Chap 8 partie 1 - Réveil mouvement

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J’ouvre difficilement les yeux et, aussitôt, la lumière m’éblouit. Je les referme vivement en posant ma main devant. J’ai mal au crâne. J’essaie de me redresser, mais mon corps est lourd comme une pierre. Je rouvre les yeux et regarde autour de moi. Ce n’est pas ma chambre. C’est une petite chambre d’hôpital, blanche et aseptisée. À côté de moi, des moniteurs mesurent mon rythme cardiaque et ma respiration. Une perfusion à la couleur étrange tire sur ma peau. J’ai la bouche pâteuse et aucun souvenir de la façon dont je suis arrivée ici.

La porte s’ouvre et une infirmière entre. Son regard se pose sur moi, et un grand sourire bienveillant et rassurant apparaît.

— Bonjour, comment vous vous sentez, mademoiselle ?

— Heu… Je… Qu’est-ce que je fais ici ?

— Vous avez fait un malaise pendant un cours de sport, et on vous a emmenée ici.

— Oh… Et… Je suis ici depuis combien de temps ?

— Juste une journée. Vous avez dormi et semblez aller mieux. On vous a fait des analyses et on a trouvé quelques incohérences — rien de grave, ne vous inquiétez pas. Mais dès que votre père sera là, il faudra que nous lui parlions. Par ailleurs, votre corps est extrêmement fatigué. Vous devriez encore dormir un peu. Je vais prévenir votre père que vous êtes réveillée.

— Je… D’accord. Et mon père est venu me voir ?

— Oui, dès que nous l’avons appelé, il est venu. Mais il est reparti chez vous prendre quelques affaires.

— Okay… Merci.

— Je vous en prie. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, appuyez sur la poire à votre droite.

Je tourne la tête et effleure du doigt ladite poire, avant de remercier en silence la dame qui sort aussitôt de la chambre. Je me rallonge sur le lit en fixant le plafond. J’ai atrocement mal à la tête, et mes yeux se ferment tout seuls. Je replonge dans les bras de Morphée.

« Je marche dans la neige. Elle s’écrase sous mes pas, qui s’enfoncent presque jusqu’à mi-hauteur. Je regarde derrière moi les traces que je laisse. Je suis seule. Le silence de la forêt me fait frissonner de plaisir. Je respire de mieux en mieux à chaque pas. L’air glace mes poumons, j’ai le cœur lourd et un goût amer dans la bouche.

J’avance entre les arbres. Le temps semble suspendu. La forêt dort, et j’en profite pour la contempler dans son écrin blanc. Un bruit résonne. Je me retourne, mais il n’y a personne. Je continue d’avancer, guidée par mon instinct.

Je suis fatiguée, alors je m’assois par terre. Le froid de la neige traverse mon jean. Je n’ai pas mon manteau, mais je m’en fiche. Je m’allonge dans la neige, fixant le ciel étoilé. Un nouveau bruit se fait entendre, mais je ne bouge pas. Un mouvement à ma gauche. Une vive chaleur m’envahit, et je me redresse.

Il porte un masque sur le visage. Ses cheveux noirs dansent dans le vent. Il ne bouge pas, il se contente de me fixer à travers les deux fentes de son masque blanc, qui tranche avec sa silhouette noire.

Je me lève et m’approche de lui. Il ne fait aucun mouvement. Je ne le vois même pas respirer. Je pose ma main sur sa poitrine… mais je ne sens rien. Aucune chaleur, aucun battement de cœur. Rien. Étrangement, je n’ai pas peur. Ses yeux brillent et bougent lentement, examinant mon visage. Il recule d’un pas et tape sur sa poitrine. Aussitôt, elle se fissure. J’écarquille les yeux et me jette sur lui… mais je me cogne à un mur invisible. Il tape une seconde fois : un morceau de son torse tombe au sol. J’hurle d’horreur. Il tape encore, et son buste vole en éclats, laissant place à un trou béant.

Il y plonge la main, tandis que je fonds en larmes. Il en sort une masse informe, rouge et noire, et me la tend. Mais le mur m’empêche de l’atteindre. La chose dans sa main commence doucement à se disloquer, des morceaux tombent au sol dans une cascade carmin.

Je n’y comprends rien et je me mets à frapper de toutes mes forces contre la vitre. Mes mains se couvrent de blessures, et le sang coule le long du mur. Il tombe à genoux. La chose qu’il tenait s’est éparpillée à ses pieds. Il pose son autre main sur son masque et l’enlève. Mon cœur rate un battement quand il me sourit tristement. Des larmes de sang coulent sur ses joues. J’hurle comme une folle en frappant encore et encore ce foutu mur. Je ne sens plus la douleur. Et quand un craquement violent retentit, je ne m’arrête pas.

Mes mains sont en sang quand une fine fissure apparaît enfin sur la vitre. Je recule… et me jette, épaule en avant, contre le mur. Il explose en une multitude d’éclats de verre qui m’écorchent l’épaule et le visage. Je tombe tête la première dans la neige, mais me redresse aussitôt. Je regarde autour de moi et le vois allongé dans la neige. Il ne bouge plus. Je le prends par les épaules et le retourne. Mais aussitôt, je pousse un cri d’horreur. Une grande partie de son buste a éclaté en morceaux, et son visage commence à se fissurer.

Je le serre dans mes bras. Et cette fois, j’ai si peur… Tellement peur… »

Je me redresse sur mon lit en criant. Je suis couverte de sueur, je me tiens la poitrine et touche mes joues, me souvenant de la sensation des larmes qui y coulaient. Je respire avec difficulté, lorsqu’une main se pose sur mon épaule. Je sursaute et tourne la tête : c’est mon père, qui me regarde avec inquiétude. J’essaie de lui sourire, mais je ne réussis qu’à faire une grimace, ce qui le fait rire. Il prend mon visage entre ses mains, et la fraîcheur de ses doigts me fait un bien fou.

Il me fixe longuement, sans oser dire quoi que ce soit. Comme d’habitude, il ne me demande rien. Il attend que je parle. Je déglutis difficilement et lui lance :

— T’inquiète, papa. J’ai juste fait un mauvais rêve. Super bizarre, d’ailleurs…

— Tu t’es évanouie…

Je le regarde gravement, saisis ses mains dans les miennes et les caresse. Je frissonne un peu.

— Oui, c’est vrai… Je… Je ne sais pas ce qui se passe…

— Tu es si pâle, chérie…

— Je me doute. L’infirmière a dit qu’il fallait voir un médecin. Je vais les appeler.

Je saisis la petite poire à côté de moi et la presse. Quelques minutes plus tard, une infirmière, suivie d’un médecin, entre dans ma chambre. Ils refont les analyses, et le verdict tombe. Je suis atteinte d’hypothyroïdie. S’ensuit tout un charabia médical que ni moi ni mon père ne comprenons. Le médecin se racle la gorge et reprend :

— Pour faire simple, votre corps pense que votre thyroïde est un corps étranger et l’attaque. Résultat : vous ne produisez plus certains éléments vitaux pour votre organisme. Cela a probablement été déclenché par un stress répété. Avez-vous remarqué des symptômes comme la fatigue, les crampes, les pertes de mémoire, de la déprime, une sensibilité au froid, des migraines, une soif extrême ou autre ?

Je me tourne vers mon père, le visage livide. Tout s’explique. Ma fatigue, mes malaises, mon hypersensibilité, ma sorte de dépression… Tout. Le stress lié à ma mère, mes nuits sans sommeil… Tout m’a rendue malade. Je plaque ma main sur ma bouche en hochant la tête, honteuse et coupable.

— Ça fait des années que je ne dors plus bien, que je suis stressée et déprimée, mais… Je pensais que…

Je me tourne vers mon père. Il comprend. Lui et moi avons toujours pensé que mon état venait de la mort de maman. Et c’était vrai… mais ma volonté de ne pas en parler, de continuer coûte que coûte, n’a fait qu’empirer les choses.

— Mais… Ça se soigne, docteur ? réplique soudain mon père, la voix inquiète.

— Tout à fait, ne vous en faites pas. Il existe un traitement hormonal à prendre tous les jours, à vie. Pour commencer, nous allons faire des analyses plus poussées pour écarter tout risque de crise cardiaque. Ce médicament est déconseillé dans ce cas. Ensuite, nous vous donnerons une dose de base, que nous réajusterons dans environ huit semaines. Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer.

Il s’approche de mon lit et pose une main chaude et rassurante sur mon épaule. Puis, il nous décrit en détail le quotidien qui va désormais être le mien. Une heure plus tard, vidée de toutes mes forces, mon père suit l’infirmière pour remplir les papiers et récupérer mes médicaments. Allongée sur mon lit, je fixe le plafond, la gorge nouée. Un élan de soulagement me submerge soudain. Je suis malade. Mais ça se soigne. Un sanglot brise le silence de la chambre, suivi d’un rire nerveux, presque soulagé. Je presse mes mains contre mon visage et pousse un long soupir. Grâce à ces médicaments, je devrais retrouver un certain équilibre d’ici trois semaines.

Enfin. Enfin, je vais aller mieux. Je me redresse et fouille frénétiquement les poches de mon pantalon. J’en sors mon portable et écarquille les yeux en découvrant la multitude de messages et d’appels en absence.

10h21 – Emmi : Mais qu’est-ce qui s’est passé aujourd’hui ? Marie a dit que tu avais fait un malaise, ça va ?

11h56 – Vi : Apparemment tu ne te sens pas bien, on peut venir te voir à l’hôpital ?

12h38 – Emmi : Mais enfin Sophie, réponds, est-ce que tout va bien ???

13h42 – Emmi : Chérie, réponds s’il te plaît, je m’inquiète…

15h10 – Marie : Alors miss, ça va mieux depuis ce matin ?

15h27 – Inconnu : Bonjour Sophie, c’est Antoine. Tu n’as sûrement pas mon numéro, alors je te l’envoie en prenant de tes nouvelles. Il paraît que tu ne vas pas bien ? Repose-toi et reviens-nous vite. Bien à toi, Antoine.

16h36 – Emmi : Je vais te tuer si tu réponds pas !

17h02 – Emmi : Je t’en supplie Sophie, réponds, je suis morte d’inquiétude !

17h26 – Emmi : Réponds, nom de nom !!!!

17h54 – Emmi : Sophie !!!!! Réponds !!!!! Je vais mourir sinon !!!!

18h11 – Emmi : Bon, je fonce chez toi voir ce qui se passe. Je t’y attends, mais pitié, dépêche !!!!

Décidément, elle s’inquiète beaucoup trop ! Je relis les messages, le cœur serré, et je suis attristée de ne pas voir le nom d’Alex. Il est forcément au courant. Alors pourquoi ne pas avoir pris de nouvelles ? Je soupire bruyamment, puis j’appuie sur le nom d’Emma et porte le téléphone à mon oreille. Elle répond presque instantanément.

— Sophie, enfin ! J’étais si inquiète, t’es où ?!

Le hurlement d’Emma m’arrache un grognement, et j’écarte aussitôt le téléphone de mon oreille, le temps qu’elle se calme un peu.

— Désolée, Emmi. Je suis encore à l’hôpital, mais je pense que je vais bientôt sortir.

— Mais enfin, il t’est arrivé quoi ?

— Je… En fait, je suis malade. C’est pas grave, je m’empresse d’ajouter en l’entendant lâcher un sanglot. J’ai un problème à la thyroïde, et ça a foutu un peu le bordel dans mon corps. Mais il y a un traitement. Apparemment, on vit très bien avec. Il faut juste faire un peu attention.

— Tu… Tu es sûre ? Je l’entends renifler de l’autre côté du téléphone, et son inquiétude réchauffe mon cœur.

— Oui, ne t’inquiète pas. Je serai juste sous traitement à vie.

— Si ça te soigne, tu feras avec !

— Oui. Tant que ce n’est rien de plus, ça me va. Tu sais que je n’aime pas les médicaments.

— Oui, je sais… J’ai eu si peur.

— Je suis désolée. J’ai dû faire flipper tout le monde…

— Oh oui ! Tu vas avoir des comptes à rendre.

On éclate de rire, et elle semble se calmer un peu. Mais avant que je n’enchaîne sur un sujet moins angoissant, je la sens hésiter au bout du fil.

— Tout va bien, Emmi ?

— Je… Écoute, j’ai quelque chose à te dire, mais… j’ai tellement peur que tu m’en veuilles…

— Pourquoi je t’en voudrais ? Dis-moi, ça peut pas être si horrible que ça.

— Si, Sophie... C’est grave. Tellement grave que si je te le dis, j’ai peur de te perdre…

Je me redresse sur les coudes, le ventre noué.

— Là, c’est toi qui me fais peur… Qu’est-ce qui se passe ? Dis-moi…

— Tu me promets de ne pas te mettre en colère ?

— Non, je peux pas promettre ça…

— Ahah, je m’en doutais… Je… Tu te souviens de ce coup de fil, il y a quatre mois ? Cette soirée où on devait sortir, mais finalement ça ne s’est pas fait car j’ai eu une urgence ?

— Oui… Le truc que t’as jamais voulu m’expliquer.

— Oui ben… en fait, le cousin de Maxime et d’Antoine travaille dans la police. Je lui avais parlé de ta mère… et de tout ce qui tourne autour de ce putain de meurtre qui te bouffe complètement — et ne nie pas, je le vois bien...

Entre-temps, je me suis rallongée sur le lit, fixant le plafond.

— Je lui ai demandé de faire des recherches. Vu que je suis la petite amie de son cousin, il a bien voulu. Et… il n’a rien trouvé dans les bases de données de la police locale. Mais… en fouillant un peu plus loin, il a découvert des similitudes avec d’autres meurtres. Des meurtres qui se sont produits avant… et après celui de ta mère.

Silence. Elle attend sans doute que je digère l’information. Alors en fait… le meurtre de ma mère n’était pas un hasard. Il s’agit d’un tueur en série. Ma gorge se serre, ma respiration se bloque.

— Ils… ils ont déjà arrêté des suspects, mais ils ont toujours été relâchés, faute de preuves. Sauf que sur les lieux du meurtre de ta mère… ils ont trouvé de… de l’ADN. Qui coïncide avec un suspect.

— Quoi ?! Je me redresse si vite que l’intraveineuse s’arrache de mon bras. Je n’y prête même pas attention.

— Sophie, calme-toi !

— Mais comment tu veux que je me calme !!! Ils ont des preuves et personne ne nous en a parlé ?! J’y crois pas !

— So… Sophie…

— QUOI ?!

— Ils en ont parlé avec ton père… C’est lui qui a demandé **le relâchement du suspect…

J’ouvre grand la bouche, complètement abasourdie.

— Sophie, t’es encore là ? Allô ? Allô !!!

La porte de ma chambre s’ouvre. C’est mon père. Mon sang ne fait qu’un tour. Avant même de réfléchir, je me lève et l’empoigne par le col de sa chemise, si violemment qu’il recule contre la porte coulissante.

— C’est quoi cette putain d’histoire de suspect et du meurtre de maman ?!

Sa bouche s’ouvre et se referme comme celle d’un poisson. Son regard est hagard, dépassé. Quand je vois son visage blêmir, ses lèvres se pincer, ma gorge se serre. Cette réaction dit tout. Bien plus que des mots.

Je le lâche et retourne m’asseoir sur le lit. Mon sang cogne à mes tempes, j’ai l’impression de brûler de l’intérieur.

Au loin, j’entends Emma m’appeler dans le téléphone. Je le reprends.

— Je te rejoins chez moi.

— Je t’attends…

Je pousse un long soupir tremblant et me prends la tête entre les mains. Puis je finis par me lever et m’habiller.

— On rentre.

Il ne dit pas un mot. Il se contente de me suivre à travers l’hôpital jusqu’à notre petite voiture. Le trajet se déroule dans un silence épouvantable. Heureusement, nous arrivons vite chez nous.

Emma est là. Je la prends dans mes bras et lui murmure que tout va bien. Que je ne lui en veux pas. Puis je l’entraîne avec moi dans ma chambre. Derrière nous, mon père entre comme un zombie et s’assoit à la table de la cuisine. Une fois dans ma chambre, je sors un grand sac en tissu du fond de mon armoire et commence à le remplir. J’entends derrière moi Emma prendre mon sac de cours et filer dans la salle de bain pour y glisser mes affaires de toilette.

Je fourre autant de vêtements que possible, puis je récupère la majorité de mon matériel d’art. Je vais en avoir besoin, je le sens.

Une fois mes sacs prêts, je descends les escaliers, Emma sur mes talons. Je me tourne vers mon père et saisis le sac en papier qu’il a posé sur la table.

— Mes médicaments et les consignes ? je demande d’un ton cassant.

— Oui, répond-il dans un souffle.

Je range le tout dans un énième sac, puis, sans un regard en arrière, je sors.

Dans la rue, seul le bruit des talons d’Emma résonne. Instinctivement, je me dirige vers chez elle… mais un autre visage s’impose à moi. Alex. Je m’arrête net au milieu de la rue. Emma se tourne vers moi. Elle comprend. Elle tend la main, prend mon sac, et m’embrasse bruyamment sur la joue avant de reprendre difficilement son chemin.

Je lui fais un triste sourire et me dirige vers chez lui. Dans ma tête résonne la mélodie qu’il a composée. Elle m’apaise. Je commence à la connaître par cœur.

Je marche, les mains dans les poches, le regard droit. J’ai envie de le voir. Mais j’ai si peur… J’arrive devant chez lui, monte les escaliers et toque le plus vite possible, avant que le doute ne m’arrête. Du bruit à l’intérieur. Un verrou s’ouvre… et il apparaît. En caleçon, les cheveux en vrac. Quand il se rend compte que c’est moi, il ne dit pas un mot. Et moi, comme une idiote, je souris devant son air complètement paumé. Encore du bruit, comme s’il enfermait Démon dans la salle de bain. Puis je la vois. Sarah. Elle surgit, vêtue d’un grand t-shirt — sans doute un des siens. Quand elle m’aperçoit, elle affiche un sourire satisfait qui me tord le ventre. Elle s’approche, passe ses bras autour de la taille d’Alex, qui n’a pas bougé d’un millimètre.

— Je t’attends dans la chambre, lui susurre-t-elle à l’oreille, avant de me lancer un clin d’œil et de disparaître dans l’obscurité de son appartement.

Je ne dis rien. Lui non plus. Voilà pourquoi Démon n’est pas venu me dire bonjour. Il l’a enfermé… pour pas qu’il morde cette garce.

Je me sens horriblement mal. Mon cœur me fait si mal que je ne peux m’empêcher de poser ma main sur ma poitrine. Les mots m’échappent dans un souffle douloureux :

— Je t’aime, putain.

Je le fixe. Et ce que je lis dans son regard me brise. Alors je détourne les yeux.

— Tu aurais pu me le dire… J’aurais compris, tu sais. J’ai l’habitude qu’on me jette.

Je lui adresse un sourire bancal et commence à m’éloigner.

— Je… excuse-moi…

Je dévale les marches à toute vitesse, mais il me rattrape à mi-chemin, pieds nus, sa main retenant ma fuite par le poignet.

— Sophie, laisse-moi t’expliquer.

Je retire violemment ma main et lui jette un regard noir. Un vent glacial vient de tomber une nouvelle fois sur moi. Après la trahison de mon père, voilà que c’est son tour. La douleur a laissé place à une colère sourde.

— Me parle pas, putain ! Tu te rends pas compte que j’essaie de garder mon calme, et c’est pas gagné…

— Sophie, écoute-moi. Il tente de reprendre ma main.

— Non, lâche-moi.

Je me recule d’un bond et dévale le reste des escaliers. J’entends ses pas me suivre. Je me retourne de nouveau pour lui faire face, mes barrières sont toutes tombées. La colère me dévore l’estomac. Ça y est. Ils m’ont mise en colère. Une colère que je n’ai ressentie qu’une fois. Il y a longtemps.

— Arrête de me suivre ! Tu comprends pas que si tu continues, je risque de te foutre mon poing dans la gueule ?!

— Eh ben vas-y !

Il ne m’en faut pas plus. J’enjambe les quelques mètres qui nous séparent et lui balance mon poing en pleine figure. Il titube en arrière, le regard choqué. Il ne pensait sûrement pas que j’oserais… et pourtant. Je serre le poing à m’en faire mal. Je ne bouge plus, me contentant de le fixer avec colère. Il se redresse, la main pressée contre son nez, et me lance un regard noir en se plantant devant moi, le torse bombé.

— Putain, mais t’es complètement conne !

Le deuxième coup part sans que je m’en rende compte. Il titube de nouveau, poussant un râle de douleur.

— Et toi, t’es qu’un putain de baiseur du dimanche ! Tu ne penses qu’à toi, espèce d’égoïste ! Tu te rends même pas compte de ce que tu fais subir aux autres !

Je serre les dents. J’ai tellement mal… tellement mal que j’ai l’impression que mon cœur va exploser. Je détourne le regard et reprends ma route, le cœur au bord des lèvres, un goût de bile dans la bouche. J’ai envie de pleurer, de crier, de tout sortir de ma tête.

Je l’entends me suivre, mais je n’en tiens pas compte. Je continue d’avancer. Mais quand je sens ses bras m’enlacer, un hoquet de surprise m’échappe.

— Lâche-moi ! Lâche-moi, putain !

— Non ! Laisse-moi t’expliquer, merde !

— Expliquer quoi ? Que tu me mens depuis le début ? Mais merde, y avait rien à expliquer ! Si tu voulais juste t’amuser avec moi, t’avais pas besoin de me mentir en disant que je te plaisais !

— Mais tu me plais ! Je… je t’aime aussi !

— Menteur ! Menteur, menteur, menteur !!! Ma voix se brise sur ce dernier mot, et je me mets à suffoquer dans ses bras.

Je veux fuir. Ne plus sentir sa chaleur contre moi. Elle me brûle. Je me débats, mais dans cette position je n’arrive à rien. Et cette journée m’a épuisée.

J’essaie de lui donner un coup de pied, mais c’est comme frapper dans le vide.

— Pourquoi… Pourquoi t’as fait ça ? Ma voix est si faible que je ne sais pas s’il m’entend. Après ce qu’a fait Sarah, t’aurais au moins pu en choisir une autre… Putain… pourquoi tu m’as dit tout ça, si c’était pour aller voir ailleurs après ?

— Sophie… Écoute, s’il te plaît.

— Non ! T’as perdu le droit que je t’écoute à partir du moment où t’as couché avec cette garce !

Je me redresse brutalement et lui envoie l’arrière de ma tête dans le nez. Il pousse un souffle rauque et me lâche. Je ne réfléchis pas, je prends mes jambes à mon cou et je cours. Jusqu’à en perdre le souffle. Je rentre chez Emma. Le ciel se couvre, le froid tombe d’un coup, et j’en ai la chair de poule. J’arrive devant chez elle juste quand la pluie commence à tomber. J’entre sans frapper et me rue dans sa chambre. Elle n’est pas là. Tant mieux. Je prends mon matériel d’art et m’installe pour dessiner, pour expulser tout ce chaos. Mais rien ne vient. Page blanche. J’ai tellement de choses à sortir que je ne vois pas comment les mettre sur le papier.

Je balance mes crayons à travers la pièce et me jette sur le lit d’Emma. J’inspire profondément son odeur qui me donne envie de dormir. Je prends un de ses oreillers et le plaque contre mon visage. Et je crie. Je crie comme une folle, si fort que ma voix déraille. Je crie encore et encore, jusqu’à ce que ma gorge me brûle. Mon téléphone vibre. Je le prends… puis le laisse tomber aussitôt.

C’est Alex. Il vibre encore. Puis encore. Encore. Je finis par le saisir et l’éteindre avant de le laisser retomber au sol. Le bruit remplit la pièce, et soudain, je me sens affreusement seule.

Je lève les yeux au-dessus de l’oreiller. La chambre d’Emma me paraît immense. Vide.

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