Chap 12 partie 2 - Soleil

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La plage s’étend devant moi, immense et vide, baignée dans la lumière tendre du matin. La mer est calme, respirant lentement sous le vent léger. Un frisson me parcourt, non pas de froid, mais de quelque chose d’autre. De plus grand. De plus vivant. Je m’arrête quelques instants, immobile, mon sac glissant à mes pieds. Le voyage n’a pas duré longtemps. Mais il a suffi. Suffi pour que je me sente ailleurs, suffi pour que, pour une fois, je me sente exactement là où je devais être.

La mer au loin clapote doucement contre l’immense banc de sable blanc. Le soleil caresse mon visage et les mots me manquent. Autour de moi, tout semble à sa place les mouettes glissent dans le ciel laiteux, des empreintes solitaires ponctuent le sable humide, et une légère odeur d’iode vient me chatouiller le nez. Mon souffle se cale instinctivement sur le rythme des vagues.

Je repère non loin un petit café à la devanture fatiguée par le vent et le soleil, dont l'enseigne pend d’un côté. Une pancarte griffonnée à la craie vante des produits « frais et maison ». Une fois devant, un court menu rempli de fruits de mer et de salades fraîches me met l’eau à la bouche. Je n’ai rien mangé depuis hier midi.

La petite table en bois où je m’assois n’est pas super confortable. Je me tortille un moment sur la chaise avant de finir par abandonner. Une serveuse très bronzée et au sourire éclatant vient rapidement me voir. Je lui commande un café double et une part d’un de leurs desserts. Quand je me retrouve de nouveau seule, je sors mon petit carnet et me tourne de nouveau vers cette grande nappe bleue qui ondule sous le vent. C’est fou comme se déplacer de seulement cent kilomètres peut faire une différence énorme dans son esprit. Le bois de la table est rugueux sous mes avant-bras, et l’air marin m’effleure la peau comme une caresse continue.

Le café est posé sur la table, à côté d’une part de gâteau dont je ne saurais dire à quoi il est. Mon carnet est ouvert, barbouillé de croquis, et moi, je rêvasse, l’esprit vide et le cœur léger, je bois une gorgé tiède de mon café et avale rapidement mon médicament. Je ne sais pas combien de temps passe ainsi, rythmé par le bruit des vagues, les va-et-vient de la serveuse qui ne cesse de remplir ma tasse, et les apparitions sporadiques de clients autour de moi. Mais quand le soleil, haut dans le ciel, m’oblige à enlever ma veste, je fais un rapide signe de la main à la serveuse.

— Qu’est-ce que je peux vous servir, mademoiselle ?

— J’aimerais bien regarder votre carte pour manger un bout. Tout ce café doit être épongé.

— Ahah, oui, vous avez raison. Je vous apporte ça.

Elle tourne les talons et revient presque aussitôt me voir, carte en main. Elle la dépose devant moi et me sourit de nouveau.

— Vous n’êtes pas d’ici, n’est-ce pas ?

— Qu’est-ce qui m’a trahie ? Mon air béat ou mon teint de cire ?

— Nan, du tout, ahah ! C’est plutôt le fait que vous êtes assise ici depuis presque trois heures et, il faut bien l’admettre, mon petit café n’est pas le plus populaire d’ici.

— Ah bon ? Personnellement j’aime bien cet endroit. C’est… mmm… atypique. J’aime ce qui est atypique.

— Vous êtes atypique.

— Je prends ça pour un compliment.

— C’en est un, dit-elle avec un sourire encore plus large. Je vous laisse regarder tranquillement, faites-moi signe quand vous aurez choisi.

Je la remercie d’un signe de tête et me plonge dans le menu. Mon doigt glisse sur les différentes options avant de s’arrêter sur une bouillabaisse. Quand elle revient, je commande.

— Je vais prendre la bouillabaisse, s’il vous plaît.

— Excellent choix. Je vous apporte ça tout de suite.

Quelques minutes plus tard, elle revient avec un grand bol fumant. La bouillabaisse est un véritable tableau vivant, des morceaux de poisson divers aux teintes nacrées, des moules brillantes, des crevettes encore rosées, le tout baignant dans un bouillon doré et parfumé. À côté, une petite coupelle de fromage râpé et des tranches de pain grillé encore chaudes. Je ne résiste pas longtemps. Je saupoudre le fromage, puis je trempe un morceau de pain que j’engouffre aussitôt dans ma bouche. C’est brûlant, fondant, salé et réconfortant. Je tente de reconnaître les poissons, mais certains m’échappent. Honnêtement, je m’en fiche. C’est délicieux.

Autour de moi, quelques clients discutent à voix basse. Une vieille dame lit un roman à moitié mangé par le sel, un couple s’échange des regards complices, un jeune pianote doucement sur son téléphone, le monde tourne doucement. La serveuse revient vers moi, toujours souriante.

— Alors ? Ça vous plaît ?

— C’est incroyable, je réponds en léchant ma cuillère. Je n’arrive pas à deviner tous les poissons, mais c’est pas grave.

— C’est la spécialité du chef. Ma tante. Elle invente un peu à chaque fois, donc même moi je ne suis jamais sûre de ce qu’il y a dedans.

Elle rit, puis s’adosse contre le rebord de la terrasse.

— Je m’appelle Samia, au fait. Et vous ?

— Sophie.

Elle m’observe un moment, puis demande :

— Et qu’est-ce qui vous amène ici, Sophie ?

Je prends une gorgée de vin blanc que j’ai commandé à mi-repas.

— Besoin de changer d’air. D’être seule un moment. Respirer. Dessiner.

Elle hoche la tête, compréhensive.

— Tu dessines ? C’est génial, ça. Moi j’ai toujours voulu peindre, mais j’ai deux mains gauches. Alors à la place, je régale les gens avec de la bouffe.

Je souris.

— Crois-moi, c’est tout aussi précieux.

Un silence agréable s’installe. Puis elle ajoute, comme si c’était une évidence :

— Ce soir, y’a une petite fête sur la plage. Musique, feu de camp, bière tiède et quelques danses un peu ridicules. Si tu veux venir… t’es la bienvenue.

Je la regarde, touchée par l’invitation.

— Pourquoi pas. Ça me fera du bien. Merci, Samia.

Elle sourit encore. Et repart en déposant l’addition sur un coin de table je sais déjà que je viendrai. Mon plat engloutit et débarrasser, je reste là encore un moment, puis, sans réfléchir, je sors mon carnet. En quelques traits rapides, je l’esquisse. Samia, accoudée à la barre en bois du café, le regard perdu dans la mer, les cheveux soulevés par la brise, l’allure tranquille d’une femme ancrée dans son monde. Je me surprends à ajouter quelques détails, des ombres douces, des courbes soignées. Le dessin me plaît.

Quand elle revient pour me faire payer, je lui tends la feuille.

— Tiens. Je te l’offre.

Elle attrape le dessin, intriguée. Puis, en le découvrant, ses yeux s’agrandissent et un éclat sincère illumine son visage.

— Tu m’as dessinée ? C’est... magnifique. Sérieusement, Sophie. Je peux le garder ?

— Bien sûr. Il est à toi.

Elle presse doucement le papier contre elle, un sourire presque ému aux lèvres.

— Merci. Vraiment. J’ai jamais eu un portrait de moi. Et là, c’est… waouh. T’as un vrai don. On échange nos numéros ?

— Avec plaisir.

On sort nos téléphones, un peu maladroitement, et on échange nos contacts. Puis je lui demande :

— Tu connaîtrais un petit hôtel sympa et pas trop cher dans le coin ?

— Y’en a un à deux kilomètres d’ici, le Marée Douce. Pas de chichis, mais c’est propre, calme, et la gérante est adorable. Dis-lui que tu viens de ma part.

— Parfait. Merci encore, Samia.

Elle m’adresse un clin d’œil complice.

— On se voit ce soir ?

— C’est noté. À ce soir.

Je quitte le café le cœur plus léger, le carnet sous le bras, le ventre plein et le cœur léger avec l’impression d’avoir trouvé, ici aussi, un petit morceau de chez moi. Mon sac sur l’épaule, j’emprunte la petite route qu’elle m’a indiquée. Le soleil commence à décliner, peignant le ciel de reflets dorés et rosés. Le chemin longe la côte sur quelques centaines de mètres, puis s’enfonce doucement vers l’intérieur. De chaque côté, les buissons, gonflés de feuilles épaisses et de petits fruits rougeoyants, s’agitent doucement sous la brise saline. Quelques voitures sont garées là, sur le bas-côté, certaines avec encore du sable collé aux pneus. Je croise un joggeur, un chien endormi à l’ombre d’un arbre, et un couple main dans la main, tout semble se dérouler dans une douce lenteur. Calme. Hors du temps.

Après une vingtaine de minutes de marche tranquille, l’hôtel apparaît enfin à un croisement. Une vieille bâtisse claire aux volets bleu pâle, un peu défraîchis, mais que l’on devine chouchoutés. L’endroit a du vécu, c’est évident, mais une sorte de tendresse s’en dégage, il y a des pots de fleurs à l’entrée, et une enseigne peinte à la main qui annonce : "Marée Douce – Chambres et Soleil toute l’année".

Je pousse la porte vitrée et entre. L’accueil est petit mais charmant, avec un comptoir en bois poli, une lampe au pied en corde tressée, et une odeur de propre et de lavande. Une femme d’une cinquantaine d’années, les cheveux courts et argentés, relève les yeux depuis un carnet posé devant elle. Elle porte un gilet tricoté main par-dessus une robe à fleurs.

— Bonjour ! Je peux vous aider ?

— Oui, bonjour, je cherche une chambre pour deux nuits… Samia m’a parlé de votre hôtel.

Son visage s’illumine aussitôt.

— Oh, Samia ! Quelle perle, cette fille. Vous êtes amie avec elle ?

— On vient à peine de se rencontrer, mais… je crois qu’on s’est bien trouvées.

Elle acquiesce, visiblement ravie.

— Alors vous êtes doublement la bienvenue. J’ai justement une petite chambre libre au second. Un vrai cocon. Ça vous irait ?

— Parfait, merci beaucoup.

Elle me remet une clé sur un porte-clés en forme de poisson, m’indique l’escalier, et me souhaite un bon séjour après lui avoir régler les nuits.

La montée est rapide. À l’étage, un couloir aux murs blancs et aux rideaux rayés de bleu et de sable m’accueille. Ma chambre se trouve au bout. En entrant, une bouffée d’air légèrement iodée me saute au visage. La fenêtre est entrouverte. L’intérieur est adorable. Le genre de chambre typique du sud, avec ses meubles en bois clair, ses draps blancs à fines rayures, quelques cadres représentant des coquillages ou des barques colorées. Le parquet grince doucement sous mes pas. J’ouvre les volets en grand et découvre un petit balcon en fer forgé, sur lequel une table ronde et une chaise m’attendent. La vue donne sur un autre morceau de la mer, plus discret, plus intime, une bande fine de sable joncher de pierre sombre et imposante.

Je reste un moment-là, debout, à respirer l’air salin. Puis je dépose mon sac sur le lit, défais mes affaires tranquillement. Mes carnets, mes vêtements, mon chargeur, un bouquin. Chaque geste a un goût de liberté retrouvée. Je me dirige vers la petite salle de bain au carrelage vieillot de motif floral et de coquillage, j’y laisse ma trousse de toilette et décide de prendre une douche pour enlever les traces de ma nuit dans le train. L’eau tiède ruisselle sur ma peau, emportant la fatigue, les pensées et les derniers résidus de voyage. Le gel douche à la lavande embaume l’air, et j’en ressors quelques minutes plus tard, les cheveux encore humides, une serviette nouée autour de la tête. Je m’habille simplement, un jean confortable, un t-shirt ample et une veste légère. Une fois prête, je redescends à l’accueil.

Samantha, la propriétaire qui m’avait lancé son nom avant que je ne découvre ma chambre tout à l’heure est toujours là, derrière le comptoir, un livre à la main. Elle lève les yeux et m’offre un sourire chaleureux

— Alors, la chambre vous convient ?

— Elle est parfaite, merci encore.

Elle hoche la tête, ravie, puis ajoute :

— Besoin de quelque chose ?

— Oui, justement... Vous sauriez où je peux trouver un magasin pour acheter quelques provisions ?

— Bien sûr. En allant vers le centre, vous en trouverez plusieurs. Ce n’est pas très loin, dix minutes à pied tout au plus. Suivez la rue principale, vous ne pouvez pas les rater.

— Parfait, merci beaucoup.

Je sors de l’hôtel et me met en route d’un pas tranquille en suivant la rue que Samantha m’a indiquée. La ville est petite mais absolument adorable, bordée de maisons aux façades peintes dans des tons pastel, orange doux, jaune pâle, bleu azur. De grandes jardinières débordantes de fleurs multicolores trônent devant les portes et apportent leur lot de senteur. Le parfum du jasmin, du laurier-rose et de la terre chaude flotte dans l’air.

Des cafés, aux terrasses pleines d’habitués, parsèment le chemin. Des rires s’élèvent, des voix s’interpellent joyeusement. Plus loin, des enfants jouent au ballon, leurs cris résonnent entre les murs des ruelles étroites. Des draps colorés sèchent aux fenêtres ouvertes, flottant au vent comme des drapeaux improvisés ou de grande voile de bateau. Sur les bancs, des vieilles dames à la peau burinée par le soleil observent la scène avec l’air d’avoir tout vu, tout vécu, un chat alangui à leurs pieds.

Je pousse la porte du premier petit magasin que je croise. À l’intérieur, l’odeur sucrée des fruits et celle, plus vive, des produits d’entretien se mêlent. J’arpente les rayons, panier en main, et choisis quelques provisions : un paquet de chips, des bonbons, quelques bières et jus de fruit. Je m’arrête devant l’étal des fruits frais : oranges, clémentines, kiwis, pommes croquantes et quelques fraises locales en barquettes me font de l’œil. Je les ajoute à mon panier avec un sourire, ravie de cette simplicité retrouvée. J’ai hâte d’être à ce soir, de retrouver Samia sur la plage, de sentir le sable sous mes pieds, la musique, le feu. Cette idée me fait vibrer.

Quand je ressors, le soleil m’éblouit un instant. Il est maintenant bas dans le ciel, des nuages blancs s’éparpillent ici et là comme des plumes paresseuses. Mon sac à provisions à l’épaule, je déambule dans les rues, les yeux ouverts sur tout ce qui m’entoure. Je m’imprègne du lieu, je balaie la scène du regard, chaque détail me donne envie de le dessiner plus tard.

Une bonne odeur de pain attise mon appétit et je me retrouve devant une grande boulangerie dont les étagères ploient sous le poids des produits. À l’intérieur, l’odeur est encore plus impactante et je me laisse convaincre par le boulanger qui m’affirme que sa femme fait le meilleur pain de tout le pays. Je souris fortement en lui prenant un sandwich et des chouquettes, une gourmandise que ma mère aimait plus que tout.

Un peu plus loin, je m’assois sur un banc à l’ombre d’un arbre aux branches basses qui offrent une fraîcheur bienvenue. Je mords dans mon sandwich et soupire de plaisir, le pain est effectivement excellent. Je me lèche les doigts trempés de sauce et jette un coup d’œil autour de moi. La vie ici semble n’être rythmée par rien d’autre que celle des habitants : joie, rires, cafés entre amis, bières pour refaire le monde, terrasses, soleil, chaleur, odeurs. Tout ici donne une impression de justesse, de perfection. Rien ne détonne — même pas moi, pourtant étrangère à tout ça. C’est un peu comme si, peu importe qui on est, à partir du moment où l’on se retrouve ici, on est à notre place. C’est une étrange sensation, une chaleur qui monte en moi, douce et apaisante.

Une fois mon sandwich englouti, je retourne à l’hôtel. Samantha a déserté son poste, alors je monte directement dans ma chambre où je disperse mes courses un peu partout. Je troque également mon jean contre une robe longue et fluide, enfile des sandales, une veste légère et mon sac avec mes affaires. Puis je retourne au café de Samia.

Le lieu est joliment illuminé, les lanternes diffusent une lumière douce. Un jeune garçon très blond est derrière le comptoir. Je suppose qu’il s’agit du serveur qui prend le relais du soir. Je m’approche de la plage et un sourire m’apparaît quand je vois un feu de joie au milieu du sable. Je sens que cette soirée va être superbe !

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