avec lui, et mes nuits sont plus calmes.
Surtout depuis que j’écoute en boucle la musique qu’il m’a offerte.
Je commence doucement à esquisser son visage, ses épaules, sa mâchoire, son nez, je tente diverses positions. Je finis par le faire de trois-quarts, histoire de casser les portraits de face habituels qui donnent souvent un aspect empâté aux visages, puis je me lance dans le croquis général. Pour le côté un peu fantasque, je décide de le vieillir un peu et de lui faire les cheveux plus longs, relevés en une queue de cheval, lui rajoutant également quelques piercings et la naissance d'un tatouage sur sa clavicule. Je m’imagine alors un Alex dans un look plus rock et sombre qu’actuellement, mais avec une expression sereine et apaisée, peut-être un Alex rock-star comme dans ses rêves.
Quand j’ai fini mon esquisse, je donne un petit coup à Vivianne pour qu’elle se tourne vers moi, elle se détendra sans doute si je lui révèle mes sentiments. Elle me regarde timidement avant de poser les yeux sur mon dessin et ouvre grand la bouche en le reconnaissant. Je ris doucement en mettant mes écouteurs, et en la bousculant un peu, histoire qu’elle se reconcentre sur son croquis.
Après une seconde de réflexion, je décide de faire divers aplats de bleu pour donner un côté sombre et froid à mon dessin. Je commence directement sur ma base de crayon, mon trait se mélange un peu à la couleur, ce qui donne un effet un peu flou. Je repasserai certains bords avec un bleu très sombre pour donner plus de profondeur.
Comme toujours, je suis tellement concentrée dans mon art que je n’ai pas fait attention au regard haineux que me lance Sarah de l’autre côté de la salle.
Soudain, un froid glacial me transperce le dos, je pousse un cri à demi étouffé en me levant précipitamment. Sarah se tient droite derrière moi, un sourire mauvais vissé au visage. Vivianne se lève précipitamment pour aller me chercher des serviettes, le visage blême.
Quand je lève les yeux sur Sarah, elle me sourit de plus belle, un verre vide à la main.
— Oh, excuse-moi, j'ai trébuché et mon verre s’est renversé sur toi ! lance-t-elle dans un jeu d’actrice à faire pâlir les plus grandes stars.
Je lui passe devant en lui lançant un regard noir, traversant la salle sous le regard médusé des autres et les chuchotements affligés du professeur.
Au moment où je sors de la pièce, Vivianne vient vers moi, elle n'a pas trouvé de serviette. Je lui souris gentiment tout en me dirigeant rapidement vers les toilettes.
Je claque violemment la porte en poussant un râle de colère. Je déteste cette fille. Depuis quelques temps, elle me lance des piques et me fait des vacheries franchement gamines.
Pour qui elle se prend... J’enlève mon t-shirt et le passe sous le sèche-mains en tentant de calmer le volcan qui bouillonne en moi.
Une fois sec, je me regarde dans le miroir et pousse une plainte : je suis affreuse.
Les cernes sous mes yeux sont encore plus noires que d'habitude et je suis de plus en plus pâle. Je me passe un peu d’eau sur le visage. L’eau fraîche me fait du bien et je retrouve quelques couleurs, malgré la bonne nuit que j’ai passée cette nuit, ça ne peut effacer des mois et des mois de mauvais sommeil.
Je respire un grand coup pour faire ralentir mon cœur. Heureusement pour elle, je ne l'ai pas giflée. J’aurais peut-être dû, un œil au beurre noir lui aurait fait les pieds !
Je sors des toilettes et retourne en cours tout en lissant mon haut.
Le calme de la classe est si palpable que le bruit de mon entrée ressemble à un vacarme. Toutes les têtes se tournent vers moi pour aussitôt se replonger dans leur dessin.
Je regarde l'horloge, et retourne m’asseoir tout en commençant à ranger. Il reste à peine dix minutes, ça ne sert plus à rien que je travaille.
La cloche sonne au moment où Vi finit de ranger sa palette. Nous sortons rapidement pour rejoindre les autres.
Vivianne tente de me détourner de ma colère, je la remercie du regard, mais étrangement, la colère ne redescend pas.
J'aperçois Alex parmi le groupe, je ne peux m'empêcher de sourire, sentant mon cœur accélérer, mais cette fois de manière agréable.
Il tourne son regard acier vers moi et mon ventre brûle, j’ai envie de le toucher, de l’embrasser, de passer mes doigts dans ses cheveux.
Il me lance un clin d’œil et mon sourire s’élargit davantage.
Mais rapidement, mon sang se glace dans mes veines. Sarah passe à toute allure à côté de moi en me bousculant et se jette dans les bras d’Alex.
Ce dernier la repousse en grognant, mais aussitôt elle revient à la charge. Vivianne et moi nous approchons et saluerons Alex et Antoine.
Je me tourne vers Alex qui, à ma plus grande surprise, repousse une nouvelle fois Sarah pour me prendre dans ses bras.
Une exclamation choquée s’élève de notre petit groupe, je ne saurais dire si elle venait de moi ou de Sarah.
Je n’ai même pas le temps de réagir qu’on me tire soudain brutalement en arrière.
Je me retrouve sur les fesses, au sol, sans avoir rien compris.
Quand elle se penche vers moi, rouge de colère, je soupire en levant les yeux vers elle.
— Mais pour qui tu te prends de me voler mon Alex !
— Sarah, merde, je t'appartiens pas !
Elle fait mine de ne pas l'avoir entendu et se redresse en rigolant d’un rire qui ne me plaît pas.
— Qu'est-ce qui te fait rire ? je lance, acerbe.
— J'ai entendu des rumeurs sur toi.
— Ah ouais ?
— Oui... Enfin, pas vraiment sur toi... plutôt sur ta mère.
Je manque de m'étouffer et la regarde, la bouche grande ouverte.
Je sens Emma et le reste des filles se crisper, les garçons, eux, échangent un regard interrogateur.
Antoine lance un regard atterré à Emma, qui me saisit le bras pour m’aider à me redresser.
Mais mon regard s’ancre soudain dans celui d’Alex, dont le visage affiche un air des plus interrogateurs.
— Je ne vois pas de quoi tu parles… je réponds d'une voix qui ne me ressemble pas.
Elle glousse de plus belle en croisant les bras sur son opulente poitrine.
Je me mets alors inconsciemment à prier, espérant qu’elle ne soit pas aussi horrible, que la scène qui se déroule dans ma tête ne se réalise pas.
— Tu mens très mal, Sophie ! Je sais pour ta mère et c'est franchement horrible.
Tuée dans sa propre maison ! Apparemment en plus, tu as vu son corps, tout ce sang...
Ma gorge se serre et je détourne mon regard de celui d’Alex.
— Surtout que le meurtrier court toujours... Mon père, qui connaît des gens dans la police, m’a dit qu'ils n'avaient même pas eu une piste, et que le seul témoin était ton père...
Franchement, c'est bizarre, tu ne trouves pas ?
Son sourire me fait froid dans le dos.
— Oh ! Mais si ça se trouve, c'est ton père qui l'a tuée !
Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé à ce moment précis, il y a eu comme un voile noir sur mes yeux. Je ne me souviens ni de l'élan que j'ai pris pour la frapper, ni de la sensation de sa joue sur mon poing, ni du bruit qu'ont fait sa mâchoire et son nez. Je me souviens juste du cri hystérique qu'elle a poussé, du sang qui coulait abondamment de son nez sûrement cassé. Je ne me souviens pas de mes dents s’enfonçant dans ma lèvre à me faire saigner, ni du regard des garçons ou d’Emma qui tente de me tirer loin d’elle. Mais je me souviens de son regard. Horriblement dur, horriblement chaleureux, triste pour moi, de la compassion, de la peine, ou de la pitié ? Oui, de la pitié. Il a pitié de moi. Son regard taquin et brûlant d'avant est maintenant empreint d’un profond malaise. Quoi qu'il en soit, je prends mes jambes à mon cou, le cœur tellement serré que j’ai l'impression de mourir.
Je me dirige vers nulle part, laissant juste ma respiration haletante et la douleur dans ma poitrine me guider. Je traverse la ville à toute allure, le vent gifle mes yeux tandis que j’essaie désespérément de faire disparaître les images qui envahissent ma tête. Je finis par m'engager dans la forêt sans trop savoir pourquoi, je cours si vite que je n’ai pas le temps de voir où je vais, mais à quoi bon, je veux juste fuir le plus loin possible et faire cesser ces images. Celles de ma mère dans cette mare de sang, de mon père penché sur elle, tentant de la ranimer, son visage si pâle qu’on aurait dit de la porcelaine. Je ne sais pas où je suis, il n’y a plus de chemin, plus de panneaux, juste des arbres immenses comme s’ils pouvaient m’envelopper tout entière. Je finis par découvrir une falaise, bordée d'un petit espace dégagé où aucun arbre n'a poussé, comme si eux-mêmes avaient peur de tomber dans le vide. La vue est imprenable sur le lac qui se fracasse sur la roche une centaine de mètres plus bas, l’odeur de vase me prend au nez et le bruit des vagues brouille tous les autres.
Haletante et vacillante, je m’approche du bord, un pas après l’autre, dans une lenteur qui me fait frissonner, je jette un coup d’œil en bas. L’eau déchaînée vient s'écraser désespérément sur la pierre, comme si elle voulait fuir la berge et gagner les terres. Je m’écroule à genoux dans la terre humide, des cailloux me mordent la peau mais la douleur dans mon cœur surpasse toutes les autres, le regard dans le vide. Il y a un moment de flottement avant qu’un cri déchirant sorte de ma bouche. Je tremble, ce bruit qui sort de moi ne peut pas m’appartenir, ça ne peut pas sortir de mon frêle corps. Et soudain, c’est l’évidence.
Je n'en peux plus…
Devoir jouer la comédie alors que j’ai mal, devoir sourire alors que je veux pleurer, rire alors que je veux hurler, manger alors que je veux dépérir. Pourquoi, pourquoi faut-il que ça me gâche la vie ? C'est tellement horrible de devoir subir son propre acharnement. J'ai passé tellement de temps à aider mon père à se reconstruire que j'ai oublié de le faire pour moi-même. Le vent souffle fort dans mon dos, comme pour me donner du courage. Si je saute le pas, je serai libérée de ces images, libérée de ce poids, de ces regards, de son regard. Ce regard empli de pitié qui m’arrache un autre cri, qui brise ma gorge et mon cœur. Je porte la main à ma lèvre qui saigne encore abondamment, cette chaleur qui contraste avec le froid extérieur me donne la nausée. Un sanglot me vrille le corps. Je me sens si faible, si inutile, si petite...
Un bruit me fait tourner la tête vers la lisière de la forêt. Alex, à bout de souffle, est en train de s'extraire des branches qui l’entravent. Il fixe son regard sur moi et j'y lis tellement de choses, mais surtout de la peur. Il fait bien d’avoir peur, car le vide m’attire inexorablement. Si je m’écoute, je pense que je pourrais me laisser tomber et alors tout serait enfin fini. Cette délicieuse perspective réchauffe mon ventre, que rapidement un vent glacial secoue. Que deviendrait mon père ? Il se retrouverait seul, anéanti. Il aurait perdu l’amour de sa vie et sa fille. Je ne peux pas lui faire subir ça. Un rire amer m’échappe, car comme toujours je ne peux m’en empêcher : d'abord les autres, et après moi. Je me lève difficilement, chancelante et affaiblie. Il s’avance rapidement vers moi, tend une main et me dit d'une voix calme mais stricte :
— Sophie, viens. On rentre.
Je le regarde un instant, complètement perdue. Pourquoi il fait ça ? On ne se connaît pas, il ne sait rien de moi, et j’en sais si peu de lui. Alors pourquoi ? Pourquoi je ne peux me passer de lui ? Je pousse une plainte déchirante, et il s’avance un peu plus à ma rencontre, le visage si pâle.
— S’te plaît, viens, reste pas près du bord...
Son regard, il me regarde avec une telle intensité que j’en frissonne, mais ça ne suffit pas. Ça ne suffit plus. Malgré la pensée de laisser mon père seul, le vide derrière moi me tend les bras, m'offrant un sommeil éternel et un vide calme et apaisant. Je recule d’un pas, mais il se jette sur moi, saisissant violemment mon bras qu’il tire si fort que je suis propulsée contre lui, nous faisant basculer vers la forêt. Le choc me coupe le souffle et un cri m’échappe. Prise d’hystérie, je me mets à me débattre. Sa chaleur me brûle, j’ai si mal, si mal, je hurle à m’en arracher les poumons. Il raffermit sa prise et enfouit son visage dans mes cheveux en se mettant à fredonner. Un hoquet m’échappe, car c’est la chanson qu’il m’a écrite, celle qui chasse les cauchemars et le noir, celle qui me fait tant de bien, celle qui me sauve petit à petit. Je ne sais pas combien de temps nous restons ainsi, lui m’enlaçant de toutes ses forces en chantant doucement, et moi, le corps parcouru de soubresauts et de pleurs. Au fur et à mesure, mes tremblements cessent et ma respiration reprend un rythme normal.
Quand je pose mes mains tremblantes sur ses épaules, ma tête est enfin vide d’images.
— Et si on rentrait maintenant ?
Son murmure caresse ma nuque. J’hoche doucement la tête, vidée de toute mon énergie. Nous nous relevons, il enlace mes épaules avec force, et nous nous éloignons de cette falaise qui a bien failli être ma fin.
Dans son salon, la chaleur me brûle presque la peau tellement je suis gelée. Les jappements inquiets de Démon sont vite maîtrisés par Alex, qui disparaît rapidement dans sa chambre et en ressort quelques instants plus tard avec un jogging et un t-shirt ample.
— Viens, faut que tu prennes une douche sinon tu vas attraper froid.
J’hoche la tête, hébétée, il me tire doucement et me pousse dans la salle de bain en refermant derrière moi. La pièce sent fort Alex. Sur les étagères devant le miroir, une myriade de flacons de parfum, une brosse à dents, du dentifrice et quelques peignes et brosses à cheveux.
Je me déshabille machinalement et les pose sur le radiateur avant de me glisser dans la cabine de douche. Quand l’eau chaude se déverse sur moi, un violent frisson me parcourt et je me frictionne énergiquement les bras.
Je dois être restée quelques minutes, mais déjà mon corps réchauffé me remercie, je sors rapidement, me sèche et m’habille.
Timidement, je retourne dans le salon où Alex m’attend, une bière à la main. Il me sourit en me voyant arriver.
— Mes fringues ne te vont pas du tout !
— Elles ne soulignent pas assez ma superbe silhouette, effectivement !
Nous rions doucement, et je m’assois à côté de lui. Il me tend une bière qu’il décapsule habilement, j’en bois une longue gorgée qui soulage ma gorge endolorie, tous mes cris ont fortement irrité ma trachée.
Au bout de quelques secondes de silence, il se lève vers sa chambre. Il revient avec sa guitare à la main. Il pose également un petit baume pour ma lèvre, je le remercie et en mets une couche dessus.
Puis il se cale un peu plus proche de moi et commence doucement à gratter les cordes. Il ajuste un peu les accords puis se met à jouer.
Il a également sorti un petit carnet de dessous la table basse. Il est couvert d’annotations, de notes de musique, de bouts de chansons, de paroles par-ci par-là.
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