Chap 12 partie 1 - Soleil

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Quand je sors de ma torpeur le lendemain matin, un violent mal de crâne me vrille le cerveau. Je me tourne dans les draps et trouve un bras trop poilu pour que ce soit celui d’Emma. J’ouvre un œil et toute la soirée m’explose en pleine tête. Alex est endormi à côté de moi. J’aimerais pouvoir dire paisiblement, mais il fronce les sourcils dans son sommeil, un bras au-dessus de la tête et les jambes emmêlées dans les draps. Je me blottis contre lui, il grogne un peu mais son autre bras m’enlace les épaules, m’attirant plus encore à lui. Je sombre presque instantanément de nouveau dans le sommeil.

Lors de mon second réveil, un trait lumineux barre en deux le lit. Je suis dos à un Alex qui m’enlace fortement. Je souris doucement, ma tête ne me fait plus mal et je décide qu’il faut d’urgence que j’aille aux toilettes. Je réussis tant bien que mal à me dégager de l’emprise d’Alex et fonce aux toilettes pour me soulager. Puis je me passe un coup d’eau sur le visage et les bras pour finir de me réveiller, j’avale également habilement mon caché. Dans le reste de l’appartement, le silence règne, là où hier la musique et les rires étaient maîtres. Je me rends dans sa cuisine et réussis, au bout de quelques essais, à faire marcher sa machine à café. Elle ronronne bruyamment tandis que je fais couler deux cafés. Le bruit a dû être trop important, car en me retournant, je vois un Alex, la mine endormie, en bas de jogging. Je laisse mes yeux vagabonder un moment sur son torse fin et musclé, puis lui tends la tasse sans interrompre mon observation.

— Bonjour, je lui lance en portant ma propre tasse à mes lèvres.

— B’jours.

Il prend la tasse et remonte un peu son jogging glissant. Il frotte ensuite sa bouille et boit une longue gorgée de café. Quand il pose les yeux sur moi et qu’il constate où mes yeux sont posés, un large sourire éclaire son visage.

— T’admire le paysage à ce que je vois !

— Bah, sinon fallait mettre un t-shirt, gloussais-je en relevant les yeux vers son visage.

Après quelques instants passés à boire notre café en silence, encore à moitié endormis, je retourne me glisser sous la couette. Le matelas est tiède, confortable, et l'odeur d'Alex imprègne les draps. Il ne tarde pas à me rejoindre, abandonnant sa tasse vide sur le plan de travail. Il se glisse contre moi, me cale contre son torse d’un geste lent, presque machinal, comme s’il n’avait jamais su dormir autrement.

— Ça devrait être interdit d’être debout avant dix heures pendant les vacances, marmonne-t-il en enfouissant son visage dans mes cheveux.

Je ris doucement et frotte mon nez contre son torse nu. On reste ainsi, bercés par le silence et le poids rassurant de l’autre. Puis sa voix grave, encore rauque de sommeil, rompt doucement le calme, son haleine caféiné me pique le nez :

— Et toi, princesse rebelle, t’as prévu quoi pour ces vacances ?

Je fais mine de réfléchir en traçant des cercles du bout du doigt sur son ventre.

— J’aimerais... partir un peu. Prendre l’air. Aller à la plage. Juste moi, l’eau, le vent, les mouettes. Pas de bruit, pas de monde.

Il recule légèrement pour plonger son regard dans le mien, curieux.

— Toute seule ?

Je hoche la tête avec un petit sourire.

— Ouais. J’ai besoin... de solitude, je crois. Juste quelques jours. Respirer. Me retrouver.

Il hoche la tête lentement, compréhensif. Aucun reproche, aucun doute dans ses yeux, juste cette douceur un peu sauvage qui lui appartient et que j’apprécie de plus en plus.

— T’as raison. Si t’as besoin, fais-le.

Il dépose un baiser léger sur mon front, puis glisse ses bras un peu plus fort autour de moi, comme s’il voulait m’empêcher de filer.

— Promets-moi juste une carte postale bien kitsch. Tu sais, avec des dauphins qui sourient devant un coucher de soleil rose fluo.

Je ris doucement, le nez contre sa peau.

— Marché conclu. Mais je te préviens, j’en choisirai une vraiment horrible.

— Parfait. Je la collerai au-dessus de mon lit. En souvenir de ta fugue romantique avec les mouettes.

On reste encore un moment allongé, bercés par la chaleur et le silence. Nos souffles calés l’un sur l’autre. Puis je sens ses doigts bouger. Un frôlement. Léger. Trop léger.

— Alex, je te vois venir...

— Moi ? Jamais.

Trop tard. Ses doigts s’attaquent à mes côtes. Chatouilles. Traîtres. Je me tortille en riant, incapable de me défendre correctement.

— Arrête ! Je vais hurler !

— Avoue que t’es ultra-sensible !

— Non, t’es juste un tricheur !

J’essaie de riposter, d’atteindre ses cheveux, de le déstabiliser, mais il me plaque doucement sous lui, hilare, son rire contre ma gorge. On roule dans les draps comme deux ados stupides. Finalement, à bout de souffle, rouge et battue, je capitule, les bras en croix.

— Ok… tu gagnes. Mais t’as aucun honneur.

— Ok, j’abandonne, sale brute !

Il m’embrasse rapidement le nez, le front et les lèvres, triomphant, puis se redresse.

— Allez, princesse, si on veut pas arriver en loques voire Emma, faudrait penser à se laver.

Il disparaît dans la salle de bain, me laissant au lit, encore groggy de notre bataille. J'entends l'eau de la douche couler, les gouttes frappant le carrelage dans un bruit apaisant.

Quand vient mon tour, je traverse l’appartement en traînant des pieds. La salle de bain est saturée d'une vapeur chaude et de l’odeur entêtante d’Alex : un mélange de gel douche au bois de cèdre et de lui, simplement. Ça me tourne un peu la tête. Je me lave rapidement, sentant sa présence jusque dans les murs. En sortant, je le trouve déjà prêt, jean noir, t-shirt sombre, ses cheveux encore humides ébouriffés n'importe comment. Il me tend un sweat trop grand que j’enfile sans protester. On échange un baiser rapide, tendre mais chargé d’une promesse silencieuse, avant de quitter son appartement main dans la main.

Le Diana’s nous accueille avec ses lumières chaleureuses et son odeur de café frais. Emma est déjà installée à notre table habituelle, une canette de soda entamée devant elle. Elle agite la main dès qu’elle nous voit.

— Hééé ! Vous êtes en retard, bande de traînards !

Alex lève les yeux au ciel tandis que je ris doucement. On s’installe et commandons chacun quelque chose à grignoter.

— Antoine ne vient pas ? je demande en zieutant la salle.

Emma secoue la tête, sourire en coin.

— Non, il est en mode ermite. Il écoute et bosse sur votre morceau depuis l’aurore, apparemment. Il veut le peaufiner avant de nous le faire écouter.

Un petit frisson d’excitation me parcourt. Ce morceau... c’est un peu le nôtre. Alex me donne un léger coup de genou sous la table, complice.

— T’inquiète, il va en faire un chef-d'œuvre, marmonne Alex avec un sourire fier.

Je ris, secouant la tête, puis, entre deux gorgées de soda, je leur parle de mon projet de road trip. Je leur explique mon envie de partir un peu seule, de respirer l'air salé de l’océan, de sentir le vent me fouetter le visage sans avoir de comptes à rendre à personne.

Emma m’écoute avec des yeux ronds.

— Genre, vraiment toute seule ?! s’exclame-t-elle en reposant bruyamment sa canette.

— Oui, je confirme, dis-je en riant. Vous allez survivre sans moi, promis.

— Survivre, peut-être, soupire Emma d’un air dramatique, mais boire tout ce café toute seule au Diana's ?! Jamais !

Alex hoche la tête, sérieux malgré son sourire.

— Faut juste que tu sois prudente, princesse. Prends une trousse de secours, une lampe torche, et promets que tu m’enverras un message tous les jours.

— Ouais, ouais, papa, je ricane en lui tirant la langue.

— Tu m’appelles encore une fois papa, et c’est moi qui t’attache dans le coffre, rigole-t-il en me lançant une frite au visage.

On éclate de rire tous les trois. Mais au fond, je sais que leur inquiétude n’est pas feinte et quelque part, ça me réchauffe le cœur. Ils commencent à m’aider à organiser tout ça, à me donner des idées de plages où aller, de musique à mettre dans la voiture, de sandwichs à préparer pour la route.

— Mets au moins une playlist décente, me prévient Alex avec un regard faussement sévère. Pas un enchaînement de boys bands pourris, hein ?

— Oh mais si, imagine-toi Alex chanter du vieux pop des années 2000, se moque Emma en éclatant de rire.

Je lève les yeux au ciel.

— Comptez sur moi pour vous envoyer des extraits !

Nous rions de plus belle, la salle bruisse doucement de conversations étouffées et d’une musique jazz en fond. À notre table, près de la fenêtre, nous étions tous les trois en pleine conversation, un peu tassés sur la banquette en cuir élimé. Une fois l’organisation de mon petit voyage terminée, nous parlions de choses et d’autres. Alex sirotait distraitement sa canette, le regard parfois perdu sur la foule du bar, parfois accroché au mien avec ce sourire en coin qu’il réservait aux instants calmes. Emma, de son côté, grignotait des frites tout en agitant les bras avec passion, mimant une anecdote improbable sur son voisin de table en cours.

— Non mais je vous jure il a sorti son sandwich au thon en plein milieu du devoir surveillé ! On était en train de mourir vue l’odeur !

Elle riait beaucoup, et sa bonne humeur était contagieuse ; je me surpris à sourire sans raison précise, juste parce qu’elle était là, et que tout semblait si facile dans ces moments-là.

Le froid restait collé aux vitres, mais ici, autour de notre table en désordre, la chaleur humaine effaçait l’hiver. Nos verres se vidaient lentement, nos assiettes se couvraient de miettes. De temps en temps, Alex se penchait vers moi, frôlant ma main du bout des doigts sous la table, un geste discret mais brûlant qui faisait bondir mon cœur à chaque fois. Emma, bien sûr, ne loupait rien de nos échanges, arquant un sourcil complice mais sans rien dire. Ce genre de sortit avait quelque chose d’irréel, comme un cocon hors du temps, où les rires et les regards suffisaient à remplir l’espace.

La journée a filé trop rapidement, comme du sable entre les doigts, et déjà la lumière dorée de l’après-midi commence à basculer vers le soir. Après avoir embrassé Alex à l'entrée du Diana’s, je suis rentrée chez Emma pour préparer mes affaires, avec son aide évidemment.

— Bon, soldat, déclare-t-elle en sautant sur son lit, bras croisés. T’as quoi comme arsenal ?

J’ouvre mon sac de voyage, l'air faussement solennel.

— Le strict nécessaire. Pas de place pour des robes de gala ou des escarpins de la mort.

Elle lève les yeux au ciel en soupirant dramatiquement, pendant que je commence à étaler mes affaires sur mon lit : quelques jeans confortables, des pulls chauds, un gros sweat à capuche, mon carnet de croquis, mon MP3 offert par Alex, mon appareil photo, mes médicaments.

— T’es sérieuse ? râle Emma en attrapant un de mes pulls. Noir. Gris. Noir. Noir. Encore noir.

— Je vais pas faire un défilé sur la plage non plus, je rigole.

— Ouais mais quand même... Heureusement que t’es belle, toi, elle ricane en m’aidant malgré tout à plier les vêtements.

Je glisse aussi une vieille écharpe tricotée par ma mère quand j’étais petite, un de ces objets qu’on ne peut pas vraiment expliquer mais qu'on veut avoir avec soi. Juste au cas où. Emma ajoute dans un coin du sac une trousse de secours qu’elle a elle-même garnie : pansements, désinfectant, Doliprane... Elle est à fond, limite si elle ne veut pas me coller un casque de chantier sur la tête.

— Et ton carnet de dessin ? me demande-t-elle, faussement sévère.

Je tapote fièrement la pochette rigide où je range mes croquis.

— Présent, chef !

Une fois tout rangé, je fais le tour de la pièce du regard. Mon sac est prêt, posé à côté de ma veste et de mes baskets. Je sens cette montée d'excitation qui me vrille l’estomac, ce petit vertige entre peur et liberté c’est la première fois que je pars seule. Mais étrangement, je n’ai pas peur. Plus maintenant. Emma s’assied en tailleur sur mon lit et me regarde longuement.

— Promets-moi que tu profiteras vraiment. Que tu prendras le temps de respirer. Pas juste courir d’un endroit à l’autre pour oublier.

Je m’approche et la serre fort contre moi.

— Promis.

Elle rit doucement contre mes cheveux.

— Tu vas me manquer, tête de mule.

— Toi aussi, cas soc’ de compétition.

On reste encore quelques instants ainsi, puis elle me relâche à contrecœur.

— Bon, file, avant que je change d’avis et que je t’attache au lit pour pas que tu partes.

Je rigole, soulève mon sac et descends les escaliers en lançant un dernier regard complice à mon amie. La nuit est fraîche et claire dehors. Les étoiles commencent à parsemer le ciel comme des éclats de verre, mon road trip commence cette nuit. Mais ce soir, je sens déjà le goût salé de l’océan sur ma langue. La liberté m’attend.

Mes bottes claquent légèrement sur le trottoir désert tandis que je me dirige vers la petite gare de la ville. Tout semble endormi, sauf moi. À l’intérieur, un unique comptoir encore ouvert diffuse une lumière jaune et vacillante. Je m’avance, achète mon billet pour le sud et serre précieusement le papier dans ma main, chaque geste me semble irréel, comme si je traversais un rêve éveillé. La gare est vide, immense, presque abandonnée sous le grésillement paresseux des vieux lampadaires. Quelques bancs de bois usés trônent sur le quai, et je choisis le plus éloigné, juste sous une lanterne qui éclaire à moitié, projetant mon ombre vacillante sur le sol. Je m’assieds, cale mon sac contre moi, et glisse mes écouteurs dans mes oreilles, une musique douce et mélancolique se répand dans ma tête, couvrant le silence oppressant de la nuit. Mon souffle forme de petits nuages blancs devant moi. Le froid est vif, mais étrangement agréable. Vivifiant.

Le temps semble s'étirer, irréel, jusqu'à ce qu'un grondement lointain se fasse entendre. Peu après, les phares du train éventrent l'obscurité, il entre en gare dans un souffle d’air froid et un crissement métallique qui fait vibrer les vitres de la gare. Lentement, il s’arrête dans un gémissement long et douloureux.

Le train est presque vide. Quelques silhouettes éparses descendent ou montent sans se presser, toutes emmitouflées dans de lourds manteaux je monte à mon tour, mon billet froissé dans la poche de ma veste. À l’intérieur, l’éclairage est tamisé. Le wagon est tiède, baigné d’une lumière douce et jaune. L’odeur de vieux cuir et de métal flotte dans l’air je choisis une place près d’une fenêtre, dépose mon sac sur le siège à côté de moi, et me blottis contre la vitre froide. Dehors, la nuit défile, noire et sans fin, seulement ponctuée de quelques halos de lumière perdus dans l’immensité.

Je sors mon carnet de mon sac mes doigts, encore engourdis, esquissent des lignes tremblantes, des formes apparaissent, des vagues, des silhouettes indistinctes, un ciel chargé de rêves et d’attente. Le crayon glisse sur le papier au rythme du roulis régulier du train, hypnotisant.

Autour de moi, le silence est total, juste percé par le doux grondement du moteur et le cliquetis des roues sur les rails c’est apaisant, presque berçant. La fatigue, jusque-là tenue à distance par l’excitation, me rattrape doucement. Mes paupières deviennent lourdes et la musique dans mes oreilles est devenue un murmure flou, mêlé aux vibrations du train. Je lutte un peu, griffonne encore un dernier croquis bâclé... puis laisse tomber mon crayon. Ma tête glisse contre la vitre froide. Et je sombre, enveloppée dans la tiédeur du wagon et le bruissement régulier de la nuit.

Un léger sursaut me tire du sommeil. Le train ralentit, ses secousses me réveillent doucement. J’ouvre les yeux, encore engourdie la vitre est froide contre ma joue, et dehors, l’obscurité a cédé la place à un ciel d’un bleu pâle, presque translucide. Le soleil hésite à se lever à l’horizon, peignant l’air d’une lueur dorée et timide.

Je frotte mes yeux, rassemble mes affaires d’un geste encore maladroit. Mon carnet a glissé à terre durant la nuit, je le ramasse en souriant, découvrant quelques traits flous tracés dans mon sommeil. Quand les portes du train s’ouvrent enfin, une bouffée d’air frais chargé d’embruns m’envahit. Je descends du wagon, mon sac sur l’épaule la petite gare où j’atterris est simple, plantée entre des dunes et les premières maisons encore endormies. À quelques pas de là, derrière un rideau d’arbres décharnés par l’hiver, je sens la mer envahir mes narines. Je marche en silence, guidée par le bruit sourd et régulier des vagues. Sous mes pas, le sol devient plus souple, plus meuble, l’odeur salée est partout, comme une vieille amie venue me saluer.

Et puis, je la vois.

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