Trahison
Note de l'auteur : avec les personnages de Bonanza.
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Il est midi, je tape du poing contre l’imposante porte du ranch et je m’écroule au sol, ravagée par les larmes. Il me faut un peu de temps pour réaliser qu’on m’a soulevé du sol. Je continue de vider mon chagrin contre l’épaule large et réconfortante de mon cher Benjamin Cartwright. Il ne me questionne pas, je tremble, j’ai du mal à reprendre une respiration calme, je crie mon désespoir, je suffoque. Je pleure des trombes d’eau, sur cette terre de sécheresse, j’avale autant de larmes que j’en recrache. Je parviens, dans un effort immense, à dire quelques mots.
-JE... N'AI... PL... PLUS DE MARI... Benjamin, pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai fait ? Pourquoi
- Mais enfin Joan, qu'est-ce qui se passe ?
- C'est horrible, Benjamin, la lettre; là; dans ma poche... La lettre, Benjamin ! »
Et le torrent de larmes reprend, je m'écroule sur le canapé, je suis dévastée par le chagrin. Mes épaules tremblent, j’ai du mal à reprendre ma respiration. Je tape du poing sur les coussins, je les martelle de toutes mes forces.
« Joan, je vous en prie, calmez-vous... »
Adam, le fils aîné de Benjamin, s’est approché aussi.
« C’est Henry ? Il est arrivé quelque chose ? »
Je mets la main dans la poche de ma veste. Elles sont là ces saletés de feuilles de papier. Un peu froissées, un peu chiffonnées. Je les tends à Benjamin, il pose les yeux dessus. Je lui dis qu’il peut lire à voix haute, ce qu’il fait, après quelques secondes d’hésitation.
« Ton amour n'existe plus... »
Une phrase, une seule, juste quatre mots; mais avec un pouvoir destructeur insoutenable. Et puis la deuxième feuille; un papier tamponné; un certificat établi dans la ville de Carlson City. Moi aussi j’ai mis du temps à comprendre de quoi il s'agissait. Il s'agit d'un acte de mariage rédigé à Carlson City. Ce qui m’a sauté aux yeux, instantanément, c'est le nom qui inscrit dessus.
« Je ne peux pas croire ça... Mais comment a-t-il pu faire une chose pareille ? Quel genre d'homme serait assez malhonnête pour faire ça ? Tout ça me dépasse...
- Pa; tu veux bien nous en dire un peu plus ? »
Benjamin tourne la tête vers moi, d'un bref hochement de tête, je lui fais signe que c’est d’accord pour moi. Benjamin tend la lettre à son fils ainé. Adam blêmit à l'instant où il pose ses yeux dessus. Même réaction chez Hoss et chez Joe.
« Quelle ordure...
- JOSEPH, mesure tes paroles, quand même.
- Pardon pa; mais enfin, y a pas d'autres mots... »
Adam serre les poings dans son coin, lui aussi a le visage fermé et les yeux qui lancent des éclairs de foudre.
« Excusez-moi ! »
Le voilà qui chope au vol son chapeau et son révolver. Il sort de la pièce sans un regard pour son père ou pour moi.
« Adam, ADAM, où vas-tu ? Ne fais rien que tu pourrais regretter... »
Mais les recommandations de Benjamin se perdent dans le vide de la porte qui se claque. Benjamin ne quitte pas la porte des yeux, il jette un coup d'œil à ses deux garçons :
« Votre frère n’est pas dans son état normal. Allez avec lui. »
Benjamin regarde sortir ses deux gaillards, il sait qu’ils parviendront à éviter peut-être qu'Adam ne commette une grosse bêtise. Il l'espère vraiment. Il revient s’asseoir près de moi et me prend dans ses bras. Tendrement il pose son pouce sur ma joue et essuie une goutte d’eau qui s’échappait encore de mes yeux.
Je redresse la tête et mes yeux croisent les siens. Le temps s'arrête, il y a une telle intensité dans les yeux de cet homme, une telle humanité, une telle compassion, une telle empathie. Il me serre fort contre lui et me redit à quel point il est désolé de ce qui m’arrive.
« Vous savez quoi, Benjamin. J'ai vu Adam sortir précipitamment du ranch. J’espère qu’il va tomber sur mon époux et lui flanquer une bonne raclée... »
Et il me dit que c’est malheureusement ce qu’il pressent, ce qui risque d’arriver si Hoss et Joe ne le stoppent pas. Je lui réponds que je serais la première à le remercier et à le féliciter. J’entends un léger reproche dans sa voix, il me dit qu’il n’a jamais encouragé ses fils à se battre, même pour l’honneur d’une dame. Que cela s’est produit quelques fois, qu’il l’a lui-même fait, qu’il n’en est pas forcément très fier. Il termine en affirmant qu’il est heureux de me voir sortie de ma prostration.
« Ma chère Joan, je n'encourage pas mes fils à se battre. Même pour l'honneur d'une dame. Mais je suis ravi de voir que la colère vous a sorti de votre torpeur. Je crois que vos réflexes de femme Paiute reviennent. En attendant, vous devriez aller prendre un peu de repos et si vous le souhaitez, nous pourrons aller faire une promenade à cheval.
- Avec plaisir Benjamin. Merci pour tout.
- Mais de rien ma chère. C'est tout ce que je peux faire, pour l'instant, et j'aimerai pouvoir faire plus.
- Vous avez fait tellement pour moi, Benjamin. Vous m'avez aidée de toutes les façons qu'on peut aider quelqu'un et vous savez qu'une place toute particulière vous est réservée dans mon cœur. »
Je lui adresse un dernier sourire avant de disparaître dans la chambre d'ami, qui jouxte la salle de séjour.
***
« Joan, Joan, écoutez-moi... »
J’entends qu’on frappe à la porte et je reconnais bien évidemment la voix de mon époux. Qu’est-ce qu’il fait là ? Qui est-ce qui l’a laissé entrer ? Je ne veux rien entendre. Je lui donne l’ordre de s’en aller, je ne veux rien écouter. La voix d’Adam se fait plus incisive, plus ferme.
« Henry, laissez-la, Henry, non, vous avez promis.
- Bien, Adam, je n'insiste pas... »
***un peu plus tard
ma chérie
Puisque je ne peux pas me présenter à vos yeux, je choisis d'aller vers vous ainsi.. Je sais que tout m'accuse, je veux bien croire que mon nom figure sur ce document, Adam l'a vu. Je ne nie pas. Je veux vous faire part de mes sentiments, c'est tout. Au nom de l'amour que je vous porte, ma douce amie, je vous fais la promesse que je n'ai épousé aucune autre personne à part vous. Je n'ai pas fait de doux serments à une autre que vous. J'ignore qui, mais je sens que quelqu'un veut nous nuire. Et ce quelqu'un est parvenu à ses fins. La raison ? Je l'ignore également. Je suis malheureux, non de mon propre sort, non, je suis malheureux parce que vous souffrez à cause de moi. Je m'étais juré de ne jamais faire de mal à un individu, qui plus est une femme. Et je trahis ainsi ma promesse. J'ai l'éthique et la probité de ma profession, j'ai prêté serment de respecter la vérité et de toujours la défendre. Je continue. Mais je ne pensais pas devoir lutter pour défendre ma vérité, mon honneur et mon intégrité.
Maintenant, ma chérie, la décision vous revient. Je saurai m'effacer de votre vie si vous l'exigez. Mais Joan, comme cette missive est sous le sceau de la sincérité, je vous avoue que je quitterai votre vie avec un déchirement au coeur. Je sais au fond de moi que je ne suis pas cet être ignoble, cet être abject que tous vous voyez.. Je ne peux pas plaider ma cause auprès de vous et auprès de vos amis et c'est ce qui me chagrine. Je ne suis pas homme à pleurnicher à vos genoux, je serai digne et je ne vous offenserai pas davantage.
Je termine de lire la lettre que mon époux a rédigé et qu’Adam vient de me faire passer.
« Benjamin, je ne sais plus... Je ne sais pas si je dois croire l'homme de ma vie... Si ce n'était que des « on dits; ou des bruits mal...mal...malfaits.. non, je veux dire malfaisants, je n'y aurai même pas fait attention, mais il y a ce fichu papier...
- Ce papier comme vous dites, n'est qu'un papier. Même s'il y a le nom de votre mari dessus.
- Mais Benjamin, pourquoi me dire cela maintenant. Je vous ai vu tout à l'heure. J'ai vu vos yeux, vous étiez tout sauf compatissant envers Henry. Vous le croyiez coupable, n'est-ce pas ?
- Tout d'abord, j'ai réagi comme vous, parce que j'ai vu le certificat.
- Et maintenant ?
- Maintenant , je vous dis ceci car je pense à Henry.
- à Henry, comment cela ?
- Oui je pense à votre mari, à ce qu'il est, à ce qu'il m'a dit. Je me souviens de ces paroles, de l’amour qu’il vous porte et du bonheur qui était le sien d’avoir acheté cette ferme pour vous et lui. Voilà ce que j'ai entendu dans sa bouche, et croyez-moi il était sincère quand il disait cela.
- Benjamin, je devrais vous maudire; vous m'embrouillez l'esprit... »
Je marche dans la pièce et finis par lui tourner le dos. Benjamin reste campé sur place, assis sur le coin du bureau, le regard tourné vers moi.
- Non, je vous livre mon sentiment; et je ne crois pas me tromper, vous avez le même sentiment que moi, n'est-ce pas ? »
Il se lève et marche vers moi. Il pose sa main sur mon épaule et doucement, m'oblige à me retourner :
« Regardez-moi Joan... Pourriez-vous me dire, les yeux dans les yeux, que vous persistez à condamner votre époux ?
- Ne me demandez-pas cela, Benjamin.
- Je vous le demande. »
Je lève vers lui mes yeux embués et d'une voix étranglée, je réponds à la question par une phrase laconique..
- Je ne sais plus.
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