Trahison chapitre 2
***Chambre du haut. J’ai dénoué mes cheveux, ils tombent sur mes reins. Je suis seule. La solitude, c'est maintenant, cela fait longtemps que je ne l’ai pas sentie, la solitude. La solitude, c'était l'année dernière. Avant Benjamin, avant ma folle transformation à Ponderosa, avant de rencontrer Henry. Dans la tribu aussi, pourtant, je n'ai jamais été seule. Mais, du jour où j’ai posé les yeux sur le fils du chef, les choses ont changé, j’ai tout perdu : ma famille, ma tribu, ma place. Ils se sont débarrassés de moi, le chef voulait même me tuer. Ma profonde rêverie est fracassée par des éclats de voix. Hou là, ça barde en bas. J’entends le ton sec et autoritaire de Benjamin. Allons bon, il en a après Little Joe.
« Joseph, c’est quoi ce ton et cette réflexion. N’oublies pas à qui tu parles... Tu montes passer une chemise, et tout de suite, si tu ne veux pas que je me fâche; répond Ben d'un ton qui n'admet nulle réplique...
- ok ok je monte »
- J'en ai marre qu'il me traite comme un môme... J'en ai marre. En plus je vais me faire engueuler par Hop Sing, j'en ai plein les oreilles, moi de leurs jérémiades à deux cents. »
Sans hésiter, j’ouvre la porte. C’est tout juste si Little Joe ne me percute pas. Il se confond en excuses.
« Oh pardon, Joan... Oh on vous a réveillé ? Pardon...
- Ne vous excusez-pas. Dites-moi plutôt ce qu'il se passe.
- Et bien, euh. »
Le jeune homme fait mine de se passer la main dans les cheveux, il est gêné par la question, c'est un fait. In extrémis, il se rappelle qu'il tient sa serviette.
« C'est à dire que …. bah..... Il y a...
- Joe, dites-moi ce qui se passe.. Je veux savoir...
- Votre mari est dans le salon... Il est b...... »
Je tourne les talons, ma robe de chambre vaporeuse s'envole et je claque la porte. Je l’ouvre quarante secondes plus tard. Sans un regard pour Joe, je me dirige vers les escaliers et les descends.
Alors que le silence est tout relatif, je m’avance vers mon mari, le regard tendre et les yeux humides. Mais... En une fraction de seconde, je sors de ma large manche un petit couteau et saute sur Henry.
« Espèce de chien ! »
Je lance le bras armé en direction d'Henry, qui médusé, bascule en arrière pour éviter le coup. Il sort son pied qui heurte la cuvette. C’est Benjamin qui reçoit le contenu sur ses bottes et sur son bas de pantalon.
Adam, en un réflexe à peine émoussé, se jette sur moi et m’attrape le bras. Il essaie de me désarmer.
« Joan, arrêtez...Lâchez ce couteau... »
Mais je n'entends pas lâcher prise aussi facilement. Il va falloir qu’ils comprennent que je ne suis plus Mme Dexter, mais une ancienne Païute. Et ça change la donne. Je sais me battre, j’ai bien l’intention de mettre un fameux coup de canif dans le contrat. Adam est costaud, il essaie de me bloquer le bras. Je parviens à me dégager et je le blesse avec la lame du couteau.
« ouch.... »
Du coup, il me lâche. Il regarde son bras, la peau est entaillée et le sang perle. Il est estomaqué, sidéré de ce que je lui ai fait. Malgré tout, il ne renonce pas. Il pose son autre main sur moi et me serre le bras. Il essaie de me faire lâcher prise. Je sens que je suis en train de céder, je laisse tomber le canif. Je vois Adam qui donne un coup de pied dedans pour l’éloigner. Hoss se baisse pour le ramasser, Adam détourne son regard. J’en profite pour tenter quelque chose.
- Adam, attention....
Même désarmée, je ne renonce pas. Je tourne la tête et plante mes dents dans la main d'Adam...
« Ouch, la... »
Il ne finit pas sa phrase. Il pose sa main valide sur la blessure. Du coup, j’en profite pour me carapater. Je file vers la cheminée, attrape une bûche et la jette à la tête de Henry. Il s'écrase sur le coussin, le rondin de bois atterrit sur le bureau de Benjamin... En plein sur l'encrier... Je prends une autre bûche dans la main et m'apprête à aligner mon époux une seconde fois. Mais une poigne ferme m'en empêche. Benjamin se dresse devant moi, j’ai le bras pris dans un étau de fer.
« Joan, ça suffit. Posez ceci... »
Le ton est sec, cassant mais je ne vais pas abandonner aussi facilement.
« Joan, lâchez ça. Vous m'entendez ? »
Je n’ai pas l’intention d’obtempérer. Je ne suis plus la jeune squaw qu'il a connu. J’ai pris de l'assurance, j’ai appris à soutenir le regard de l’adversité, ce n’est pas ce soir que je vais baisser les yeux devant lui. Sûrement pas.
- Non Benjamin, pas avant de l'avoir assommé, ce chien galeux !
- Joan, pour la dernière fois, je vous ordonne de poser cela.
- Bon, maintenant ça suffit ! »
Benjamin continue de serrer mon poignet, il réussit à me faire plier le genou, de l’autre main, il parvient à arracher la bûche que je n’ai pas lâchée. Sans ménagement aucun, il me pousse sur le canapé.
« Vous vous calmez, maintenant ! »
Je gesticule, j’essaie de me lever mais Benjamin est le plus fort.
- Non Joan. N’y pensez même pas. Je vous conseille de rester tranquille. Vous savez de quoi je suis capable ! »
La dernière phrase lancée par Benjamin Cartwright a raison de mon entêtement.
« D'accord, Benjamin. Mais faites sortir ce chacal. Faites le sortir ou je lui arrache les yeux ! »
- JOAN. »
Je me rasseois.
« Hoss, fais sortir Henry. Je m'occupe de Joan. Adam, ça ira ton bras ?
- Oui pa..
- Monte à l'étage, Joe est dans sa chambre. Il pourra te nettoyer ça et faire un pansement. »
Hoss soulève Henry et l'entraîne sur le perron. Ce misérable ose regarder une dernière fois dans ma direction mais il n’insiste pas.
***à Ponderosa
Je suis immergée dans l'eau du bain. J’ai relevé mes cheveux en un chignon imprécis, quelques épingles fichées ça et là dans la masse de mes mèches brunes. Les yeux fermés, je remue lentement mes jambes dans l'eau mousseuse et savoure la caresse de l'eau chaude. Je touche une à une les bulles qui frôlent mes épaules. J’ai tant de pensées qui m'obsèdent.
Quelques minutes plus tard, je suis assise devant la glace de ma coiffeuse. Mes cheveux noirs tombent en cascade sur mes reins, sur mes épaules. La brosse qui va et vient sur la marée ondulante, c’est comme un geste mécanique et mon esprit vagabonde bien au-delà de la pièce. Vers les souvenirs, vers l'avant, au-delà de la colère, de la trahison. Les yeux perdus dans le reflet misérable de mon visage marqué par les larmes et le désarroi. Les traits tirés, fatigue d'une nuit sans repos, d'une nuit de larmes. Une nuit sans réconfort, une nouvelle nuit de solitude. Je me sens si perdue. Et il y a cet anneau à mon doigt, et il y a ce cercle noir et dur qui m’enserre la poitrine. Je ressens un immense frisson dans le creux de mon ventre.
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